L'actuel leader de l'ADQ et l'ex-chef du PQ s'accordent à réclamer d'une seule voix une enquête publique sur Option Canada. Mario Dumont et Bernard Landry exigent aussi du premier ministre du Québec, Jean Charest, qu'il s'explique sur ce qu'il savait de l'organisme qui aurait financé illégalement la campagne du Non au référendum de 1995.
Pendant qu'André Boisclair indiquait qu'il ne réagirait qu'aujourd'hui au livre signé par Normand Lester et Robin Philpot, son prédécesseur à la tête du Parti québécois a accueilli les allégations comme une nouvelle preuve que le camp du Oui s'est fait "voler" le plébiscite, il y a 10 ans.
L'enquête doit-elle être publique ? "Absolument", a lancé M. Landry. "Ce n'est pas pour fouiller dans le passé", mais pour faire la lumière sur des événements entourant un moment marquant de la société québécoise, a-t-il soutenu.
Bernard Landry a laissé entendre qu'il partage une opinion des deux auteurs. Les dirigeants du camp du Non "ne pouvaient pas ne pas savoir" ce qui se passait avec Option Canada.
Le premier nom qui lui vient en tête parmi ceux qui "ont des réponses à donner", c'est celui de son adversaire politique et premier ministre québécois. Jean Charest "ne peut plus rester silencieux, a statué M. Landry. Il faut qu'il brise son silence".
Le leader de l'Action démocratique du Québec a été tout aussi catégorique. Mario Dumont appuie à fond la demande d'enquête publique formulée par MM. Lester et Philpot. "Ce n'est pas d'hier" que les soupçons pèsent sur Option Canada quant à des violations de la loi québécoise sur le financement politique, a-t-il rappelé.
"Ce qui est surprenant, a ajouté l'adéquiste, c'est la force avec laquelle les auteurs affirment que des gens ne peuvent pas ne pas être au courant, (...) dont Jean Charest. À l'époque, il était chef d'un camp au fédéral.
"Il se retrouve aujourd'hui visé par des accusations assez graves, a-t-il enchaîné. Il ne peut s'abstenir. Absolument, il doit commenter." Mario Dumont a cependant estimé qu'il ne croit pas que la victoire ait été "volée" au camp du Oui, dont il faisait partie. "La propagande, c'est en tant que payeur de taxes que ça me révolte. Dire que les gens savaient pas ce qu'il faisait à cause de ça ? Le constat, c'est qu'en 1995, les Québécois étaient divisés moitié-moitié."
Une voix discordante
Proche conseiller de Jacques Parizeau en 1995, l'ex-journaliste Jean-François Lisée croit lui aussi qu'une enquête publique est le meilleur moyen de vider le sujet. "Moi, je suis tout à fait d'accord, a indiqué M. Lisée. Dans un cas comme celui-là où le respect de la démocratie et de nos règles est en cause, l'enquête publique est la meilleure solution".
Contrairement à une enquête policière, par exemple, un individu ne peut plaider coupable et cesser de fournir de l'information, poursuit-il. Par ailleurs, le cas du financement de la manifestation de l'amour, le fameux love-in, reste toujours à éclaircir. "Il y avait d'autres sources au-delà même d'Option Canada, affirme M. Lisée. Il reste des couches à gratter, c'est sûr."
Parmi les personnes interrogées par LE SOLEIL, hier, seul l'ex-DGE Pierre-F. Côté estime que l'investigation n'a pas à se faire publiquement. Il a été DGE pendant 20 ans, jamais il n'a tenu une enquête publique et "ça a toujours donné satisfaction. Ça a toujours été la responsabilité du DGE, de ses enquêteurs et de ses avocats", dit-il.
M. Côté craint que la création d'un précédent n'entraîne l'obligation de se soumettre trop souvent à ce type d'enquête. "Ça n'aurait pas de bon sens, croit-il. C'est fastidieux, c'est difficile pour la réputation des gens, c'est long, c'est compliqué. L'enquête Gomery est une grosse exception."
L'actuel titulaire du poste de DGE, Marcel Blanchet, n'a pas encore tranché quelle forme prendra l'investigation. Son porte-parole, Denis Dion, a mentionné que M. Blanchet "regarde s'il a juridiquement les pouvoirs" de tenir une enquête publique. L'institution existe depuis 60 ans et jamais le DGE n'a eu recours à une telle procédure.
En entrevue à Radio-Canada, Marcel Blanchet a laissé entendre que les documents fournis par MM. Philpot et Lester apparaissent "de prime abord" suffisants pour ouvrir une enquête. Mais il ne saurait y avoir de "poursuites pénales" en raison des délais de prescription. "Mais rien empêche d'enquêter pour faire la lumière."
Les auteurs du livre Les Secrets d'Option Canada ont contacté le bureau de la vérificatrice générale du Canada pour lui remettre les documents obtenus. Sheila Fraser pourra se pencher de nouveau sur le dossier, mais elle n'a pas à juger de ce qu'Option Canada a fait de l'argent. La vérificatrice regardera si l'octroi des subventions s'est fait dans les règles et si le ministère du Patrimoine canadien s'est assuré d'une reddition de comptes adéquate.
LES SECRETS D'OPTION CANADA
Le 7 septembre 1995, exactement 23 jours avant le lancement officiel de la campagne référendaire où le Non devait l'emporter de justesse, est née Option Canada. Baptisée "la mystérieuse", voire l'"organisme clandestin" dans le livre que lui consacrent Normand Lester et Robin Philpot, la formation est issue du Conseil pour l'unité canadienne (CUC), lui-même créé en 1964. Elle fut dès le départ financée par le ministère du Patrimoine, dont le titulaire était à l'époque Michel Dupuy. Mais le secret était si bien gardé que même le directeur des élections du Québec, Pierre-F. Côté, ignorait son existence jusqu'à ce qu'un article paraisse dans The Gazette, en 1977.
LES AUTEURS DU LIVRE
Normand Lester, coauteur des Secrets d'Option Canada, est un journaliste pamphlétaire reconnu comme spécialiste de l'enquête. Il a oeuvré pendant 35 ans à Radio-Canada, avant de faire paraître Le Livre noir du Canada anglais, un ouvrage en trois tomes, dont le premier a précipité son départ de la société d'État. Le troisième tome est sorti en 2003.
Robin Philpot, qui signe le présent ouvrage avec M. Lester, est ontarien d'origine, mais il habite le Québec depuis 1974. Il est diplômé en histoire et en lettres de l'Université de Toronto. En 2005, il a publié Le référendum volé.
Ministère du Patrimoine canadien
REVENU TOTAL D'OPTION CANADA : 5 259 380,41 $
Dirigé à l'époque par Michel Dupuy
Conseil de l'unité canadienne (CUC)
Président du c.a. à l'époque : Michel Vennat
(Ami de Jean Chrétien, il a plus tard succédé à François Beaudoin comme président de la Banque de développement du Canada (BDC), après que ce dernier eut refusé une subvention au propriétaire de l'Auberge Grand-Mère. Il fut impliqué dans le transfert d'argent des commandites à l'entreprise de Robert-Guy Scully, qui a produit Le Canada du millénaire. Michel Vennat fut évincé de la BDC par Paul Martin.)
Président du CUC : Peter G. White
(Ancien bras droit de Conrad Black.)
Secrétaire : Michel Robert
(Nommé depuis juge en chef du Québec par Jean Chrétien)
Option Canada : membres de la direction
Président : Claude Dauphin
(Ancien conseiller de Paul Martin, il est aujourd'hui vice-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, responsable de la Sécurité publique et maire de l'arrondissement de Lachine.)
Secrétaire-trésorier : Michel G. Hudon (avocat chez Colby, Monet, Demers, Delage & Crevier.)
Directeurs généraux :
René Lemaire puis
Jocelyn Beaudoin
(Lemaire travaillait au CUC lorsque Normand Lester et Robin Philpot l'ont joint en juin dernier. Quant à Beaudoin, il est l'actuel délégué du Québec à Toronto.)
DES CITATIONS TIRÉES DE L'OUVRAGE
- "...Dans une boîte remplie de documents comptables d'Option Canada, laissée près d'un bac à déchets par une âme charitable, nous avons trouvé ce qui permet d'abattre le mur de l'argent et de découvrir le pot aux roses."
- "Michel Dupuy a été dégommé du Patrimoine canadien en janvier 1996 pour être remplacé par le pit-bull de l'identité canadienne Sheila Copps qui, elle, sait où est passé l'argent d'Option Canada, mais refuse de le dévoiler."
- "Tout le secret entourant Option Canada, jumelé aux très nombreux trous de mémoire de ses dirigeants et à leur capacité de tourner allègrement la page sans jamais rendre de comptes sur l'utilisation de plus de 5 M $ de fonds publics, fait drôlement penser au célèbre scandale appelé pudiquement le scandale des commandites."
- "Les représentants des entreprises les plus riches et les plus prospères du Canada monnayaient leur soutien au fédéralisme. Ils étaient prêts à chanter en choeur le Ô Canada pourvu que les libéraux, avec qui ils sont de connivence depuis toujours, assument la note par l'entremise d'une officine secrète."
- "Selon des sources qui requièrent l'anonymat, la coordination entre Option Canada et le Comité pour le NON était très étroite, quotidienne. Les dirigeants d'Option Canada, Claude Dauphin, René Lemaire et Jocelyn Beaudoin en tête, étaient constamment au téléphone avec le war room du Comité pour le NON."
- "L'enquête que nous avons menée au sujet du Programme des valeurs canadiennes d'Option Canada démontre hors de tout doute que ce programme servait à payer des " bénévoles " du camp du NON pendant la campagne référendaire, surtout dans les circonscriptions où les organisations libérales du PLQ ou du PLC étaient en difficulté."
- "Les documents d'Option Canada soulèvent de sérieuses questions et interpellent plusieurs personnes [...] Parmi ces personnes :
les dirigeants d'Option Canada, dont Claude Dauphin, Jocelyn Beaudoin, René Lemaire, Michel Vennat et Michel G. Hudon ;
les dirigeants du Comité des Québécoises et des Québécois pour le NON, dont son chef Daniel Johnson, sa vice-présidente Liza Frulla, l'actuel premier ministre du Québec Jean Charest, qui représentait le Parti conservateur au sein du Comité pour le NON, la ministre fédérale Lucienne Robillard qui représentait le Parti libéral du Canada et l'agente officielle Nathalie Bernier ;
les dirigeants d'entreprises de communication qui ont facturé du travail à Option Canada pendant la période référendaire, dont Yves Gougoux et John Parisella de BCP."
Édité par Les Intouchables, Les Secrets d'Option Canada arrivent demain en librairie.
Mario Dumont et Bernard Landry veulent une enquête publique
Charest sommé de s'expliquer
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