Le meilleur de la réflexion québécoise en cadeau

Livres - revues - 2010

Le meilleur de la réflexion québécoise en cadeau
Louis Cornellier 11 décembre 2010 Livres


Je ne suis pas sûr que les essais québécois soient parmi les cadeaux le plus souvent déballés dans les chaumières le soir du réveillon. Songe-t-on à donner de la politique, de la sociologie, de la science, de l'histoire, de la philosophie, de la critique ou de l'économie en cadeau? Trop peu, évidemment, sous prétexte que ces choses-là sont trop sérieuses pour s'inscrire dans l'esprit de la fête. On se trompe, bien sûr, et les lecteurs assidus de cette chronique le savent. L'aventure de la pensée, du débat d'idées, est une fête, la plus noble même à laquelle est convié l'humain, ce roseau pensant. Aussi, parce que nous sommes entre nous et que nous savons cela d'expérience, je vous propose une courte liste du meilleur de la réflexion québécoise récente à offrir, voire à s'offrir, en cadeau à Noël.
Le débat gauche-droite occupera probablement le devant de la scène l'année prochaine. Or, malgré ce qu'en disent certains chroniqueurs de Quebecor ou éditorialistes de Gesca, les voix vraiment de gauche dans l'espace public québécois ne sont pas si fréquentes. C'est la raison pour laquelle les coups de gueule du comptable Léo-Paul Lauzon sont si précieux. Héritier de Michel Chartrand, Lauzon représente une gauche fiscale au discours coloré. Le tome IV des Contes et comptes du prof Lauzon (Michel Brûlé, 2010) contient peut-être quel-ques outrances, mais les critiques et propositions qu'il avance reposent néanmoins sur un fond solide et montrent l'étroitesse d'esprit du discours qui se proclame «lucide». Comme antidote à une droite qui fait passer son idéologie pour du réalisme, il n'y a pas mieux.
La gauche radicale, celle qui veut «casser le capitalisme» pour le remplacer par on ne sait trop quoi, existe encore, mais est devenue folklorique. Parmi ceux qui, hier, l'ont embrassée, tous ne renient pas, aujourd'hui, le souci de justice qui les animait, mais le réorientent vers le combat en faveur d'un programme de gauche démocratique. C'est le cas de Pierre Céré, coordonnateur du Comité chômage de Montréal et porte-parole du Conseil national des chômeurs, qui, dans Une gauche possible (Liber 2010), se livre à une belle autocritique de son passé gauchiste et explique que l'échec du projet révolutionnaire ne signifie pas la victoire de la droite, mais la nécessité d'une gau-che réformiste.
Si vous avez un beau-frère qui ne jure que par le gros bon sens et vous répète que le débat gauche-droite est dépassé, je vous suggérerais bien de lui offrir en cadeau La gauche et la droite. Un débat sans frontières (PUM, 2010), des politologues Alain Noël et Jean-Philippe Thérien, mais je doute qu'il y comprenne quelque chose. Cet ouvrage fait la brillante démonstration que le clivage gauche-droite «est universel et parfaitement contemporain» et que l'appel à le délaisser ne servirait que la confusion. Si votre beau-frère est vraiment du genre boqué et barré à 60 sur l'échelle de Scolarius, il vaut peut-être mieux vous réserver cette lecture et lui en servir des tranches entre deux chansons à répondre.
Si, après trois ou quatre bières, un des convives du réveillon vous avoue enfin être un groupie de Stephen Harper, le fait d'avoir lu Contre Harper. Bref traité philosophique sur la révolution conservatrice (Boréal, 2010), du philosophe Christian Nadeau, vous sera certes utile pour le ramener dans le droit chemin (qui n'a rien à voir avec la droite). Nadeau, dans cet ouvrage, montre clairement que le programme conservateur s'atta-que radicalement à la conception de la société juste d'inspiration social-démocrate qui caractérise le Canada et le Québec depuis les années 1960 et que le passage de Harper au pouvoir, surtout si ce dernier parvient à obtenir un mandat majoritaire, pourrait laisser de tristes traces durables dans notre société.
Dans ces conditions, le Québec pourrait décider de faire enfin vraiment bande à part. Pauline Marois a-t-elle
le coffre nécessaire pour présider à cette aventure? Nombreux sont ceux qui en doutent et qui hésitent. Ils commencent à croire fermement que le populaire Gil-les Duceppe ferait un meilleur général. La lecture de Gilles Duceppe. Entretiens avec Gilles Toupin (Richard Vézina éditeur, 2010) devrait achever de les en convaincre. Le chef du Bloc québécois, dans cet ouvrage, s'impose comme un chef d'État de la trempe des Lévesque et Parizeau, capable de parler avec un impressionnant aplomb de l'histoire du Québec, de tous les dossiers de la politique canadienne et québécoise, des raisons de faire la souveraineté, de la démarche à suivre et de ses suites politiques, économiques, sociales et culturelles. On savait déjà que Duceppe était solide. Ce livre montre qu'il est l'homme de la situation.
Jocelyn Létourneau, lui, n'est pas l'homme des souverainistes. Sans se définir franchement comme fédéraliste — il se dit plutôt postnationaliste —, l'historien rejette néanmoins le récit nationaliste de notre histoire qui fait de la souveraineté la seule solution valable pour assurer notre avenir collectif. La lecture historique proposée par Létourneau, dans Le Québec entre son passé et ses passages (Fides, 2010), est originale et, d'une certaine façon, brillante. Le Québec, tout au long de son histoire, aurait tiré le meilleur parti de sa situation en adoptant une attitude réformiste, en ménageant la chèvre et le chou, en pratiquant un «volontarisme de l'arrangement». L'ambiguïté qui caractérise le rapport des Québécois à la dynamique Canada-Québec n'est pas, pour cet historien, une faiblesse à surmonter, mais un sentiment qui, transformé en stratégie, s'est avéré, dans le passé, porteur d'avenir. Létourneau propose une «vision optimiste» de l'histoire du Québec, faite moins d'empêchements dus à l'autre que d'avancées prudentes. Or, si cette réinterprétation de notre passé est intéressante, elle se transpose mal au présent pour une raison bien simple: les réformistes nationaux québécois n'ont plus d'interlocuteurs canadiens-anglais et le Québec a perdu le rapport de force démographique qui lui a jadis permis de s'en sortir dans le Canada.
Létourneau répliquera probablement que cela n'empêche pas les Québécois, pour le moment, de produire une pensée riche et originale. À cet égard, il aura raison. Faites-en ou faites-vous-en cadeau!
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louisco@sympatico.ca


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