LE SOLEIL - ANALYSE

Le privé en santé : des mythes à déboulonner

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Commission Castonguay

(Photothèque Le Soleil)

Le 5 novembre prochain, «les meilleurs parmi les meilleurs» se réuniront à Saint-Sauveur, dans les Laurentides, pour un Davos de la santé, et ce, à l'invitation de Raymond Chrétien, neveu de l'ancien premier ministre. La rencontre qui réunira une centaine de leaders d'une quinzaine de pays est organisée par le World Health Executive Forum, dont le siège social est à Montréal. Cette organisation «est à la santé ce que le World Economic Forum de Davos, en Suisse, est à l'économie», précise un document «strictement confidentiel» joint à l'invitation.
Ce groupe d'experts ne cache pas ses couleurs : il est en faveur d'une plus grande participation du secteur privé dans la santé, tout comme l'Institut Fraser, l'Institut économique de Montréal, l'Association médicale canadienne et tous les Chaoulli et les Jean Coutu de cette Terre.
Si les riches se paient des services...
Un mythe, largement alimenté par les partisans du privé, persiste dans la population au sujet des problèmes d'accès que connaît actuellement le système de santé public. Les gens croient à tort que si les riches se paient des services dans des cliniques privées, cela désengorgera les hôpitaux. Messieurs Chaoulli et Coutu vont jusqu'à prétendre que si les médecins du public travaillaient dans le privé, le soir ou les fins de semaine, cela aurait pour conséquence de réduire les listes d'attente. Il s'agit d'une pure aberration.
Comment peut-on affirmer une telle chose dans un contexte de pénurie de personnel ? Pourquoi les médecins devraient-ils offrir des heures supplémentaires au secteur privé plutôt qu'au secteur public, lorsqu'on sait que les cliniques privées coûtent plus cher; leur marge de profits variant de 10 à 15 %. Pourquoi l'Hôpital du Sacré-Cœur devrait-il payer 600 dollars chaque fois qu'une patiente ou un patient est opéré par son sous-traitant: la clinique Rockland MD, et ce, même si l'opération est annulée? Pourquoi inciter le peu d'infirmières disponibles à faire le saut dans le privé en leur promettant de beaux horaires de 9 à 5?
Quant aux «riches qui n'ont qu'à se payer des services», il faudrait définir qui ils sont. Parle-t-on ici de la classe moyenne ou du 1% de la population la plus riche? Lors de notre rencontre avec le groupe de travail Castonguay, nous avons fait une sérieuse mise en garde contre la tentation de recourir davantage aux assurances privées pour financer des services déjà assurés par le système public. Chiffres et faits à l'appui, nous avons démontré que les régimes d'assurance collective coûtent de plus en plus cher.
Des augmentations de primes de 130% en 8 ans
Comment pourrait-on augmenter les protections offertes pour couvrir des chirurgies comme celles du genou, de la hanche, de la cataracte et ainsi de suite, quand les travailleuses et les travailleurs ont de plus en plus de difficulté à se payer un régime d'assurance collective ?
Chez SSQ, la prime d'assurance collective moyenne, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, est passée de 495$ en 1996 à 1043$ en 2006, soit une augmentation de 111%, et cela principalement à cause de la hausse du prix des médicaments. Pour certains salariés à statut précaire, cela représente jusqu'à 10% de leur salaire. À la CSN, le plus gros régime collectif, qui regroupe les employés de la santé et des services sociaux, a connu une augmentation encore plus grande : 130% en huit ans. Les projections des actuaires pour les dix prochaines années montrent que cette tendance se maintiendra avec des augmentations annuelles de 8%. Notons au passage que ce régime collectif est très représentatif de la population moyenne au Québec, puisque la prime de base est fixée à partir d'un salaire moyen avoisinant les 37 000$.
On abandonne des régimes d'assurance trop coûteux...
Devant ces hausses importantes, les salariés peinent à joindre les deux bouts : nombreux sont celles et ceux qui doivent renoncer à certaines protections, d'autres abandonnent carrément leur régime d'assurance collective devenu trop coûteux. Ce contexte rend la venue de nouvelles assurances privées parfaitement illusoire. Une crise de l'assurance collective pointe à l'horizon et on voudrait nous faire croire qu'il y a de l'espace pour ajouter de nouvelles protections? C'est complètement absurde.
Un autre mythe veut que le privé n'ait pas assez de place au Québec. Pourtant, il accapare déjà 30% du financement en santé, alors que la part de l'État est de 70%. C'est moins que la moyenne des pays de l'OCDE qui se situe à 75%. Les critiques de la CSN à l'égard d'un recours accru aux assurances privées se fondent d'ailleurs sur une étude réalisée par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), L'assurance-maladie privée dans les pays de l'OCDE, publiée en novembre 2004. Cette étude reconnaît que les systèmes de santé parallèles au système public favorisent les personnes riches ainsi que celles qui sont plus jeunes, en meilleure santé ou qui ont des problèmes de santé moins coûteux à traiter.
Les dépenses totales en santé augmentent quand même
Elle démontre aussi que le développement de régimes privés d'assurance maladie a pour effet d'augmenter les dépenses totales de santé, sans alléger la charge publique. Selon l'OCDE, plusieurs facteurs contribuent à cette situation : la possession d'assurance maladie privée incite les gens à consommer davantage de soins et de services médicaux, augmentant par le fait même les coûts ; les autorités gouvernementales exercent moins de contrôle sur les activités et les prix du secteur privé ; des honoraires plus élevés dans le privé et la recherche de profits contribuent à augmenter les coûts ; un système à payeur unique est en meilleure position que les assureurs privés pour négocier les prix et la qualité des soins ; les cas lourds ne sont pas couverts par l'assurance maladie privée et demeurent aux frais du régime public.
Et on voudrait continuer à nous faire croire que le privé constitue LA solution ! Permettez-moi d'en douter fortement. C'est ainsi que nous continuons de croire en NOTRE système de santé public, qui n'est pas parfait, par ailleurs, et pour lequel nous aurons des solutions à proposer en vue d'améliorer l'accès aux services pour tout le monde ! Nous irons le dire haut et fort lors du Davos de la santé, au forum du Collège des médecins ainsi que sur toutes les autres tribunes disponibles.
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Claudette Carbonneau
Présidente de la CSN
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