Tous les journaux l’écrivent, toutes les radios le disent, toutes les chaines de télé le répètent, à tel point que l’on peut supposer qu’une grosse agence de pub a dû passer par là. Gros budget sans doute ! Alors, ça doit être faux ! Comme la pub.
Malheureusement, cette agence de pub n’a pas pensé à faire suivre cette annonce terrifiante d’une démonstration crédible, qui aurait pu lui donner du sens. Mais dans le fond, si c’est de la pub, ce n’est pas utile. Il suffit de répéter la phrase sacramentelle plus souvent. Et puis, la pub, moins elle dit de mots, plus ceux-ci pénètrent dans le cerveau. Il n’y a que le résultat qui compte. Tout le monde sait ça.
Je dois être un peu dur de la feuille, parce que j’ai poussé l’impertinence jusqu’à chercher à savoir comment on avait bien pu faire pour trouver cette vérité qui a l’air de ne surprendre personne. Avant de croire, je préfère personnellement comprendre, par prudence. Je suis en quelque sorte une émule de Saint Thomas. En toute modestie, croyez-le bien.
Alors, une devise sous-évaluée, c’est quoi ? C’est forcément le rapport de cette monnaie à quelque chose, et en l’espèce on peut penser que ça doit être par rapport à une autre monnaie, non ?
Mais laquelle ? Évidemment, tout le monde pense au dollar, tiens ! Mais par rapport aux autres monnaies, comment le yuan se place-t-il ? Si l’écart est de 25% avec le dollar, est-il le même par rapport aux autres devises ? Bien sûr que non ! Ce n’est pas possible. Alors est-ce 20 avec l’euro, 15 avec le rouble, 5 avec la roupie ? Et pourquoi pas -7 ou -12 avec d’autres.
J’ai donc voulu découvrir qui répétait cette pub sans la soutenir de la moindre explication, et je me suis rendu compte qu’il n’y avait que les pays occidentaux, notamment européens, qui entonnaient cette rengaine en compagnie des É-U. C’est simple, tous ceux qui font partie du club de l’OTAN. Ils ont dû toucher de sacrés dessous de table !
Par contre, j’ai assez peu entendu les pays émergents siffloter ces cinq mots : le yuan est sous-évalué. Peut-être ne s’en sont-t-ils pas encore aperçus ! Ou que ça ne les gêne pas.
***
Bien évidemment, curieux comme je le suis, vous vous doutez bien que cette variété d’attitudes ne me satisfaisait pas. Ça ne faisait pas très scientifique. Alors, j’ai continué à réfléchir. Je me suis demandé :
Voyons donc ! D’abord, une devise sous-évaluée, à quoi ça sert vraiment ?
Pour faire simple, on peut penser que c’est une devise qui permet de faire du dumping, ici du dumping monétaire, consistant à vendre des produits à des prix suffisamment bas pour battre tous les concurrents existants, et les éliminer ainsi du marché. Mais alors, cela veut dire aussi vendre en dessous de son prix de revient, si du moins on a le même que celui de ses concurrents. Or le yuan a la valeur qu’il a depuis trente ans, au moins, et ce n’est pas possible de vendre en dessous de son prix de revient pendant trente ans. On serait mort avant.
Donc, il n’y a pas de dumping de la part de la Chine. C’est déjà un bon point d’acquis. On sait maintenant que les prix de vente chinois ne peuvent être inférieurs à leur prix de revient.
Dans ce cas, la Chine a donc vendu jusqu’ici avec un certain profit. Qu’en a-t-elle fait ? En grattant des informations par-ci par-là, on parvient à apprendre qu’elle possèdera à la fin du mois de mars 2010, environ 2600 milliards de dollars, dont une bonne partie est reprêtée aux É-U sous forme de bons du Trésor. De quoi se plaignent donc les É-U ? Peut-être désirent-ils que les Chinois leur vendent leurs produits plus chers de manière à ce qu’ils puissent leur prêter davantage. Mais à la réflexion, j’ai pensé que cette solution ne tenait pas la route.
Peut-être pensaient-ils naïvement alors, qu’en poussant les Chinois à leur vendre plus cher, les Étasuniens achèteraient davantage de produits étasuniens, s’ils se révélaient moins onéreux. Mais finalement, ça ne collait pas non plus, puisque les produits que leur vend la Chine ne sont en général plus fabriqués aux É-U, étant donné que les usines étasuniennes qui les fabriquaient auparavant ont été précisément délocalisées depuis un bon bout de temps, et assez souvent d’ailleurs, en Chine. Les citoyens des É-U seront donc bien obligés de les acheter dans les pays qui les fabriquent aujourd’hui, et notamment à la Chine. On retourne alors au cas précédent, c’est-à-dire en rond. Arrêtons ça !
J’en perdais le peu de latin qui me restait.
Mais ne voulant pas lâcher le morceau, je poussais mes investigations un peu plus loin. J’appris ainsi qu’avec d’autres pays, comme ceux qui font partie de l’ASEAN, le Brésil et même l’Australie, la Chine contribue beaucoup à rechercher une solution pour créer une monnaie mondiale indépendante de tout pays particulier, de manière à remplacer le dollar étasunien, dont la crise actuelle a révélé la faiblesse et l’insuffisance.
J’en déduisis que la Chine est tout à fait disposée à abandonner elle-même sa propre monnaie pour réussir ce projet si nécessaire. Dans ces conditions, comment s’imaginer que ce pays puisse manier quelqu’hypocrisie que ce soit dans le sens qu’on lui reproche maintenant, précisément en matière monétaire ? De quel côté se trouve donc l’hypocrisie ?
Restait tout de même à trouver par rapport à quoi une monnaie peut être considérée comme sous-évaluée ou non. Finalement, je me suis contenté d’une solution qui m’est apparue évidente. Si le yuan chinois doit être considéré comme étant dans un bon ou un mauvais rapport avec une autre valeur, cette valeur ne peut être que celle de la propre économie du pays, et non une monnaie étrangère. On est donc amené à se demander si le yuan, outil d’échange comme toutes les autres monnaies, constitue un bon outil pour servir l’économie chinoise ou non ? À bien considérer l’essor de la Chine depuis Deng Xiao Ping, il semble bien que oui ! Alors, pourquoi aller chercher ailleurs cette source d’inquiétude des Étasuniens et de leurs comparses, sinon chez eux.
Personnellement, je pense donc qu’il faudrait que le président Obama recherche la vraie racine de ce problème du côté d’une certaine surévaluation du dollar ( l’inverse d’une sous-évaluation en somme ), qui proviendrait vraisemblablement d’une émission de dollars beaucoup trop importante pour les besoins réels de son pays, ce qui dessert leur économie, contrairement à ce qu’apporte le yuan à l’économie chinoise.
La façon différente que le président des É-U a de considérer le problème porte par conséquent à penser qu’il aimerait bien reporter sur la Chine la responsabilité de la crise encore en cours, alors que ce pays a plutôt contribué jusqu’ici à l’amenuiser en maintenant un certain niveau de croissance dans le monde. Si s’était ça la vérité, poursuivre une telle manipulation de l’opinion à propos du yuan correspondrait alors au désir de faire oublier le fait que c’est bien son pays, et aucun autre, qui a déclenché le tsunami économique que nous sommes encore en train de subir, et d’en payer les conséquences.
Peut-être serait-il bon de le lui rappeler de temps en temps, car les Étasuniens ont souvent la mémoire courte quand ça les arrange.
© André Serra
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Cet article répond aux règles de la nouvelle orthographe
Le yuan est sous-évalué ! Sans blague ! Ça alors…
Tribune libre
André Serra14 articles
sciences économique et politique géopolitique - ex directeur administratif - consultant en organisation - éditeur
tél. 514-982-0785
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