Lettre à un distingué collègue, re Shane Doan

Mais tout cela n'est que broutille de séparatistes sans importance, dites-vous. Le hockey et la victoire du Canada passent avant tout.

Quand le sport devient politique



Monsieur Jeffrey Simpson, The Globe and Mail,

À la lecture de votre chronique d’hier matin, je conclus que le dangereux cocktail politique-hockey vous a un peu monté à la tête.
Pour commencer, je dois dire que je suis d'accord avec vous au moins sur un point : cette histoire de propos anti-francophones attribués à Shane Doan, un joueur des Coyotes de Phoenix, lors d’un match contre les Canadiens le 13 décembre 2005, n’aurait jamais dû aboutir devant le comité parlementaire des langues officielles à Ottawa.
Je suis d’accord avec vous, mais pas pour les mêmes raisons. Les parlementaires n’auraient pas dû s’en mêler, non pas parce que c’est une perte de temps ou parce que ce n’est pas de leur juridiction (la loi sur les langues officielles, c’est bien une loi fédérale, non?), mais parce que cette histoire aurait dû être réglée bien avant, là où elle a commencé: dans la Ligue nationale de hockey.
Mais les ligues sportives professionnelles ne sont pas des démocraties. Elles aiment bien garder les problèmes «dans la famille». L’omertà est particulièrement bien implantée dans la LNH, comme l’ont constaté au fil des ans les quelques rares joueurs qui ont voulu dénoncer des abus, des scandales ou des injustices sur la place publique.
Dans votre chronique, vous faites des procès d'intention bien peu journalistiques aux députés du Bloc membres du comité et à mon collègue Réjean Tremblay, mais ce faisant, vous évitez de poser les vraies questions. Celles qui dérangent, celles qui expliquent, justement, que cette histoire ait pris des proportions de crises nationales.
Par exemple : Comment se fait-il, encore aujourd’hui, que l’on tolère que des propos racistes à l’égard des «frogs» ou des «fucking Frenchman» fusent dans une ligue professionnelle sans que personne ne soit réprimandé?
Ou encore : Comment expliquer que dans ce beau grand pays bilingue habité des valeurs les plus nobles de tolérance et de justice, on passe l’éponge sur ce genre de propos, mais que l’on accuse de tous les maux les députés et les journalistes qui osent remettre en question la nomination du joueur concerné au poste de capitaine d’Équipe Canada? Parlez-en au député libéral Pablo Rodriguez, qui a reçu hier des menaces à son bureau d’Ottawa parce qu’il a reproché à Hockey Canada d’avoir nommé M. Doan sans tenir compte du témoignage du juge de ligne. Des menaces, non mais, c’est fou brac!
Pourtant, tout le monde s’entend (la LNH, les arbitres et Hockey Canada) : quelqu’un sur la glace du Centre Bell, ce soir-là, a traité le juge de ligne Michel Cormier de «fucking frenchmen».
Je m’étonne, Jeffrey, de vous voir accepter sans broncher la version de M. Doan, ce qui est tout de même curieux pour un journaliste de votre expérience. Shane Doan a nié, donc, selon vous, c’est qu’il n’a pas dit les vilains mots qu’on lui reproche. Bien sûr qu’il nie. Réflexe normal quand on faute, surtout quand on sait que le système nous protègera. Un juge de ligne contre une vedette, qui croyez-vous, a le gros bout du bâton devant les sbires de la LNH? Mais vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe une autre version, sous serment, qui identifie bel et bien M. Doan.
Encore là, nous sommes d’accord : faire un procès à Shane Doan dans l’atmosphère malsaine et partisane d’un comité parlementaire, c’est ridicule, mais le cirque parlementaire que vous dénoncez ne se serait jamais produit si la LNH n’avait pas tenté de noyer le poisson.
La réalité, dans cette histoire, c’est que tout le monde se protège le derrière sur le dos des francophones. Le joueur nie, la LNH fait comme s’il ne c’était rien passé, le Canada anglais reproche aux francos leur manque de patriotisme envers Équipe Canada, pardon, Team Canada. Et vous, Jeffrey, vous accusez les «séparatistes» de monter une non-histoire en épingle pour des raisons bassement partisanes.
Vous dites, finalement, que tout ça, c'est de la bullshit de séparatistes, de la bouillie pour les chats qui n'a aucune importance. Pourtant, c’est Denis Coderre qui a attaché le grelot au patin de Shane Doan. On peut dire bien des choses de M. Coderre, mais certainement pas qu’il est séparatiste...
Mais, n’empêche, vous allez jusqu’à avancer que cette non-affaire a été alimentée par un «journaliste sportif séparatiste d’un journal de Montréal», que je présume être mon collègue Réjean Tremblay.
Voilà qui est réducteur et méprisant, cher collègue. Réjean Tremblay est peut-être souverainiste (je m’en fous complètement), mais c’est surtout un chroniqueur respecté, branché et influent qui a su garder intacts, malgré de longues années de service dans cet usant métier qui est le nôtre, son enthousiasme et sa capacité de révolte. Quand il parle de Shane Doan, quoique vos puissiez penser de ses motivations politiques, mon collègue exprime la colère d’une majorité de Québécois.
Je vous sais amateur et même connaisseur de hockey, Jeffrey. Vous connaissez donc l'histoire de Maurice Richard et de sa formidable influence sur le peuple québécois. Pas besoin de vous faire un dessin pour vos faire comprendre nos sensibilités.
C'est vrai que nous, francophones, avons la mèche courte. Mais il faut nous comprendre. À force de se faire traiter de «frogs», à force de se faire répondre en anglais dans tous les ministères fédéraux, à force de se faire lancer des «I don’t speak french» quand on demande un café aux agents de bord d’Air Canada, à force de lire des inepties (notamment dans votre journal, mais ça, je comprends que vous préfériez ne pas en parler) sur les ravages de la loi 101 au Québec, on a la fibre francophone irritée.
Mais tout cela n'est que broutille de séparatistes sans importance, dites-vous. Le hockey et la victoire du Canada passent avant tout.
Je ne comprends pas, à bien y penser, pourquoi vous avez gaspillé une de vos chroniques à cette "non-affaire" comme vous dites, vous qui reprochez aux députés d'avoir perdu leur temps en abordant la question en comité.
À moins que ce ne soit cette irrésistible envie de casser du sucre sur le dos des séparatistes.
Mais je ne vous ferai pas de procès d’intention. Mettons ça sur le compte des deux solitudes. Encore une fois.

Pour joindre notre chroniqueur : vincent.marissal@lapresse.ca


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