Lettre aux baby-boomers et aux aînés

Pourquoi la hausse des frais de scolarité serait aussi à votre désavantage

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012

Un récent sondage commandé par la Fédération Étudiante Collégiale du Québec montre que 61% des plus de 55 ans soutiennent le projet de hausse des frais de scolarité (1) qui, rappelons-le, consiste à augmenter lesdits frais de 75% d'ici 5 ans. Dans l'esprit du Manifeste pour la solidarité intergénérationnelle signé par la Fédération d'Age d'Or du Québec, la présente lettre s'adresse à eux.
Chers aînés, Chers baby-boomers,
Si vous faîtes partie de ceux qui soutiennent la hausse des frais de scolarité, sans doute êtes-vous sensibles à l'argument selon lequel celle-ci permettrait de n'avoir pas à faire payer la facture de l'éducation à l'ensemble de la population par une augmentation des impôts. Faux argument toutefois, car de nombreuses études prouvent que le gel des frais, voire la gratuité scolaire, pourraient très aisément être assumés par l'État québécois sans hausse des impôts ni dégradation des autres acquis sociaux comme la santé : il suffirait pour cela de mieux gérer les taxes déjà prélevées, de lutter efficacement contre l'évasion fiscale ou de percevoir davantage de redevances de la part des compagnies minières (2).
Par ailleurs, cet argument fiscal ne devrait pas faire oublier que ce sont vos enfants, petits-enfants, neveux ou nièces, qui seraient directement affectés par cette hausse et peut-être empêchés d'étudier. Et, si les jeunes de vos familles entreprennent des études, c'est vous qui aurez à assumer une partie des frais qu'ils engageront – lorsque l'État se retire, ce sont les familles qui prennent le relais, et toutes sont loin de pouvoir le faire de façon confortable.
Enfin, dernière chose à garder à l'esprit, l'accessibilité aux études est la source d'innombrables bénéfices collectifs; vos générations ont pu le constater. Le Québec d'aujourd'hui, socialement, économiquement et culturellement avancé, est le fruit des réformes qui ont permis à la majorité de la population d'étudier. Dans les transformations des dernières décennies, vous avez vu qu'étudier n'était pas un « luxe », mais la base même du progrès social et économique : ce vers quoi l'ensemble de la société doit pousser ses jeunes si elle veut pouvoir répondre aux nombreux défis que le cours du temps lui présente sans cesse.
Mais ce sur quoi il faut surtout insister, c'est sur le fait que la hausse des frais de scolarité vous affecterait vous aussi.
La hausse des frais de scolarité s'inscrit dans un vaste projet de retrait de l'État et de privatisation des biens publics. Ce qui se produit en ce moment dans l'éducation se produit également dans le domaine de la santé ou dans celui de la gestion des retraites. Ainsi, en parallèle du projet de hausse des frais de scolarité, on voit apparaître d'autres projets de réforme dans lesquels c'est à vous que l'on demande de faire votre « juste part » : en payant un « surplus » pour les soins de santé dont vous bénéficiez plus que les plus jeunes, ou en contribuant encore plus « personnellement » à vos retraites qu'on ne le fait déjà aujourd'hui, en rendant par exemple les REER obligatoires comme certains rapports le recommandent (3). Les injustices que vous subissez sont les mêmes que celles que les étudiants subissent; et la rhétorique de la « juste part » sert uniquement à isoler et culpabiliser les groupes qui sont frappés par ces injustices.
C'est pour cela que cette hausse vous porterait préjudice : à cause du message qu'elle envoie. L'argumentation du gouvernement est fondée sur l'idée que les jeunes, la génération X, les baby-boomers et les aînés sont autant de groupes séparés aux intérêts distincts, voire contradictoires : la gratuité scolaire pour les jeunes (qui sont prétendument des enfants gâtés) serait à la charge des autres générations. « À chacun d'assumer les coûts qu'il fait porter à la société » entend-on. À ce jeu, ceux qui ont le plus à perdre sont ceux qui ne produisent plus ou pas encore de richesses et qui coûtent le plus à la société. Dans une très belle lettre à son fils parue dans le Devoir le 15 mars, Marcel Blouin disait ainsi la chose suivante : « L'approche comptable ne peut venir à bout de tout. Avec cette logique de la rentabilité, qu'en est-il, par exemple, de l'«utilité» des personnes âgées? À ce propos, que répondrons-nous à ces jeunes devenus maîtres à bord quand ils nous prouveront, chiffres et technologies à l'appui, que nous constituons une perte nette pour le pays? À l'aide de tableaux, de colonnes, de données faisant appel à des notions finement concoctées par des technocrates se rappelant les leçons apprises pendant leur jeunesse, combien pèseront nos arguments de vieillards? Si on ne se ressaisit pas, les aînés que nous deviendrons ne sauront justifier leur existence, je le crains. » (4).
Oui, c'est bien cela qui en jeu dans cette lutte. Veut-on une société où chaque cohorte générationnelle s'affronte aux autres, leur demande des comptes et des preuves de solvabilité, considérant autant celles qui suivent que celles qui précèdent comme autant de parasites potentiels? Ou veut-on une société de solidarité, où chaque génération supporte et accepte le « poids » que constitue les autres? Où le jeune accepte que le vieux ait plus de besoins de santé, et le vieux accepte que le jeune ait besoin de soutien pour se consacrer pleinement à sa scolarité. La société que projette le gouvernement Charest est une société calculatrice et divisée, où les uns sont montés contre les autres et où, en bout de ligne, tout le monde est perdant. La société que défendent nos étudiants en révolte est tout à l'opposée : c'est une société soudée par le partage et la reconnaissance des besoins de chacun.
Alors joignez vos têtes grises et vos têtes blanches à leurs têtes brunes, blondes, rousses ou vertes. Joignez vos voix et vos pas aux leurs. Écrivez à vos députés, écrivez dans les journaux. Appelez les radios et les télévisions. Faites-vous entendre du gouvernement : vous êtes d'importants électeurs pour eux, ils vous écouteront.
Nous sommes tous concernés par cette hausse. À Pâques, en famille, on s'en parle.
Joan Sénéchal

Professeur de philosophie au Collège Ahuntsic
Membre du groupe « Profs contre la hausse »
Membre du collectif Dissensus

Sources
(1) « Sondage : la population souhaite un dénouement de l'impasse », Pascale Breton, 22 mars - http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/education/201203/22/01-4508277-sondage-la-population-souhaite-un-denouement-a-limpasse.php (consulté le 24 mars 2012)
(2) « Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité? », Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, 8 mai 2011 - http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/faut-il_vraiment_augmenter_les_frais_de_scolarite (consulté le 24 mars 2012)
(3) « Le point sur les pensions », Claude Gastonguay, Janvier 2011 - http://www.cirano.qc.ca/pdf/publication/2011RP-01.pdf (consulté le 24 mars 2012)
(4) « Libre opinion - Lettre à mon fils Léo », Marcel Blouin, père de Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), 15 mars 2012 - http://www.ledevoir.com/societe/education/345040/libre-opinion-lettre-a-mon-fils-leo (consulté le 24 mars 2012)


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mars 2012

    Monsieur Sénéchal,
    Dans votre plaidoyer, le passage menaçant envers notre futur état de gens «âgés» et dans le besoin est peut-être inutile, car provocateur pour certains. Cependant je comprends votre argumentation et je fais les mêmes constats que les vôtres. À l'image des États-Unis, nous sommes en voie de tout voir privatisé, cher, inabordable, avec nos ghettos ethniques et en langue officielle anglaise, à la façon britannique.
    Cette folie de nous faire payer sans cesse pour tout et pour rien sous de faux prétextes est insensée, injustifiable et intolérable. C'est devenu insensé à un tel point que nous travaillons chacun chez-nous, dans nos maisons réciproques, à préparer les produits usés (récupération), sans rémunération, avant de les retourner aux entreprises qui s'en serviriont à nouveau pour fabriquer de nouveaux produits à nous vendre. Les entreprises nous font payer pour travailler pour elles. Faut le faire ! Nos ancêtres savait ce qu'était la récupération, pas nous.
    J'appuie les étudiants. J'ai signé la pétiton contre la hausse des frais de scolarité. Cela ne peut que jouer en notre faveur. Il est temps que ce gouvernement corrompu dégage de là.
    Cela dit, je désapprouve le replis sur soi certains de ma génération et de mes aînés (je suis né en 1954) qui se croient à l'abris à cause d'une fausse impression de confort maintenant ébranlé par la réalité que les étudiants nous renvoient en pleine face.
    Ces gens de ma génération ont vite oublié comment les canadiens-français ont toujours été méprisés par la minorité anglaise du Québec et par l'autre Canada. Le sens de la collectivité et de la véritable entraîde semble être disparu au cours des années 1960-1995. On ne compte plus que sur des politiciens carriéristes, croyant fermement que ceux-là vont nous libérer de notre condition de peuple soumis et en voie d'extinction.
    Hé bien, ils nous ont tous leurré jusqu'à présent en se bâtissant pour eux seul un petit monde douillet. Nous vivons un retour arrière sur notre passé. Pour avoir un emploi, il faut désormais parler et écrire l'anglais. Ce n'est pas ma vision du Pays du Québec libre et indépendant, et ce n'était certes pas celles de mes ascendants du bas-Canada.
    La cause des étudiant, vous avez raison, dépasse de loin les simples frais de scolarité qui ne représente, à mon sens, que «la goutte qui fait déborder le vase».

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mars 2012

    Vous raisonnez de manière provinciale sur un problème qui pourrait être résolu par l'indépendance de la patrie et une constitution progressiste assurant, entre autres la gratuité de l'éducation de la maternelle jusqu'au doctorat.
    Que faites-vous des 50 milliards$ que les québécois versent chaque année en taxes, contributions et impôts à un gouvernement étranger qui le dépense en tenant compte de ses intérêts et priorités sans tenir compte des nôtres.
    Il ne faut pas avoir peur de sortir du maudit débat provincial, une fois pour toutes.
    Pierre Cloutier

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mars 2012

    Ma femme et moi avons eu deux enfants. Nous n'avons jamais fait garder les enfants dans des garderies publiques. Nous estimions devoir payer une gardienne à la maison (ma soeur) car, pour nous, il était inconcevable de sortir les enfants de la maison, avant l'âge de la maternelle. Nous avons donc tout payer. En 1977, nous déboursions 100.00 $ par semaine pour faire garder les enfants dans le domicile familial. Et davantage, après cette date.
    Les enfants ont par la suite fréquenté l'école primaire, secondaire publique. Puis le cégep et l'université. Aucune bourse, aucun prêt. Nous n'avons usé d'aucun stratagème pour faire en sorte qu'ils puissent en avoir. Nous avons donc tout payer: appartement, nourriture, frais de scolarité. L'essentiel. Si les enfants voulaient se payer autre chose, ils devaient trouver un moyen de se financer. Le gouvernement devrait nous remercier de lui avoir fait éparger autant d'argent.
    La maison que nous avions achetée en 1976, était simple. C'est lentement, très lentement, que nous l'avons améliorée. De plus, nous n'avions qu'une seule auto. Un simple petit système de sons, une télévision normale, des meubles bien ordinaire. Nous avons vécu une sorte de simplicité volontaire. Et le bonheur a été au rendez-vous.
    Depuis que j'ai pris ma retraite, je donne sans cesse des conférences aux jeunes, bénévolement, sans me faire payer, toujours...Le gouvernement est presque en faillite, je ne suis pas pour lui en demander davantage. Je considère que j'ai été chanceux d'avoir des lieux où j'ai pu poursuivre ma formation académique. J'ai aussi tout payé. J'en suis très fier.
    Je sais que nos gouvernements admnistrent mal. Les familles s'administrent mal itou. Les premiers ont endetté le Québec pour satisfaire les enfants gâtes, les syndicats qui dépassaient les bornes (voir les coupures de René Lévesque en 1982).
    Les familles, enfants compris, vivent au-dessus de leurs moyens. Ils ont des termes sur une foule d'objets de luxe. Les enfant suivent: ils ne peuvent être heureux sans IPod,IPad, téléphone cellulaire, ordinateur dernier cri. Ils viennent à l'école en automobile ( je viens d'en voir encore ce matin à mon ancien cégep), ils travaillent en ville, 20-25 heures semaines pour se payer tout cela. Ils trouvent, de moins en moins de temps pour étudier, lire, se former intellectuellement. J'ai rencontré, bénévolement toujours, une classe de 5e secondaire ce matin, dans mon ancien école polyvalente. Je leur ai demandé s'ils se privaient de quelque chose dans la vie, sacrifiait quelque chose. Quelqu'un m'a demandé ce que je voulais dire...J'ai répliqué: vous arrive-t-il de vous passer de quelque chose, même si vous n'avez pas les moyens de vous le payer. Réponse: si on n'a pas les moyens, on arrive toujours à les trouver. Je n'ai pas demandé de précisions.
    Le Québec actuel me désole. Il n'y a qu'une seule valeur qui triomphe: l'argent. En avoir plus, prendre tous les moyens pour en avoir plus, même si, personnellement ou collectivement on n'a pas les moyens de s'en permettre plus.
    Nous avons besoin d'un supplément d'âme, comme disait Péguy. Nous le trouvons plus puisque la très grande majorité de nos jeunes ne connaissent même pas ce mot.
    C'est triste à en mourir. Certains diront que je suis pessimiste. Non, je suis fort réaliste. Mais le réaliste n'a plus de logis. On aime vivre et enseigner une façcon de vivre décollée de la réalité. Monde virtuel s'il en est. L'argent manque? On invente, ou des solutions ancrées dans le rêve, ou on projette par en avant nos propres frustrations.
    Jeunesse, debout, mais pour la liberté d'esprit et non la liberté de piger allégrement dans le plateau jusqu'à ce qu'il soit vide.
    Nestor Turcotte

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mars 2012

    Madame Sénéchal,
    Ce n'est pas surprenant que les plus vieux soutiennent les hausses.
    Vous ne savez pas encore que c'est ainsi dans la vie?
    Les "satisfaits" bien installés et "morts de rire" protègent leur statut social en le refusant aux autres.
    Les pleins aux as veulent que les étudiants qui bien souvent n'ont pas de travail et pas de salaire paient davantage pour s'instruire.
    Les gens qui veulent l'instauration d'un revenu universel afin que tous puissent vivre décemment au Québec rencontrent un peu le même problème à convaincre les "satisfaits" de la société du bien-fondé d'un tel revenu.