Les mots de Hollande et le combat québécois

Parce que ces mots disaient que, lorsqu’une bonne moitié de la population se bat pour la même chose, les mêmes valeurs, et qu’elle tient bon, non seulement sa lutte est légitime, mais, plus encore, elle doit croire que son tour viendra. Elle doit secouer, se mobiliser et recracher à la face de ceux qui la lui servent leur infâme bouillie.

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise


Mélikah Abdelmoumen - Romancière et chercheuse québécoise établie en France depuis 2005
Le 15 mai, le nouveau président français, François Hollande, rendait cet hommage à Luc Ferry : « Les années qui viennent doivent être celles d’une nouvelle hiérarchie de valeurs au sommet de laquelle se situeront la science, l’intelligence, la recherche, la volonté d’apprendre et de transmettre. Voilà les vertus qui seront les mieux reconnues et les plus respectées. Bien davantage que l’argent. […] L’école doit faire son travail de formation, d’éducation, d’instruction, pour permettre à la génération qui vient de vivre mieux que nous. […] Je suis le garant de l’école publique, le garant de la transmission des connaissances, le garant de la solidarité républicaine, le garant de la promesse qui est faite à une génération de s’élever au-delà de nous. »
Depuis deux jours, je n’ai cessé de me demander pourquoi ces mots m’ont fait fondre en larmes, moi qui n’étais pas follement convaincue par la gauche (trop ?) modérée de Hollande, moi si écoeurée de la France à force de la voir gouvernée par Sarkozy et ses sbires… Et surtout, pourquoi je les ai immédiatement liés, comme par instinct, mais de manière irréversible, à ce qui se passe actuellement au Québec.
[Hier] matin, en apprenant que le gouvernement Charest, avec ce projet de loi spéciale, avait fait le énième pas de trop dans le reniement de toutes les valeurs auxquelles sont attachés les humanistes de tous les pays du monde, j’ai compris. J’ai compris que ces mots du président Hollande m’ont fait pleurer parce qu’ils venaient signer l’arrêt de mort d’une ère nauséabonde qui était parvenue à nous faire oublier, habitants de France, leur profonde évidence et leur nécessité. Cinq ans de néolibéralisme sauvage, de xénophobie décomplexée, de discours haineux assumés jusqu’au sommet de l’État, de dénigrement de tous ceux qui avaient à coeur la promotion, la transmission et la valorisation du savoir - surtout celui qui ne se monnaye pas illico, le savoir « inutile » ou « poussiéreux » des écoles, des universitaires, des artistes et des intellectuels… Cinq ans à féliciter et à encourager ceux qui répandaient partout que le réalisme était de droite (voire d’extrême droite) et l’idéalisme adolescent et niais de gauche.
Les mots du président Hollande sont tombés sur nous comme une évidence enfin redevenue souveraine. Ils sont tombés comme une formidable gifle aux tenants de cette idéologie dont on essayait à toute force de nous faire avaler qu’elle était la pensée dominante (mais elle n’était que la « pensée » d’une moitié qui ne voulait pas lâcher les manettes). Et d’entendre soudain, comme ça, ces mots devenus tabous mais auxquels nous avons toujours cru, oui, nous avons pleuré (je n’étais pas la seule à abuser des mouchoirs devant sa télé ce jour-là).
Parce que ces mots disaient que, lorsqu’une bonne moitié de la population se bat pour la même chose, les mêmes valeurs, et qu’elle tient bon, non seulement sa lutte est légitime, mais, plus encore, elle doit croire que son tour viendra. Elle doit secouer, se mobiliser et recracher à la face de ceux qui la lui servent leur infâme bouillie.
Et en France, les gens qui pensent et envisagent une société digne de ce nom, comme le font le mouvement étudiant québécois et ses soutiens, voient enfin leurs plus fermes convictions réhabilitées… Et voient tassés dans leur coin les libéralismes et les fascismes qui avaient trop longtemps tenu tous les crachoirs !
Hollande n’a été élu que par une petite marge, un peu plus de 51 %. Ç’a suffi pour que cette parole retrouve la place qui lui revenait de droit. On ne peut pas demander à la moitié d’un peuple de marcher à l’ombre et de se la fermer, et espérer que cela tienne éternellement.
Et en réalité, les larmes de Mélikah Abdelmoumen, née à Chicoutimi, élevée à Montréal, établie en France depuis sept ans, mais attachée aux valeurs du Québec comme un naufragé à son radeau, sont simples à expliquer : les mots de François Hollande, et le fait qu’ils aient été proférés par lui le jour où il est devenu président, comme si c’était urgent, m’ont à ce point bouleversée parce qu’ils sont la preuve que les étudiants québécois ne doivent plus écouter un instant ceux qui remettent en doute la légitimité de leur lutte.
Parce qu’eux aussi sont en droit d’attendre, plutôt que ce petit chef accroché à son pouvoir par les dents comme un roquet buté, un dirigeant politique digne de ce nom, qui sache et ose le dire aussi : « Je suis le garant de l’école publique, le garant de la transmission des connaissances, le garant de la solidarité, le garant de la promesse qui est faite à une génération de s’élever au-delà de nous. »
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Mélikah Abdelmoumen - Romancière et chercheuse québécoise établie en France depuis 2005


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