Le président américain Barack Obama a démontré qu’il n’était pas prêt à utiliser toutes les mesures à sa disposition afin de mettre un terme à la crise, renvoyant ainsi une image de faiblesse aux Américains.
Photo : Agence Reuters Jason Reed
Vincent Boutet-Lehouillier - Montréal - C'est fait. Après plusieurs semaines d'intenses négociations, les leaders des démocrates et des républicains en sont finalement arrivés à un accord, et ce, comme on devait s'y attendre, à quelques heures à peine de la date limite. Le pire a été évité: le gouvernement américain continuera à payer ses dettes sans avoir à suspendre les paiements d'aide sociale, le salaire des militaires, ou une myriade d'autres services dont dépend la population américaine. Pas de décote majeure. Pas de dégringolade des marchés financiers. Somme toute, la vie reprend son cours normal — pour le moment.
Au décompte final, 269 représentants ont voté pour le Budget Control Act (le nom fait sourire), tandis que 161 ont voté contre. Un vote moins serré que ce à quoi on aurait pu s'attendre. Parmi ces 161 représentants, 95 démocrates et 66 républicains.
Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi ces 66 républicains ont voté comme ils l'ont fait: liés pour la plupart au Tea Party ou à l'aile droite du parti, ils ont adopté une position radicalement idéologique, soit par conviction personnelle soit parce qu'ils gagnent à courtiser un électorat qui s'identifie fortement à ces valeurs. Les 95 démocrates, eux, se sont simplement sentis floués. Obama, croient-ils, a cédé au chantage.
Et, pour l'essentiel, ils ont raison.
Absence de compromis
Qu'on ne s'y trompe pas: le système politique américain, qui s'articule autour de la séparation des pouvoirs entre les trois branches du gouvernement (législatif, exécutif, et judiciaire), ne peut fonctionner adéquatement que lorsque les acteurs politiques acceptent de conclure des compromis. Sans compromis, le processus politique devient rapidement dysfonctionnel. En ce sens, plusieurs des représentants démocrates se seraient sentis floués peu importe le contenu du texte législatif, sachant que les compromis déplaisent généralement aux acteurs les moins centristes, de droite comme de gauche.
Ici, au contraire, ce n'est pas le compromis mais son absence qui caractérise l'entente conclue dimanche dernier.
Rappelons les événements. De par la loi, le gouvernement américain ne peut s'endetter au-delà d'un certain seuil sans l'autorisation du Congrès, qui relève périodiquement ce seuil («plafond»). Près de 80 fois depuis la Première Guerre mondiale, par les démocrates comme par les républicains.
À l'origine, cette mesure avait été mise en place afin d'augmenter la liberté d'action du président durant la guerre, de façon à ce qu'il n'ait pas à consulter le Congrès chaque fois que de nouveaux fonds devaient être débloqués. Par la suite, la mesure est demeurée, simple formalité sauf en de rares exceptions. Mais, cette année, certains républicains radicaux, pour la plupart membres de la Chambre des représentants, ont décidé d'en faire leur cheval de bataille, comprenant le potentiel dévastateur que pouvait avoir cette mesure.
Ils n'allaient pas relever le plafond, même à court terme, à moins qu'on leur donne le «cut, cap, and balance» (littéralement: couper, plafonner, équilibrer). Plus concrètement: réviser la Constitution afin d'interdire les déficits budgétaires, limiter de façon permanente le budget de l'État à 18 % du PIB et amorcer immédiatement d'importantes coupes budgétaires. Des demandes fantaisistes dans le régime de séparation des pouvoirs.
Même les républicains du Sénat, pour la plupart, n'y croyaient pas. Et pourtant, les radicaux du Tea Party se sont campés dans leurs positions et ont tenu bon. Peu importe les conséquences désastreuses pour l'économie américaine, peu importe les risques de récession mondiale. Et qu'importe si les soldats ne reçoivent pas leur solde — bien étrange démonstration de patriotisme venant de républicains.
Processus détourné
Obama, comme une majorité d'experts, faisait pour sa part la promotion d'une approche dite équilibrée: réduire les dépenses, certes, mais aussi augmenter les revenus. Seule façon réaliste de limiter la dette à long terme. Un véritable compromis: des compressions, souhaitées par la droite, mais aussi une fiscalité plus équitable, comme le demandait la gauche.
Mais, au terme du vote, c'est une frange minoritaire de la droite qui l'emporte sur le reste des acteurs politiques, détournant le processus politique à ses fins partisanes. Alors que l'entente impose des coupes initiales de 897 milliards de dollars (dont une partie en prêts étudiants abolis), elle ne compte aucun revenu additionnel. Par ailleurs, un comité spécial sera créé, ayant pour mission de réduire le déficit d'environ 1500 milliards de dollars supplémentaires d'ici 2021.
Le hic: lorsque le comité déposera son rapport le 2 décembre prochain, Obama et les démocrates en seront au même point. La querelle reprendra de plus belle, les républicains accusant les démocrates de vouloir ruiner le pays en le taxant à mort.
Le président a démontré qu'il n'était pas prêt à utiliser toutes les mesures à sa disposition afin de mettre un terme à la crise, renvoyant ainsi une image de faiblesse aux Américains. Obama n'a pas tenté d'invoquer le 14e amendement, lequel interdit à l'État de remettre en question la validité de la dette publique. Il a de plus ignoré l'avis d'experts constitutionnels pour qui le président, en tant que dépositaire ultime de l'intérêt national, était habileté à relever lui-même le plafond d'endettement en l'absence de négociations de bonne foi.
Même si on avait remis en doute la légitimité de ses actions, la crise aurait été résolue à court et moyen terme. La contestation judiciaire aurait probablement pris des années. Entre-temps, Obama serait ressorti grandi de la crise, sinon aux yeux de l'électorat, du moins aux yeux des historiens de demain. Il a plutôt été battu — à plate couture, et par sa propre faute.
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Vincent Boutet-Lehouillier - Montréal
Dette américaine
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