Péquistes ou libéraux, c’est du pareil au même. Les objectifs de financement imposés aux députés sont si élevés qu’ils sont forcés de se tourner vers les entreprises privées pour récolter des dons illégaux.
Louis Marchand, patron de Pavages Maskimo, a livré un témoignage direct, lundi à la commission Charbonneau. La loi sur le financement populaire des partis est « un mythe ». « C’est le plus grand drame d’hypocrisie collective au Québec », a-t-il lancé.
Incapables d’atteindre leurs objectifs de financement par des activités légales, comme le proverbial souper spaghetti, les élus provinciaux du PQ, du PLQ et de l’ADQ (l’ancêtre de la CAQ) optaient pour des méthodes alternatives et illégales, comme le financement auprès des entreprises. Au banquet s’attablaient toujours les mêmes convives : ingénieurs, entrepreneurs, avocats, comptables issus de grandes entreprises. « Ce que je trouve un peu pathétique là-dedans, c’est de voir les partis se tirer la balle, a dit M. Marchand. C’est “toutte” la même affaire. »
« Tous les ministres, tous les députés étaient mal à l’aise dans ce système-là, même s’il y en a qui ne veulent pas avouer que ce système existait. Moi, j’appelle ça le système parallèle », a-t-il ajouté.
Le propriétaire de Maskimo, une entreprise d’asphaltage active en Mauricie, n’épargne personne… pas même l’ancienne première ministre Pauline Marois.
Vers 2008 ou 2009, il se souvient d’avoir reçu un appel de l’entrepreneur Normand Trudel, aujourd’hui accusé de fraude, pour participer à un cocktail de financement au bénéfice de Mme Marois, qui était alors chef de l’opposition officielle. Une quinzaine d’entrepreneurs et d’ingénieurs, dont l’identité n’a pas été dévoilée, ont pris part à ce cocktail au coût d’entrée non précisé. M. Marchand a fait une contribution par l’entremise d’un prête-nom pour ne pas nuire à ses relations, déjà tendues, avec la ministre libérale des Transports, Julie Boulet.
Un passage obligé
Maskimo, une entreprise familiale fondée en 1957, encourageait ses employés à faire des dons aux partis provinciaux. Entre 1998 et 2009, les employés de Maskimo et leurs proches ont fait des contributions totalisant 62 700 $ au PLQ, de 32 020 $ au PQ et de 4175 $ à l’ADQ (l’ancêtre de la CAQ). Les cinq concurrents de Maskimo en Mauricie ont versé pour leur part plus de 362 000 $ aux trois principaux partis provinciaux.
L’entreprise familiale n’agissait pas par conviction, mais pour protéger ses intérêts commerciaux, et éviter d’avoir des ennuis avec l’appareil gouvernemental. « Tu ne veux pas te mettre ces gens-là à dos, a résumé M. Marchand. Si tu dis non, tu peux en subir les conséquences. »
Maskimo s’assurait toujours de contribuer davantage au financement du parti au pouvoir. Les dirigeants de l’entreprise n’allaient pas au-devant des partis politiques pour contribuer à leurs caisses électorales. Les appels du pied venaient généralement des solliciteurs, des firmes de génie-conseil, des entrepreneurs et parfois des députés eux-mêmes. « Que ce soit le PQ ou le PLQ, ç’a toujours fonctionné comme ça », a dit le témoin.
Au fil des ans, les députés libéraux Jean-Paul Diamond et Danielle Saint-Amand et la péquiste Noëlla Champagne se sont tous plaints à lui des objectifs de financement élevés de leurs partis. « Tous les députés trouvent que c’est l’enfer. Ils me disaient : “c’est pas évident. On a de gros objectifs de financement”. Ils se sentaient mal de nous appeler, mais ils n’avaient pas le choix. »
M. Marchand a pris la relève de son père à titre de p.-d.g. de Maskimo en 2009. Il a passé le mot d’ordre à ses employés de mettre fin à ces pratiques. « La directive est claire, on ne finance pas les partis politiques, on n’embarque pas là-dedans, et on est prêt à vivre avec les conséquences. »
Le rôle de Julie Boulet
Louis Marchand a brossé un portrait peu flatteur de Julie Boulet, ministre déléguée aux Transports de 2003 à 2007, et ministre titulaire de 2007 à 2010.
En 2004, Maskimo a décliné une invitation de la conseillère politique de la ministre, Amina Shafai, pour acheter quatre billets à 1000 $ pour un cocktail de financement. Louis Marchand n’était pas satisfait du retour sur son investissement. Les contrats non négociables, accordés en masse dans la région de Trois-Rivières, échappaient à Maskimo en dépit de sa participation aux cocktails de la ministre.
Avant même la fin de la journée, Mme Boulet le contactait directement pour lui exprimer sa déception, tout en l’assurant qu’elle n’avait « rien à voir » avec l’octroi des contrats non négociables du MTQ aux concurrents de Maskimo.
Selon M. Marchand, les contrats non négociables sont utiles dans les régions éloignées, où la concurrence est faible, voire inexistante dans le domaine de l’asphaltage. Dans la région de Trois-Rivières, la concurrence est assez forte pour permettre d’accorder systématiquement les contrats en appels d’offres publics. Il n’y a donc « aucune raison logique » de privilégier l’octroi de contrats non négociables.
La relation entre Maskimo et la députée de Laviolette s’est détériorée rapidement. M. Marchand n’a pas de preuve, mais il soupçonne qu’il y a eu « une commande politique » au MTQ pour nuire à Maskimo, par exemple en l’empêchant d’obtenir un permis pour l’exploitation d’une carrière à La Tuque.
« Quand on a arrêté de contribuer, il n’y avait plus de rencontres, plus de communications avec le bureau de Mme Boulet », a-t-il dit.
La décision de Louis Marchand d’interrompre toute activité de financement politique, en 2009, a contribué à creuser encore plus le fossé entre Maskimo et Julie Boulet. Maskimo n’a jamais pu obtenir de contrats non négociables, contrairement à ses concurrents dans la région.
Mme Boulet sera appelée à témoigner aujourd’hui à la commission Charbonneau. En matinée, son ancien chef de cabinet, Luc Berthold, a défendu sa rigueur et sa vivacité d’esprit.
COMMISSION CHARBONNEAU
Partis politiques: le financement populaire est un «mythe»
Péquistes et libéraux sont accros aux dons illégaux, affirme Louis Marchand
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