Le chef de cabinet du premier ministre Stephen Harper a-t-il, oui ou non, le contrôle d’un fonds discrétionnaire du Parti conservateur réservé aux dépenses partisanes du chef ? «Oui, non, peut-être, toutes ses réponses.» On pourrait résumer ainsi les explications données par les conservateurs depuis jeudi soir.
Ce soir-là, la CBC révélait qu’un tel fonds, financé par le parti, existait au sein du bureau de M. Harper depuis son arrivée au pouvoir. La CBC se demandait s’il pouvait y avoir un lien avec le don de 90 000 $ fait au sénateur Mike Duffy par le chef de cabinet démissionnaire Nigel Wright.
Dans leur réplique aux premiers courriels du journaliste de la CBC, le Parti conservateur et le bureau du premier ministre (BPM) ont été catégoriques. Aucun fonds du parti n’a servi à payer le sénateur Duffy pour qu’il rembourse 90 000 $ en indemnités injustifiées. M. Wright a utilisé ses fonds personnels pour ce faire, ce qui a conduit à sa démission.
Mais dans ces mêmes courriels, ni le parti ni le BPM ne niaient l’existence d’un fonds géré à partir du bureau du premier ministre. Vendredi matin, le directeur des communications de M. Harper, Andrew McDougall, reconnaissait sans problème l’existence d’« un budget dans le bureau qui vient du parti pour les événements politiques » et qui est « géré par le chef de cabinet ». Il n’y voyait rien d’anormal, le premier ministre participant à des activités partisanes aux frais du parti.
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Il est vrai que les chefs évitent de facturer aux contribuables les dépenses associées à leurs activités partisanes. Leurs partis ramassent la facture. Ce qui est inhabituel cependant, c’est de confier au chef de cabinet du premier ministre la gestion des fonds du parti réservés à cet effet.
Cette façon de faire est extrêmement risquée sur le plan éthique. Un chef de cabinet est un détenteur d’une charge publique, soumis aux codes sur les conflits d’intérêts, et il est payé par les contribuables. Il est au service du premier ministre, pas du chef de parti.
La ligne est fine entre les deux, et certains dossiers peuvent obliger le chef de cabinet à se placer à la frontière entre les deux, mais de là à se mêler de la gestion des fonds du parti, il y a un pas que personne n’avait encore franchi. Pour une raison évidente : éviter que le chef de cabinet se retrouve dans une position conflictuelle capable de nuire à son patron.
Sentant peut-être la soupe chaude, moins de deux heures après les déclarations de M. McDougall, le député Pierre Poilievre répétait aux Communes qu’« il n’y a pas de caisse distincte ». Peu après, le parti diffusait une déclaration dénonçant la CBC et niant toute l’histoire, mais en choisissant ses mots. (Il notait par exemple que toutes les dépenses du parti étaient financées par le fonds contrôlé par le Parti conservateur, mais cela n’empêche pas le financement d’un fonds au sein du BPM.)
Samedi, autre soubresaut. Talonné sur les ondes de la radio de la CBC, le député conservateur Chris Alexander disait que « personne ne nie » l’existence au BPM d’un fonds discrétionnaire géré par le chef de cabinet et distinct du fonds du Parti conservateur.
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Vendredi, M. McDougall parlait pour ainsi dire d’un arrangement commode, sans plus. Le chef de cabinet connaît l’horaire du premier ministre et sait mieux que personne ce qui représente une activité gouvernementale et une activité partisane. Le BPM aurait pu simplement transmettre les factures au parti et l’affaire aurait été réglée, mais bon, peut-être que le directeur des communications dit vrai en parlant d’un choix pratique. Le problème est que bien peu de gens sont prêts à avaler cette explication. À cause des déclarations en zigzag des derniers jours et d’une feuille de route qui a eu raison de la crédibilité des conservateurs et du premier ministre.
On ne les croit plus. Il y a eu trop de cachotteries, d’obstruction, de dénigrement, de bâillons à répétition et de mensonges, dont celui sur le coût des chasseurs F-35. Et il y a le refus de rendre des comptes au Parlement, du coût des projets de loi en matière de justice au dossier des détenus afghans en passant par les accrocs à la Loi électorale.
Le député Brent Rathgeber, qui a quitté le caucus conservateur la semaine dernière, a résumé la situation dans le billet expliquant son départ. « J’ai rejoint les mouvements réformiste et conservateur parce que je pensais que nous étions différents, un groupe d’outsiders étrangers arrivant à Ottawa pour nettoyer la place, promouvoir un gouvernement ouvert et responsable. Je nous reconnais à peine et, pire, je crains que nous nous soyons transformés en ceux-là mêmes que nous dénoncions. » Il visait directement le BPM, sa façon d’opérer « opaque » et « sans supervision » qui représente « un affront aux exigences constitutionnelles d’un gouvernement responsable ».
Personne ne peut prédire les effets à long terme de la crise des derniers mois, mais, chose certaine, elle aura mis le premier ministre et son équipe à l’épreuve, exposé leurs plus grandes faiblesses, alimenté l’insatisfaction d’un nombre croissant de leurs partisans et sédimenté la méfiance qu’ils inspirent à une partie de l’électorat.
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