Les fantômes de Jean Charest

Ce n'est pas Robert Bourassa qui hante le corps du premier ministre, mais, dans une version légèrement édulcorée, le fantôme de Bernard Landry (c'est un compliment).

Élection Québec - 8 décembre 2008

On a eu l'impression que John Parisella et Michel Bisonnette, les deux nouveaux excellents conseillers du chef du Parti libéral, avaient réussi depuis un an à transformer Jean Charest en un nouveau Robert Bourassa. Mais, à écouter les arguments invoqués par M. Charest depuis une dizaine de jours et au débat des chefs, on doit se rendre à l'évidence qu'il y a erreur sur la personne. Ce n'est pas Robert Bourassa qui hante le corps du premier ministre, mais, dans une version légèrement édulcorée, le fantôme de Bernard Landry (c'est un compliment).
J'en suis venu à cette conclusion lorsque, la semaine dernière, M. Charest a répondu à une question portant sur la 53e place sur 60 qu'occupe toujours le Québec dans le palmarès de la richesse nord-américaine. C'était un argument qu'il avait lui-même servi un million de fois à Bernard Landry, lorsque ce dernier était premier ministre. Landry rétorquait que l'important était le revenu familial et la progression du niveau de vie des Québécois. Or, c'est précisément cet argument qu'a utilisé M. Charest en réponse à cette question, et qu'il a resservi pendant le débat à Pauline Marois qui, elle, utilisait l'ancien argument de M. Charest. Cette impression s'est d'ailleurs renforcée pendant le débat des chefs où M. Charest, comme M. Landry en 2003, expliquait que, bien que les choses soient imparfaites, elles allaient beaucoup mieux qu'on ne le pensait et, pour l'essentiel, aussi bien ou mieux qu'ailleurs. Je ne dis pas que c'est complètement faux, mais le Jean Charest de 2003, outillé des mêmes données, aurait certainement tiré la conclusion inverse et s'en serait scandalisé.
Comme je l'explique dans Pour une gauche efficace, le palmarès est en cause, car, s'il comparait le revenu médian plutôt que le revenu moyen, la place du Québec serait bien meilleure. En effet, par personne, les Américains produisent 20 % plus de richesse que les Québécois, mais les 1 % d'Américains les plus riches mettent ces 20 % dans leurs poches, ce qui crée une distorsion et donne l'illusion d'optique que les Louisianais sont plus riches que les Québécois, ce qui est absurde.
Le fait que Jean Charest refuse aujourd'hui de simplement réitérer ses engagements passés sur la réduction du temps d'attente dans les urgences ou sur la remontée du Québec dans ce palmarès désolant nous conduit à une grave interrogation. Est-il aussi scandalisé qu'auparavant, mais refuse-t-il maintenant de le dire, ou a-t-il abandonné toute ambition de modifier significativement la réalité? C'est le débat qu'on aimerait entendre M. Charest avoir avec lui-même.
Le fait que le mot «oui» soit sur tous les poteaux de téléphone du Québec sous le visage souriant du premier ministre libéral, le fait que son ministre du Développement économique, ancien président du Fonds de solidarité et ancien souverainiste, Raymond Bachand, l'ait converti à l'interventionnisme économique à la Bernard Landry (c'est un compliment), le fait qu'il ait annoncé un programme de relance économique et d'accélération des travaux d'infrastructure qui est en fait un «copier-coller» de celui que la ministre des Finances Pauline Marois avait appliqué lors de la crise de 2000, tout cela nous conduit à lancer ce cri d'alarme: «Bernard Landry, sors de ce corps!»

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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