Le complexe de Babel

Tribune libre

La récente décision du gouvernement Charest de fourguer de l’anglais a gogo dans l’ensemble de l’enseignement primaire et secondaire, au détriment des matières qui apportent de réelles connaissances, telles l’histoire, la géographie et les sciences physiques dénote un certain manque d’intelligence de l’utilité respectives des disciplines scolaires.
La première erreur porte sur la nature des langues. Les langues ne constituent pas de réelles connaissances, sinon indirectement. Elles sont essentiellement des outils de communication, elles sont concurrentes les une des autres, et non complémentaires. Si au moins l’une d’elles est indispensable, la langue maternelle, l’utilité des autres est relative aux besoins spécifiques des personnes, agents du commerce international et diplomates, éventuellement politiciens de haut niveau.
Pour le reste, s’il est utile de connaître les différentes cultures du monde, on gagne beaucoup de temps en lisant les excellentes traductions d’ouvrages étrangers plutôt que de lire leurs originaux, et en faisant beaucoup moins d’erreurs.
La seconde erreur commise par le gouvernement est une erreur géopolitique. Elle consiste à considérer l’anglais comme une langue internationale constituant un « must » ! Deux personnes pratiquant deux langues différentes entre elles, tentant de communiquer en anglais ont toutes les chances de ne pas se comprendre si elles abordent des sujets exigeant des connaissances approfondies dans des disciplines difficiles. Les exemples en abondent, et ici encore, l’aide d’un interprète est souvent indispensable. C’est son métier.
Enfin, c’est au moment où le monde anglo-saxon décline et sent de plus en plus sa fin prochaine que nos autorités québécoises tentent d’inculquer la langue anglaise de plus en plus tôt à nos enfants. Et ici, il s’agit d’une erreur géopolitique tout à fait impardonnable. Si l’on voulait faire face à l’avenir de la planète, mieux vaudrait faire porter l’effort sur la langue chinoise que sur l’anglais.
L’idée que l’ensemble de la planète va parler anglais a pris un coup de vieux depuis la crise. Les Étasuniens tentent bien de nous faire accroire que la crise est finie depuis juin 2009 lorsqu’ils l’ont annoncé à qui voulait l’entendre, un peu comme en 2003, George W. Bush avait, sur le pont du croiseur qui l’avait amené dans le golfe persique, avait triomphalement annoncé que l’ “Amérique” venait de gagner la guerre. On connaît la suite.
L’anglais commence à prendre l’allure des anciennes langues mortes, comme le latin. Par exemple, elle commence à se corrompre sur les marges de son ère. Les peuples les plus éloignés les uns des autres ne se comprennent plus aussi facilement qu’il y a quelques décennies. Entre les Australiens et les habitants de la Nouvelle-Angleterre. Les prononciations de la langue s’altèrent, etc.
Mais surtout, ce qui soutient la longévité d’une langue est la longévité de son hégémonie sur le monde. Et sous cet angle, celle des anglo-saxons, Anglais d’Europe et d’Amérique réunis, elle a atteint son point le plus haut quelques années seulement après la chute du mur de Berlin. Depuis, son emprise n’arrête pas de baisser.
La langue chinoise prend lentement mais sûrement sa place dans le monde. D’abord grâce à l’implantation de colonies chinoises partout dans le monde, mais aussi par la création d’Institut Confucius dans toutes les grandes villes du monde.

Chargés de promouvoir la langue et la culture chinoise dans le monde, la croissance des instituts Confucius est pour le moins impressionnante. Entre 2004 et 2009, la Chine a inauguré 282 instituts Confucius et 272 «classes» Confucius dans 88 pays. En 2020, elle compte en avoir près de 1000, soit près de quatre fois plus !
À titre de comparaison, l'Allemagne, qui a ouvert son premier institut Goethe en 1951, en compte aujourd'hui 136. Le premier institut Confucius des Etats-Unis a été ouvert en 2005. En 2010, soit en cinq ans, il y en avait 64, généralement établis dans les universités américaines dans 37 États. Et évidemment, ils n’enseignent pas l’anglais, mais seulement la langue et la culture chinoise.
Et l’engouement continue.
Il est visible que le gouvernement fait fausse route. De plus en plus de cadres économiques s’installent en Chine et désirent acquérir la capacité d’en parler la langue, faisant ainsi progressivement disparaitre l’usage de l’anglais. Les pays de l’Asie du sud-est, délaissant l’anglais se mettent tous les jours davantage au Chinois, avec lesquels ils commercent. Depuis quelques mois, la Chine et le Japon ont signé un accord de payement dans leurs propres devises, les Chinois payant leurs importations japonaises en yuan et le Japon payant leurs importations chinoises en yen. L’anglais a disparu de leurs échanges en même temps que le dollar. En a-t-on pris conscience à Québec ?
L’initiative du gouvernement du Québec est, non seulement risible, mais improductive, car les heures d’enseignement qui vont être consacrées à l’anglais vont manquer à la diffusion de vraies connaissances, notamment à celle des sciences, qui constituent la vraie voie de développement de notre peuple, mais aussi à celle de l’histoire des Hommes. Notre présent est issu de notre passé. Comment le comprendre si on ne sait pas d’où il vient ? Les États-Unis ont été battus au Moyen-Orient pour la seule et unique raison qu’ils n’en connaissaient ni la géographie ni l’histoire, ce qui les a poussé à cumuler erreur sur erreur.
Voulons-nous vraiment les imiter ? Que ferons-nous de l’anglais lorsque les États-Unis eux-mêmes parleront chinois ?
***
André Serra
http://andreserra.blogauteurs.net/blog/
http://andreserra.blogauteurs.net/blog/sommaire-des-articles-2/
Cet article répond aux règles de la nouvelle orthographe

Squared

André Serra14 articles

  • 5 990

sciences économique et politique géopolitique - ex directeur administratif - consultant en organisation - éditeur
tél. 514-982-0785





Laissez un commentaire



2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mars 2012

    C'est à peu près ce que je dis à mes petits enfants: Ne perdez pas votre temps à apprendre la langue de Shakespeare; apprenez sans plus à échanger dans cette «langue d'aéroport». Si vous voulez réellement apprendre des langues secondes, pensez à l'espagnol ou au mandarin. Le français, vous l'avez déjà, mais travaillez à l'améliorer pour vous préparer à l'émergence de l'Afrique et de sa centaine de million de locuteurs.

  • Archives de Vigile Répondre

    30 mars 2012

    Encore une perspective démoralisante.
    Les Chinois et leur capitalisme sauvage vont remplacer les Américains et leur capitalisme sauvage comme maîtres du monde.
    On n'est pas plus avancé avec les uns qu'avec les autres.