Le prix de la vérité

S’ils avaient incriminé le maire, qui verserait leur prime aujourd’hui ?

Chronique de Louis Lapointe

À chaque fois qu’un cadre démissionne et qu’on lui donne une prime de séparation, le cœur me serre. Je doute aussitôt que l’opération puisse cacher quelque chose dans la vie du cadre au sujet de la gestion du patron. Il arrive parfois que des patrons achètent la paix parce qu’ils ne veulent pas que la vérité sorte au grand jour, en tout cas, pas trop vite. Tout a un prix !
Je sais d’expérience que plusieurs patrons n’aiment pas se faire dire la vérité, parfois en privé, surtout en public. Les patrons qui durent longtemps sont ceux qui font tout ce qu’il faut pour que leurs collaborateurs témoignent d’une grande loyauté et conservent toujours le silence au sujet des bêtises qu’ils ont pu commettre. Paradoxalement, même si l’éthique est à la mode dans un nombre grandissant d’organisations, un patron qui valorise la vérité dure rarement longtemps, puisqu’en général, ses ennemis l’utilisent contre lui. À ce propos, les spécialistes des communications vous diront que ceux qui disent toujours la vérité manquent totalement de sens politique.
Donc, deux cadres viennent d’être remerciés à la Ville de Montréal en pleine campagne électorale et on les paye pour qu’ils partent, même si officiellement leur responsabilité est accablante selon le rapport du vérificateur général.
Sachant que des jours difficiles s’annonçaient, afin de se ménager une porte de sortie, que cela soit vrai ou faux, ces cadres n’ont probablement jamais dit au vérificateur qu’ils avaient informé le maire des importantes lacunes que recelait le contrat des compteurs d’eau. C’est sûrement ce que leurs avocats leur ont suggéré de faire. Se taire. Il fallait bien que quelqu’un reste en poste pour faciliter leur départ. S’ils avaient incriminé le maire, qui verserait leur prime aujourd’hui ?
Ce ne sera pas la première, ni la dernière fois qu’un chef politique ne sera pas au courant de ce que font ses employés. Jean Chrétien ne savait rien au sujet du scandale des commandites, pas plus que Jean Charest connaissait les déboires de la Caisse de dépôt et de placements et on apprend que le maire Tremblay ignorait tout ce qui se passait à l’Hôtel de ville de Montréal.
La preuve que les administrations publiques évitent habituellement d’embaucher des gestionnaires qui ont la réputation de rechercher et de dire la vérité: quand vous lisez dans une offre d’emploi, « sens des communications, flexibilité et capacité à gérer dans l’ambiguïté », des qualités très estimées chez les gestionnaires, cela ne peut être plus clair, toute vérité ne sera jamais bonne à dire dans cette organisation, surtout lorsqu’elle embarrassera le patron. D’ailleurs, avez-vous déjà lu dans une offre d’emploi qu’une organisation recherchait un gestionnaire « franc, honnête et qui valorise la vérité» ?
Si vous voulez être sûr de ne plus jamais travailler, dites la vérité, surtout au sujet de votre ancien patron. Les futurs employeurs interpréteront toujours cela comme un manque de discrétion et de loyauté, pas comme une preuve de votre probité, même si c’était le pire des bandits et qu’il a été condamné pour cela. Ils ne veulent surtout pas de collaborateurs qui vont les trahir à la première incartade venue.
Mentez! Mentez! Vous vous trouverez rapidement un nouvel emploi.
Il paraît qu’un poste de conseiller à l’éthique au gouvernement du Québec sera bientôt ouvert. Je ne sais pas quelle sera la principale qualité recherchée, habileté à gérer dans l'ambiguïté ou valoriser la vérité, on sait toutefois que c’est Jean Charest qui sera le patron. Ça vous intéresse ?
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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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