Lutte contre la corruption: amère déception

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L'impunité de la caste libérale devient intolérable


Ne comptez plus sur l’Unité permanente anticorruption (UPAC) pour endiguer la corruption dans les plus hautes sphères de la politique québécoise. Le corps policier qui devait achever le travail laissé en suspens par la commission Charbonneau, sur les allégations de financement illégal du PLQ, est en totale déroute.


Le Journal de Montréal accumule les révélations embarrassantes depuis quelques semaines. La dernière en date ? L’ex-numéro 2 de l’UPAC, André Boulanger, serait passé aux aveux, en déclarant au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) que plusieurs enquêtes de l’UPAC auraient été entachées par la fabrication de preuves. Si cela s’avérait, des policiers pourraient être accusés au criminel, et des affaires de corruption pourraient finir en queue de poisson devant les tribunaux. M. Boulanger a fait une déclaration assermentée au BEI quelques semaines avant la démission du grand patron de l’UPAC, Robert Lafrenière, le 1er octobre dernier. Ceci expliquerait-il cela ?


Comme si ce n’était pas suffisant, le directeur de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme, a été suspendu dans la foulée de l’enquête du BEI sur les fuites de renseignements au sein de l’UPAC, le 7 mars dernier. MM. Prud’homme et Lafrenière auraient échangé des informations de manière inappropriée.


C’est le monde à l’envers. Les soupçons d’inconduite pèsent sur ceux qui devaient épingler les corrupteurs en tout genre. Ceux-ci se la coulent douce, hormis quelques exceptions dans le monde municipal. Après ses premiers succès pour endiguer la corruption à Boisbriand et à Laval, l’UPAC connaît depuis quelques années un inquiétant passage à vide. L’enquête sur le financement illégal du PLQ ne survivra probablement pas à la crise actuelle. Parions qu’elle sera classée sans suite.


Les filous se la coulent douce. Aucune accusation ne sera portée contre les émissaires de la mafia et les entrepreneurs impliqués dans un stratagème de partage des contrats publics à Montréal. Ils ont été filmés avec des liasses d’argent à la main et dénoncés par l’entrepreneur Lino Zambito à la commission Charbonneau, mais ils s’en tirent sur toute la ligne. Après le Bureau fédéral de la concurrence, c’est au tour de l’UPAC d’abandonner le dossier. Ce phénomène a un nom : l’impunité. Et elle est intolérable.


 

 

Le comité de surveillance de l’UPAC, présidé par l’ex-recteur de l’UQAM Claude Corbo, devrait divulguer son premier rapport en juin. Les attentes sont élevées. Ce comité n’aura certes pas toutes les réponses aux problèmes de leadership, d’indépendance et d’expertise qui plombent l’UPAC. Il s’agira d’une étape importante dans une démarche qu’il faudra nécessairement élargir.


Le Québec est mûr pour une nouvelle commission d’enquête sur la police, à partir d’une question demeurée sans réponse au terme de la commission Poitras, qui avait porté sur la fabrication de preuves par la SQ dans les années 1990. Qui surveille la police ? Qui garde les gardiens ?


Les récents scandales qui ont plombé non seulement l’UPAC, mais aussi la SQ et le SPVM présentent des similitudes. De un, les rivalités internes sont si toxiques qu’elles conduisent des personnes en situation d’autorité à déclencher des enquêtes criminelles dans le but de faire taire les dissidents. De deux, la reddition de comptes est absente, au motif qu’on ne commente pas les enquêtes en cours. Cette réserve est compréhensible jusqu’à un certain point, mais lorsque les enquêtes s’éternisent sans perspectives d’en arriver au dépôt d’accusations, surtout dans les cas de corruption politique, le silence contribue à alimenter l’incompréhension et le scepticisme du public sur l’efficacité du dispositif de lutte contre la corruption. De trois, les corps policiers ont fait un travail inégal de recrutement et d’encadrement des témoins repentis, ce qui a contribué par exemple à l’acquittement du président du comité exécutif à la Ville de Montréal, Frank Zampino, et de l’entrepreneur Paolo Catania. De quatre, l’absence d’expertise en matière de crimes économiques, renforcée par la désuétude du Code criminel sur les affaires de collusion, a amenuisé la valeur probante des enquêtes.


Les succès de l’UPAC sont pour la plupart concentrés dans le monde municipal, et ils sont loin derrière. La nomination du prochain commissaire à la lutte contre la corruption au deux tiers des voix à l’Assemblée nationale de même que la création du comité de surveillance sont des initiatives encourageantes, même si elles ne régleront pas à elles seules les problèmes cités plus haut.


La tenue d’une commission d’enquête serait souhaitable pour raffermir le pouvoir de surveillance de la société civile sur les organisations policières, et pour s’assurer que la lutte contre la corruption soit menée d’une manière efficace, indépendante et cohérente dans toutes les sphères de la politique. Pour l’heure, on n’y croit plus.









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