L’inconscient collectif

Livres - revues - 2010



Google vient de lancer un outil tout à fait fantastique: Ngram Viewer. En numérisant plus de 5,2 millions de livres, l’entreprise a construit une gigantesque base de données permettant de recouper la fréquence d’utilisation des mots en fonction de leur époque. Au-delà de l’aspect purement statistique de la chose, c’est d’un voyage au fond de notre inconscient collectif qu’il s’agit. En comparant divers mots ou expressions, on peut établir la force d’une idée ou mieux comprendre les changements sociétaux.
Par exemple, en observant le graphique de l’expression « indépendance du Québec », on constate que celle-ci n’a jamais été plus utilisée qu’en 1976, avec l’élection du Parti Québécois. Pendant les années 80, avec le « beau risque », sa fréquence a chuté, pour se stabiliser dans les années 1990, avant de chuter de nouveau après le dernier référendum.
Autre exemple: en croisant les mots « Canada » et « Québec », on obtient à peu près l’année 1970. C’est donc dire que dans la littérature francophone, le Canada a perdu de son importance au profit du Québec à peu près dans ces années. Il s’agit d’une évidence pour tout observateur aujourd’hui, mais on peut établir statistiquement le moment de ce changement dans l’inconscient collectif.
Exemple supplémentaire: on peut croiser les mots « nationalisation » et « privatisation ». Alors que le premier monte jusque vers 1980, témoin de son époque, il chute par la suite, croisant son opposé vers le milieu de la décennie. Il n’y a pas de coïncidence: c’est bel et bien dans les années 1980 que les premières réformes de droite, les premières désassurances, les premières privatisations ont eu lieu. On constate depuis que la droite économique a le vent dans les voiles, comme le témoigne la croissance du concept.
Un autre exemple? Regardez ce graphique superposant les expressions « Loi 101 » et « Québec français ». Aucun hasard ici non plus: c’est vers le début des années 1990 que les fruits des mesures scolaires et de la francisation découlant de la Loi 101 paraissaient le plus; on remarque également la corrélation entre les deux expressions; selon ce graphique, on peut déduire que le destin du Québec français est relié à celui de la Loi 101.
Encore une fois: en recoupant « Canadien français » et « Québécois » et en observant le moment où ces deux données se croisent, on peut obtenir la date presque précise du début de la Révolution tranquille.
Les exemples ne manquent pas, on le constate. L’intérêt d’un tel outil ne consiste pas seulement à valider les événements passés, mais peut-être à prévoir ceux du futur. Pour le moment, les données s’arrêtent à 2008, mais nous ne sommes qu’au début de la Révolution numérique. D’ici quelques années, on pourrait imaginer une base de données encore plus complète – appuyée par les nombreux livres en format numérique qui sortent à chaque année – et actualisée plus fréquemment. On pourrait imaginer, après les sondeurs et les politologues, des analystes de tendance qui, comme les boursicoteurs et leurs données statistiques, pourraient quantifier l’inconscient collectif et faciliter l’actualisation d’idées et de concepts devenant en vogue.
Mieux encore: on pourrait imaginer des algorithmes de recherche plus poussés augmentant la puissance d’un tel outil, un peu à la manière de la recherche sur Internet. Rappelons-nous qu’au début du Web, les pages étaient trouvées en fonction du nombre de mots sur chacune de celles-ci; il a fallu attendre Google, qui, en comptabilisant les liens, a pu établir la crédibilité de chaque site et donner une valeur différence aux mots selon celle-ci. Avec les livres électroniques de type Kindle, IPad ou autres, qui deviendront la norme d’ici une ou deux décennies, il n’est pas exclu qu’un tel algorithme tenant compte du nombre de téléchargements ou d’achats d’un livre pour en établir la crédibilité soit créé.
Il deviendrait donc possible de naviguer non plus seulement dans le présent du contenu en ligne, mais dans l’inconscient collectif total, représenté dans son imaginaire par la création littéraire.
Nous vivons à une époque fantastique, ne trouvez-vous pas?


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