Le nouveau prisme

Actualité québécoise



Il faut cesser de voir la nouvelle réalité politique québécoise à travers «l'ancien prisme», dit François Legault. Le chef de la Coalition avenir Québec ne cesse de le répéter: les vieilles étiquettes sont désuètes. Pourtant, quand il s'agit de financer son nouveau parti, il semble très bien s'accommoder des méthodes traditionnelles.
Certes, il était parfaitement légal de mettre sur pied un organisme sans but lucratif qui a permis d'amasser 315 000 $ avant la naissance officielle de la CAQ, le 14 novembre dernier, et de repasser le chapeau immédiatement après sa création, de sorte que certains donateurs ont pu défoncer en toute impunité le plafond autorisé de 1000 $. Simplement de la mi-novembre à la fin-décembre, 1408 personnes ont versé 326 000 $ à la caisse caquiste.
Le plus beau de l'affaire est que le compteur a été remis à zéro le 1er janvier. M. Legault, qui a soigneusement calculé le moment de transformer son mouvement en parti, pourra donc faire une troisième collecte en quelques mois.
Le Directeur général des élections n'a pas à juger de l'éthique des méthodes de financement des partis politiques, mais tout le monde sait très bien que ce qui est légal n'est pas nécessairement moral.
Le chef de la CAQ a déclaré hier à l'émission Les francs-tireurs qu'il ne fallait pas laisser les groupes de pression imposer leur volonté et qu'il comptait sur l'opinion publique pour imposer les réformes difficiles qu'il propose. S'il veut que la population l'appuie, M. Legault doit cependant prendre garde de ne pas donner l'impression d'être redevable à qui que ce soit.
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Rien ne permet d'affirmer que les 46 avocats du même bureau qui ont souscrit près de 20 000 $ à la caisse de la CAQ en 2011 ont agi comme prête-nom, même si leur employeur, Mario Charpentier, siège à l'exécutif de la CAQ et préside sa commission des finances.
«C'est le fun de voir qu'il y a autant d'enthousiasme dans mon cabinet pour la Coalition avenir Québec», a déclaré M. Charpentier. Il aurait pu ajouter qu'aucun article de la Loi sur le financement des partis politiques n'interdit de prendre les gens pour des imbéciles.
L'ancien prisme nous faisait croire que les grands bureaux d'avocats ou les firmes de génie-conseil étaient peuplés de gens motivés uniquement par l'appât du gain. Grâce au nouveau prisme, on découvre qu'ils sont simplement désireux de contribuer à la grande relance du Québec. D'où ce bel enthousiasme évoqué par M. Charpentier.
Allons, tout le monde savait que la CAQ allait éventuellement se transformer en parti politique et les sondages lui prédisaient un avenir prometteur. Sur le marché politique, il s'agissait clairement d'un bon investissement.
Dans l'Ancien Régime français, la vénalité des offices, qu'on avait surnommée la «savonnette à vilains» parce qu'elle ouvrait la porte à l'anoblissement, permettait à ceux qui en avaient les moyens d'acheter un poste au sein des diverses instances relevant du Parlement. M. Legault demande plutôt à ceux qui sollicitent le privilège de défendre les couleurs de la CAQ d'amasser 25 000 $.
Il est indéniablement très onéreux d'administrer un parti politique, et un financement exclusivement public est loin de faire consensus. Les autres partis imposent eux aussi des cibles de financement à leurs députés, mais ils attendent généralement qu'ils soient élus.
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«La CAQ n'a pas de leçon d'éthique à recevoir des libéraux ou des péquistes», a lancé son attaché de presse. Le scandale des places en garderie, qui continue de hanter le gouvernement Charest, et les célèbres Post-it de Chantal Landry devraient en effet inciter Jean-Marc Fournier à un peu de prudence dans ses critiques.
Depuis 2006, le PQ n'en finit plus d'expier le rapport du juge Moisan, qui l'avait reconnu coupable d'avoir accepté 96 400 $ de la firme Groupaction, compromise dans le scandale des commandites, en sachant parfaitement qu'elle utilisait des prête-noms. Il a cependant fait amende honorable et s'est imposé de ne plus accepter de contributions supérieures à 100 $.
Il est vrai que M. Legault n'a jamais eu la prétention de réinventer la façon de faire de la politique. Le plan d'action de la CAQ demeure aussi muet sur la réforme des institutions démocratiques que sur le financement des partis politiques.
Gérard Deltell, dont l'ancien parti avait jadis présenté un projet de loi pour autoriser les référendums d'initiative populaire, a soudainement découvert les inconvénients d'une démocratie plus directe. Là où l'ADQ voyait jadis une grande avancée, le nouveau chef parlementaire de la CAQ voit maintenant un risque de faire perdre au gouvernement «le contrôle de l'agenda».
C'est étonnant ce qu'un nouveau prisme peut changer les perspectives. Tenez, de qui est cette déclaration: «La seule façon de faire de l'éducation une grande priorité nationale tout en mettant fin au sous-financement en santé, c'est de rapatrier nos impôts et de faire nos propres choix. Bref, c'est de devenir souverain»? Bravo, vous avez deviné.


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