Le sort que l'on réserve au français aux Affaires globales du Canada

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Tribune libre

Quand j'ai débuté ma carrière au Ministère des Affaires étrangères du Canada en 1982, on pouvait compter sur les doigts le nombre d'officiers anglophones capable de fonctionner véritablement en français. C'est peut-être pour cela que mon premier poste était à Paris comme si les français en France métropolitaine avaient besoin de comprendre que le bilinguisme canadien n'était pas une super chérie. Et ce, au plus fort des relations triangulaires entre Paris, Ottawa et Québec.



Un progrès mitigé

En jetant un coup d'œil au progrès que la langue française a fait depuis lors, on peut constater un nombre plus important d'agents, lesquels ont une connaissance de l'anglais et du français. Il y a toutefois des revers à signaler en ce qui concerne l'utilisation de la langue de Molière dans l'exercice de la politique étrangère par nos diplomates.


Par exemple, rien n'a changé lorsqu'une personne ne possédant que peu de connaissances du français se présente à une réunion même si la majorité des participants entendent les deux langues. Les francophones se taisent et la réunion se poursuit en anglais. Il y a un nombre écrasant de réunions en anglais en dépit d'une pluralité de ceux et celles qui parlent le français. La courtoisie oblige, on nous dit ad nauseum.


Lors d'une interview visant à combler un poste, le candidat originaire de Montréal avait noté dans son CV qu'il était bilingue. Lorsqu'une question en français lui était posée, le candidat a répondu 'Merci mais ..' avant de plaider que son français était plutôt rouillé. La question lui était reformulée en anglais. Quelques jours après, j'ai croisé l'heureux candidat dans les couloirs avant d'apprendre qu'il avait été bel et bien embauché.


Lors de mon dernier poste en Turquie, la mission canadienne avait décidé de mettre le portrait de la reine à l'entrée principale. Quand j'ai protesté que cela serait une insulte aux citoyens du Québec lesquels paient pour cette mission et ses attraits, on m'a répondu que cela ne ferait pas de mal, tout compte fait. Bref, pliez l'échine et tout irait à merveille. Et moi, étant antimonarchiste de souche écossaise, comment interpréter une telle directive?



Le français écrit

La situation du français écrit est encore pire. Même si quelqu'un veut écrire en français, la réserve de personnes qualifiées pour réviser des textes en français n'existent tout simplement pas. Par ailleurs, le réseau de renseignement confidentiels Five Eyes (Australie, Nouvelle Zélande, États unis et Royaume uni) n'encourage point des messages en français. Les quatre autres pays du réseau Five Eyes ne parlent que l'anglais. Forcément, les rapports en français ne seront pas lus ou partagés à l'intérieur du réseau. Ceci entraîne une perte nette de renseignements confidentiels de langue française. Chemin faisant un de grands avantages d'avoir un service diplomatique bilingue en étant capable de se mettre en communication avec le réseau francophone des missions à l'étranger est ainsi annulée.



Le facteur multiculturel

Avec le temps, le visage du Service extérieur a changé. Il s'est ajouté bon nombre de nouveaux canadiens. Ce facteur a été fort bénéfique car le Service extérieur canadien a pu refléter davantage la mosaïque sociale et politique qu'est devenu le Canada. Par le fait même, les officiers parlaient souvent la langue de leurs parents apprise à la maison. Ce fut un apport important afin de moderniser le Service extérieur.


Par contre, ces gains, dus à une politique d'inclusion multiculturelle, ont fait reculer certaines valeurs. D'abord la plupart des officiers issus d'un milieu multiculturel, parlent anglais d'abord et le français après. Puisque la loi 101 n'a jamais été amendé, de nombreux candidats potentiellement bilingues issus des familles anglophones de Montréal ne peuvent pas fonctionner en français. Il convient de souligner que l'avenir éventuel des recrus des Premières Nations, un groupe à peu près absent des Affaires étrangères, est aussi compromis par le nouveau visage multiculturel des Affaires globales.



À Montréal

Au fil des années, la ville de Montréal a bâti une réputation de centre universitaire hors pair. Ses diplômés sont recherchés à travers le monde en raison de leur polyvalence culturelle et linguistique. À quelques heures seulement de la capitale canadienne, Montréal continue à alimenter les besoins de personnel spécialisé et bilingue au Ministère des Affaires globales.


Malheureusement la loi 101 a eu comme effet de garder les jeunes anglophones de Montréal dans un ghetto où la connaissance du français est perçue comme peu nécessaire et culturellement redondante. Alors, pour le Service extérieur, qui cherche avant tout des candidats ayant la capacité de s'exprimer en français, la réserve de candidats montréalais n'arrive plus à remplir les attentes. Ainsi on baisse les attentes linguistiques afin de combler rapidement des postes à pourvoir. Chemin faisant, le niveau de français est en chute vertigineuse. Or, balbutier quelques mots équivaut maintenant au bilinguisme fonctionnel. On travaille de moins en moins en français à la centrale et dans nos missions à l'étranger. Les missions importantes surtout en vertu de nos intérêts commerciaux comme Londres, Washington, Beijing et Tokyo sont particulièrement frappées.



De la dissidence

Bien entendu, il y a des contre arguments, lesquels cherchent à mettre en valeur la tendance mondiale vers l'uniformisation et l'utilisation universelle d'une seule langue, en l'occurrence, l'anglais. Alors, si l'on se fie à ces analyses, l'utilisation du français serait en baisse. Les technologies de l'information aidant, le français serait en déclin et pas juste dans le milieu diplomatique. Par contre, l'expansion et l'élasticité des langues dans le monde moderne peut créer un ressac, dont les effets commencent à se faire jour. Par exemple, les tentatives d'uniformisation et du nivellement des langues n'ont pas réussi à supprimer la poésie et la nature métaphorique de nos langues parlées et écrites. En dépit de ces arguments, l'homme cherche à décrire son passage ici-bas afin de donner un sens à son existence et à son univers grâce à l'usage insolite de la langue. La diplomatie d'un pays fait partie intégrante de la culture et du vécu des peuples dont nous sommes le reflet outre-mer. La diplomatie n'est pas une abstraction - elle est le reflet des valeurs d'une société entière plutôt qu'une série de mesures politiques du gouvernement du jour.


La disparition sournoise du français de la vie diplomatique canadienne est une perte importante dont le multiculturalisme canadien a été un des vecteurs clé. Il convient de parler des effets néfastes quant à l'embauche et à la promotion des officiers francophones du Service extérieur. Par le fait même, le Canada ne profite pas de sa valeur ajoutée à la diplomatie mondiale.




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