Parlez-vous français ?

Chronique de Louis Lapointe

«Parlez-vous français ?»
C’est de cette façon, avec ces mots, que plusieurs «quêteux» nous abordent dans l’arrondissement Ville-Marie à Montréal. Que nous leur répondions en français ou en anglais leur importe peu, tout ce qu’ils veulent, c’est une poignée de petite monnaie, de préférence des « huards ».
Voilà pourquoi ils nous vouvoient en français plutôt que de nous tutoyer en anglais, auquel cas ils obtiendraient beaucoup moins des passants de ce quartier de Montréal où la population et les travailleurs sont majoritairement francophones.
Même s’ils nous vouvoient, parlent-ils mieux français pour autant ? On peut très bien vouvoyer les gens, être poli et s’exprimer dans un français lamentable.
***
Nos enfants ne vont pas à l’école pour porter des uniformes ou y vouvoyer le personnel, ils y vont pour apprendre. Ce que nous attendons de leurs professeurs, c’est qu’ils les intéressent aux matières qu’ils enseignent, le français, de préférence la littérature; l’histoire, en particulier la leur; les sciences, surtout les aspects technologiques qui transforment notre univers quotidien à vitesse grand V et qui les touche!
Aussi étonnant que cela puisse paraître, plusieurs parents québécois souhaitent d’abord que leur progéniture apprenne l’anglais avant toute autre matière, afin qu’elle puisse s’adresser en anglais aux Anglais du Québec qui, paradoxalement, sont de plus en plus des allophones dont l’anglais est, comme pour nous, la deuxième langue. Ils veulent que leurs enfants soient parfaitement bilingues.
Nous le savons tous d’expérience, la conversation demeure la meilleure façon d’apprendre une autre langue. Voilà pourquoi plusieurs parents pensent que les classes d’immersion en anglais sont la meilleure façon d’apprendre l’anglais. Plusieurs Québécois présument que cela pourrait même permettre à leurs enfants de devenir plus riches un jour.

De là à dire que la plupart des Québécois croit que l’anglais, plus que toute autre matière, rend leurs enfants plus intelligents, il n’y a qu’un pas. S’agit-il du meilleur passeport pour un avenir meilleur, plus que les humanités ou les sciences ? Une panacée ? Je ne le crois pas.
Tous nos enfants ont des forces et des faiblesses. L’enseignement de bonnes bases dans les principales disciplines devrait normalement suffire pour les initier avant qu’ils fassent leurs propres choix.
Il n’y a pas que la langue anglaise qui enrichit les enfants. C’est aussi vrai pour les autres langues et c'est surtout le cas de leur propre langue, le français, qu’ils devront nécessairement maîtriser s’ils veulent s’approprier les langages spécialisés associés aux autres matières enseignées à l’école.
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. » Une célèbre citation de Nicolas Boileau qui exprime bien pourquoi la science et la technologie sont des produits de la langue et de la culture qui les sous-tendent. Si nous pensons et innovons grâce à notre langue maternelle, nos référents sont d’abord culturels et historiques.
Sans langue commune pour transmettre les connaissances, sans les apprentissages, il est difficile de développer des habiletés dans l’une ou l’autre des disciplines enseignées à l’école. Tous les savoirs enrichissent lorsqu’on se donne la peine d’y mettre les efforts nécessaires pour les acquérir. L’anglais n’y échappe pas lui non plus. Comme pour les autres matières, un enseignement normal devrait suffire.

Le problème avec ces présumées classes d’immersion de sixième communément appelées «bain linguistique», c’est qu’elles n’en sont pas. Les enfants qui les fréquenteront ne seront pas immergés dans un véritable milieu anglophone, ils seront entre eux. Comment feront-ils la conversation anglaise avec leurs voisins de pupitre si aucun d’entre eux ne parle déjà l’anglais ?
Alors, pourquoi des classes d’immersion en sixième? Pour faire plaisir aux parents?
S’il est probable que peu d’enfants apprendront convenablement l’anglais dans ces classes, il y a de fortes chances qu’ils n’apprennent presque rien durant cette moitié d’année scolaire tout simplement parce qu’il existe peu ou pas, au Québec, de professeurs formés pour enseigner en anglais langue seconde, l’histoire, les sciences et les mathématiques.
Je le sais parce que mon quatrième enfant a peu appris pendant ces 6 mois passés dans une classe d’immersion de Brossard. Son professeur était un professeur d’anglais langue seconde bien intentionné qui n’avait malheureusement jamais enseigné les matières obligatoires à l’élémentaire.
Ce temps que les enfants de cette classe auraient pu consacrer à améliorer d’autres disciplines, surtout le français, ils l’ont consacré à faire semblant d’apprendre l’anglais pour rassurer leurs parents. Comme bien des enfants de cette classe, c’est parce ma fille voulait suivre ses amies que nous avons accepté qu’elle fasse l’expérience. Heureusement, elle n’a rien perdu, car le curriculum de sixième année est une synthèse de l’élémentaire. De là à dire que les élèves n’apprennent rien de nouveau en sixième…
Pour être efficace, l’immersion doit être faite de préférence dans un milieu anglophone, la meilleure formation de l’avis des spécialistes. Tous mes enfants en ont fait l’expérience dans le cadre d’un emploi rémunéré, volontairement à l'extérieur du Québec et bien involontairement à Brossard.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, mes deux aînées ont d’abord appris la conversation anglaise en travaillant dans les commerces de Brossard où une bonne proportion de clients ne parle pas français. Souvent des allophones et parfois des « devenus anglophones » de l’île de Montréal déménagés sur la Rive-Sud qui n’ont jamais eu besoin d’apprendre le français. Il est possible de vivre toute sa vie à Brossard sans jamais dire un seul mot français. Un lieu d’immersion rêvé pour tous ceux qui veulent faire la conversation en anglais !
Il faut être aveugle pour ne pas constater que nos enfants baignent malgré eux dans un univers anglophone, même ceux d’entre eux qui résident en région. L’anglais entre dans leur vie, à la maison, grâce à la télévision, la musique et Internet. Dès qu’ils seront mis en contact avec des anglophones, plusieurs auront alors ce réflexe que leurs parents souhaitent les voir développer, s'adresser à eux en anglais.
«Do you speak english ?»

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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6 commentaires

  • Raymond Poulin Répondre

    16 mars 2011

    Avant que d'être bilingue, ce qui signifie davantage que de savoir s'exprimer en pidgin (four letters words english language) il faut d'abord savoir lire et écrire correctement sa propre langue. Mes années d'enseignement m'autorisent à croire que ce n'est pas le cas de la majorité des Québécois scolarisés depuis vingt ans. Cet engouement pour le supposé bilinguisme, dans un territoire où 90% des emplois n'exigent pas réellement la connaissance de l'anglais, relève de la pensée colonisée. Ce n'est pas le peuple qui est responsabler de cette stupidité mortifère mais ses élites, à quelque parti qu'ils appartiennent. Les premiers colonisés, ce sont nos censées élites.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mars 2011

    C'est incroyable. Nous sommes en 2011 et non seulement une bonne partie des étudiants québécois arrivent à l'âge adulte en ne sachant pas écrire correctement en français mais de plus beaucoup ne comprennent pas ce qu'ils lisent.
    Et il y aurait une majorité de la population qui salive à l'idée que leurs enfants vont enfin devenir bilingue...
    Qui est tombé sur la tête ?

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mars 2011

    Je parie que vous êtes tous ''Full bilingual''..vos enfants aussi. Pourtant cela ne vous empêche pas d'aimer, de parler et de bien écrire le Français. Alors pourquoi pas les autres? Le Français bien enseigné et donc bien maîtrisé peut cohabiter avec l'Anglais au Québec. L'unilinguisme (Français ou Anglais) pénalise d'une manière ou d'une autre. A ce titre, l'immersion linguistique serait donc intéressante pour tout le monde. Si on veut faire des choix pour les générations futures, il faut comprendre ses défis.

  • Marcel Haché Répondre

    8 mars 2011

    « Les enfants qui les fréquenteront ne seront pas immergés dans un véritable milieu anglophone, ils seront ENTRE EUX. Comment feront-ils la conversation anglaise avec leurs voisins de pupitre si aucun d’entre eux ne parle déjà l’anglais ? » Louis Lapointe

    Les partisans du bilinguisme des enfants seront incapables de surmonter votre argumentation.
    Et bien au-delà du bilinguisme lui-même, c’est le message ici qui est le plus important, celui qui serait envoyé aux enfants « ENTRE EUX » : l‘anglais serait égal et peut-être même un peu plus égal que le français…
    Je veux bien qu’on prenne toutes les précautions, et qu’on profite de tous les avantages pour les offrir aux enfants actuels. Personne ne peut raisonnablement s’opposer au bilinguisme. Mais qu’en sera-t-il des enfants de ces enfants, devenus parents « entre eux », les enfants de ceux qu’on veut maintenant « bilinguiser » systématiquement ?
    L’assimilation n’est pas un phénomène qui s’instaure par règlement. C’est individuellement que chacun décide, plus ou moins consciemment, de s’assimiler. Et cela ne prend pas 3 générations.

    Il est déplorable que le seul gouvernement des Tremblay d’Amérique établisse les conditions qui favoriseront les décisions allant dans le sens du bilinguisme de toute la population, puis, à terme, rende son assimilation possible.
    Le message murmuré aux enfants « entre eux » serait bien plus important, et bien plus lourd de conséquences, que les meilleures intentions des parents. Le bilinguisme des individus, non plus que l’assimilation, ne sont pas des droits qu’on peut exiger de la collectivité, afin qu’ils soient respectés. Dans un cas comme dans l’autre, c’est le résultat d’une décision individuelle, d’un consentement, parfois d’un abandon C’est aux seuls parents de payer par eux-mêmes leur propre naufrage familial, leur propre bilinguisme et même leur assimilation, s’ils en décidaient ainsi, prélude alors à celle de tout un peuple.

    Nous sommes un peuple. Nous sommes bien plus qu’une majorité de citoyens, d’électeurs ou de parents. Ce n’est pas cela qui est déterminant, Nous sommes un peuple, ici chez lui depuis très longtemps. C’est cela le véritable déterminant.
    Qu’on le veuille ou pas, qu’on aime cela ou pas, Nous sommes français. Et c’est notre droit et notre devoir de le rester. Aucun gouvernement, aucune assemblée nationale, aucun parti politique n’a le droit de traiter à la légère ce qui fonde notre identité. Nous ne sommes pas ici dans l’insignifiance de l’accommodement, fut-il celui des parents.
    Honte au gouvernement et toute la classe politique élue.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mars 2011

    On dit que la connaissance c'est la liberté. Une large partie des québécois manquent de connaissance et c'est pourquoi JJC peut leur faire avaler n'importe quoi et leur proposer de facon démagogique ce qu'ils veulent afin d'avoir leur appui. Et c'est pas JJC qui va éclairer les québécois parce que ceux-ci voteraient sûrement pour la liberté...ce qui est contraire aux intérêts des fédéralistes. Et c'est aussi pourquoi les Pratte et Dubuc et autres du même genre ne vont pas instruire les québécois mais plutôt les induire en erreur afin qu'ils n'aient pas l'idée de se libérer.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mars 2011

    Excellent billet une fois de plus M. Lapointe.
    Je trouve très curieux que personne n'ait noté qu'on ait "oublié" le corollaire évident de la politique d'immersion en anglais dans les écoles françaises: celle de l'immersion en français dans les écoles anglaises.
    S'il est impératif d'apprendre l'anglais pour protéger le français, pourquoi ne pas enseigner le français pour protéger l'anglais?