Madame Marois, l’histoire vous ouvre sa porte !

Tribune libre




Madame Marois,

Un an après votre élection comme première femme Première Ministre du Québec, une deuxième grande occasion se présente à vous pour entrer dans l'histoire. Oui Madame, l'histoire vous fait signe de nouveau pour poser un geste fondateur. Celui d'apporter une plus grande cohérence dans le processus de laïcisation de l'État québécois. Aurez-vous assez de courage politique, Madame la Première ministre, pour décrocher le crucifix de l'Assemblée Nationale..?


Devant les crispations identitaires exprimées et manifestées, depuis la commission Bouchard-Taylor, par différents groupes et individus du Québec de toutes origines, il devient urgent de la part de votre gouvernement de poser un geste symbolique notoire. Aussi simple soit-elle, la décision de décrocher le crucifix de l'Assemblée Nationale pour l'exposer au musée du parlement, aura pour effet d'entamer une nouvelle ère au Québec.


Comme beaucoup de citoyens du Québec, je me sens très mal à l'aise avec la présence d'un signe religieux dans l'enceinte parlementaire. Comment assurer une digne représentation politique de tous les citoyens à l'Assemblée Nationale, en continuant à afficher un signe religieux qui ne les concerne pas tous..?


Dans un Québec officiellement laïque, je serai opposé à la disparition de tous les signes, les fêtes et les patronymes qui relèvent du patrimoine québécois. Je partage donc avec beaucoup de mes concitoyens, la notion d'exception patrimoniale. En tant que souverainiste, moi-même, je suis très attaché à la préservation de l'histoire francophone en Amérique du nord.


Néanmoins, contrairement à la croix sur le Mont-Royal, le crucifix de l'Assemblée Nationale ne relève pas du patrimoine historique du Québec. Comme vous savez, accrocher le crucifix au-dessus du Président de l’Assemblée Nationale est une décision de Maurice Duplessis en 1936 qui avait pour but de sceller un pacte avec l'Église. C'était donc un geste hautement politique. Un geste qui va à l'encontre de la laïcité de l'État. Mais ne nous sommes plus en 1936!


Si les principes de laïcité sont fondés sur la séparation du religieux du politique, le crucifix à l'Assemblée Nationale représente tout le contraire. Il représente, d'une façon flagrante, une fusion, pour ne pas dire une confusion, du religieux avec le politique. Dans ce sens, le crucifix, tel que présenté dans notre Assemblée, contredit l'esprit même de toute charte de la laïcité qui porte un projet rassembleur pour la société québécoise.


Il est vrai que le contenu de votre charte sera révélé seulement dans quelques jours par votre gouvernement, mais tout le monde a compris, qu'en qualifiant les valeurs communes du Québec de valeurs québécoises, votre gouvernement a fait le choix de tirer profit d'un malaise identitaire qui règne au Québec.


Pour votre information, ce malaise ne concerne pas uniquement des francophones du Québec. Je ne m'étalerai pas ici sur le contexte politique international qui a généré chez beaucoup de citoyens dans le monde un sentiment de repli sur soi. Mais malgré les chicanes qui ont dominé le Québec dans les dernières années sur les questions d'accommodement, j'ose croire et espérer que le Québec a encore la possibilité d'échapper aux effets négatifs d'une crise de civilisation.


Le Québec est riche d'une longue tradition d'accueil, d'ouverture et de tolérance. Néanmoins, sa réalité multiculturelle et multi-religieuse impose l'établissement de nouvelles règles pour permettre le vivre ensemble. Une charte de la laïcité sans connotation identitaire s'impose à tous les citoyens. Si les règles de votre charte de la laïcité prétendent ne pas privilégier une religion à une autre, prêcher par l'exemple devient la seule façon d'être cohérent et conséquent. Pas de place à un signe religieux au sommet de l'État.



Contrairement à ce que les grands médias au Québec laisse entendre depuis quelques années, sur les questions de laïcité, le Québec n'est pas divisé en deux: D'un côté les immigrants avec leur présumé attachement viscéral à la religion et de l'autre les natifs (les de souche) qui seraient devenus les adeptes d'une laïcité totale. Les opposants au maintien du crucifix à l'Assemblée Nationale, par exemple, sont de toutes les consciences et de toutes les origines.


Si vous voulez enlever toute impression à certains groupes issus de l'immigration que votre charte ne les vise pas en particulier, faites disparaître de vos discours, de votre charte et de notre Assemblée nationale toute référence à l'identitaire. En France, le Président Sarkozy, avait joué la carte de l'identitaire durant son mandat, il a provoqué une crise sociale. Son ministère de l'Identité Nationale a été conçu spécialement pour se faire du capital politique en attisant la peur de l'autre.



Les propos haineux exprimés dernièrement au Saguenay sur les murs d'une mosquée ne soulèvent pas uniquement l'indignation des associations musulmanes du Québec. Tout citoyen attaché à un vivre ensemble doit se sentir concerné par un tel acte. C'est sûrement un acte isolé, mais il soulève déjà, et avec raison, des interrogations quand aux possibles liens avec le discours identitaire de votre gouvernement. Je crains fort que votre charte de valeurs québécoises ne soit fondée sur la peur de l'autre avec des conséquences semblables à l'incident de Saguenay.


Souvent un geste symbolique, peut avoir plus d'effet que tous les discours politiques.


En décrochant le crucifix du mur de l'enceinte parlementaire, vous mettrez toutes les religions du Québec sur un même pied d'égalité. N’est-ce pas là un des fondements de la laïcité? Par la même occasion, vous mettrez fin aux arguments victimaires de tous les Québécois, de toutes origines et de toutes confessions, qui confondent charte de la laïcité et charte de l'identité. Ainsi vous apporterez à votre charte plus de cohérence et moins de contradictions.


J'ose présumer que vous et les membres de votre gouvernement, vous êtes conscients de la contradiction qui caractérise votre charte. Rien n'indique pour l'instant que les règles qui interdiraient tous les signes religieux dans l'espace civique inclut le crucifix de l'Assemblée Nationale. Je présume également, qu'en tant que gouvernement minoritaire, des calculs purement électoralistes vous empêchent de mettre fin à cette contradiction.


Comme vous devez savoir Madame Marois, c'est dans ces occasions que les hommes et les femmes politiques peuvent démontrer leur grandeur en faisant preuve de courage. Ne pas le faire, vous fera peut-être gagner des voix, juste assez pour élire un gouvernement majoritaire. Mais à quel prix..? Oui, à quel prix Madame ? Sacrifier le vivre ensemble sur l'autel des ambitions bassement électoralistes.


Vous avez une occasion Madame la Première Ministre de démontrer que l'intérêt général peut l'emporter sur le particulier.


Une autre occasion s'ouvre à vous pour entrer dans l'histoire.


Ne la manquez pas!


Mohamed Lotfi

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2013

    Merci de ne pas toucher à cette croix, le plus grand symbole d'Amour de tous les temps; elle nous appartient et nous la gardons. Pouquoi?
    Nos ancêtres sont venus avec l'étoile polaire comme guide; ils sont venus déposer la croix également comme guide, pour nous, du futur.
    J'entend déjà du bouillon laïque s'agiter dans la marmite, mais je m'en fiche pas mal; la croix est notre figure de proue que ça plaise ou non. Ce n'est pas en enfermant l'humanité dans un bunker laïque qu'on réglera les problèmes de l'univers.
    La croix est un vaisseau spatial vers Dieu et j'entend bien moi-même être du voyage de libération des catacombes laïques. Bonne nuit.
    Serge Jean

  • Martin Perron Répondre

    4 septembre 2013

    Maître chanteur sur un ton assuré tenait en son bec un fromage d'une sale odeur qu'il disait appartenir à tout le monde. La Première ministre d'un pas décidé lui tint à peu près ce langage: « Maître chanteur de la loge maçonnique, si votre sang de cochon se rapporte à votre air de porc frais, vous êtes sûrement le plus grand bonimenteur de ces bois». Oubliant un instant ses menaces, le maître chanteur ainsi dévoilé, ouvrit son bec et laissa tomber son mauvais fromage. La Première ministre, satisfaite, s'en retourna consciente d'avoir servi son peuple et Don Camillo, bien installé là-haut, sourit.
    Bien sûr, ceci est écrit pour divertir et ne prétend pas à la vérité qui sera connue plus tard.

  • Pierre Gouin Répondre

    4 septembre 2013

    Même avec huit millions d'individus cohérents on ne ferait pas une société cohérente. La laïcité de l'État ça ne se décrète pas comme l'autorisation de virer à droite aux feux rouges. La question cruciale de l'influence de l'Église sur le politique a été réglée depuis longtemps. L'évolution vers un État laïc s'est amorcé il y a quelques décennies et aujourd'hui la société québécoise est prête à accepter une loi qui officialisera des éléments très importants de laïcité. On verra exactement d'ici quelques mois ce qui sera retenu mais ce qui est certain c'est que la loi s'appliquera de la même façon à toutes les religions. L'immigrant doit s'adapter à la société d'accueil et accepter que cette société soit en évolution.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2013

    L'auteur nous invite à une re-définition des priorités.
    Il faut rappeler que si le crucifix qui provoque le malaise de notre auteur est suspendu là où il est depuis 1936, personne, ou si peu, ne s'en formalisaient jusqu'ici. En tout cas, il n'a pas empêché la laïcisation graduelle qui s'est accélérée depuis les années 1960, si bien que la relation entre l'État et le citoyen est aujourd'hui essentiellement dépourvue de connotation religieuse.
    L'auteur semble vouloir ignorer que l'acuité avec laquelle se pose aujourd'hui la question des valeurs communes n'a rien - ou si peu - à voir avec le crucifix mais avec une immigration massive qui amène sur notre sol des minorités, parmi des minorités, peu disposées à s'adapter au comportement de la majorité. Nous vivons depuis une décennie une recrudescence de demandes d'accommodements, sinon à leur mise en pratique délibérée dans l'espace public en vue d'en forcer l'acceptation par la majorité. Le débat actuel prend sa source dans cette réalité recomposée. Or, comme la doxa libérale de l'immigration massive semble impossible à remettre en cause dans un avenir prévisible, le gouvernement se croît justifié d'intervenir en amont en forçant l'harmonisation raisonnable des comportements publics.
    Votre intervention s'écarte de ce constat, elle l'ignore, et redéfinit plutôt les termes en vue de cibler ostensiblement comme problème la présence purement symbolique du crucifix à l'AN.
    Vous nous dites partager la «notion d'exception patrimoniale», j'aurais préféré que vous parliez d'avantage de droit que d'exception.
    En fait, votre propos m'inquiète lorsque vous avancez que la préservation du patrimoine catholique, puisque c'est celui là que vous ciblez, aurait un caractère exceptionnel, et vous ajoutez :
    «Dans un Québec officiellement laïque, je serai opposé à la disparition de tous les signes, les fêtes et les patronymes qui relèvent du patrimoine québécois.»
    Vous êtes-vous mal exprimé ou pourriez-vous nous dire combien il resterait de ces signes à terme, si ils ne sont pas tous condamnés à la disparition ? Le patrimoine religieux historique de la nation fondatrice est forcément plus présent que tout autre, a-t-il simplement trop de poids à vos yeux pour qu'il soit tolérable ? Bref, je me demande si votre malaise ne vient pas tout simplement d'un refus d'embrasser la nation dont vous souhaitez la souveraineté dans sa dimension historique et ses prolongements?
    Gilles Verrier

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    4 septembre 2013

    M. Lotfi,
    Une convention veut que l'usage abusif des CARACTÈRES GRAS soit perçu comme d'un langage agressif. Et l'abus aussi du procédé de défi (avoir le courage...) rend méfiant sur les intentions de l'auteur.
    De plus, des imprudences langagières peuvent rebuter:
    "Je crains fort que votre charte de valeurs québécoises ne soit fondée sur la peur de l’autre avec des conséquences semblables à l’incident de Saguenay."
    Ne pouvez-vous pas imaginer la ruse de l'adversaire? Il est souvent vu en politique de machiavéliques activistes provoquant des gestes haineux pouvant être automatiquement imputés à l'adversaire... Tout journaliste sérieux se méfie des accusations simplistes. On a vu des policiers, dans notre histoire nationale, commettre des crimes pouvant faire condamner les "séparatisss..." ou, plus récemment, les étudiants...

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2013

    Bonjour M. Lofti,
    Selon vous, la charte serait identitaire si:
    1- On la nomme charte des valeurs québécoises plutôt que charte de la laïcité.
    2- Elle permet de laisser le crucifix à l'Assemblée Nationale.
    Est-ce qu'il faut que les deux conditions soient réunis, ou si seulement l'une ou l'autre suffit?
    Merci,
    Gaston Carmichael.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 septembre 2013

    Et qui plus est, un tel geste, s'il est bien préparé, présenté comme positif (ce qu'il est puisqu'il permet de faire valoir notre histoire, ce que la localisation actuelle de ce crucifix ne permet pas) avec tout les moyens dont dispose notre gouvernement et surtout surtout, surtout s'il est pleinement assumé malgré la tempête qu'il ne manquera pas de susciter, ce geste pourrait même être vraiment payant politiquement par le courage qu'il demande pour le poser plutôt que de tenter de sauver la chèvre et le choux.