ÉNERGIE EST

Péril noir sur le monde agricole

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Des conséquences désastreuses en cas d'accident

Pas moins de 75 % du tracé du pipeline Énergie Est au Québec se trouve en zone agricole. Une situation qui suscite de très vives inquiétudes, selon ce qu’a constaté Le Devoir. L’Union des producteurs agricoles promet d’ailleurs de faire écho aux préoccupations des agriculteurs dans le cadre de l’évaluation du projet par le BAPE, qui doit débuter lundi.

La chose peut sembler surréaliste, mais le tracé dicté par TransCanada pour son projet Énergie Est ferait passer le pipeline à travers plusieurs terres agricoles certifiées biologiques au Québec. C’est donc dire que chaque jour, dès 2020, 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux circuleront dans des zones de culture reconnues pour leurs pratiques respectueuses de l’environnement.

Une situation qui exaspère l’agriculteur Charles Trottier, copropriétaire de la Fromagerie des Grondines. Il faut dire que le tuyau d’un mètre de diamètre doit traverser deux de ses terres de la région de Deschambault-Grondines. « Un pipeline et des terres certifiées biologiques, ça ne va pas du tout ensemble. Je ne veux pas les voir passer sur mon terrain. C’est aussi simple que ça. »

« S’il y a un déversement, c’est notre certification qui sera en jeu, insiste M. Trottier, qui cultive ses terres depuis plus de 30 ans. On inspecte nos tracteurs pour s’assurer qu’il n’y a pas une seule goutte d’huile qui coule d’un moteur. Et ils voudraient installer un pipeline qui transporte un million de barils de pétrole par jour ? Je ne vois pas pourquoi on accepterait de les laisser passer. »

S’il s’oppose fermement au projet, tout comme plusieurs personnes de la région de Portneuf, M. Trottier n’en a pas moins été courtisé par des représentants de TransCanada, et ce, dès 2013. La façon de faire est d’ailleurs la même que pour tous les autres agriculteurs contactés par Le Devoir. La multinationale offre chaque fois 1000 $ pour obtenir le droit d’effectuer des tests préliminaires sur le terrain, de façon à déterminer s’il serait possible d’y installer son pipeline. En théorie, le fait d’accepter cette première étape ne signifie pas que le propriétaire du terrain approuve le passage d’Énergie Est.

Les porte-parole de TransCanada ne se sont toutefois pas arrêtés là. « Leur représentant est revenu et il m’a demandé si je voulais signer une entente, explique M. Trottier. Je leur ai dit que si je n’ai pas le choix, on commencera à discuter d’un droit à passage en commençant avec un montant de 400 000 $ pour chaque terre. Ils trouvaient que c’était beaucoup d’argent. Mais pensez-vous que de risquer 30 ans de ma vie et ma certification biologique ça ne vaut pas 400 000 $? »

À l’instar de nombreux autres agriculteurs, Charles Trottier estime que ses terres sont trop précieuses pour les risquer dans une telle aventure pétrolière. « Ce n’est pas ça qui nous intéresse. Nous, on fait des fromages au lait cru de qualité. On est loin du développement que veut TransCanada avec Énergie Est. On n’a pas des terres pour faire de la spéculation. On a des terres pour occuper le territoire. En plus, c’est un patrimoine familial. Mon père a acheté nos terres en 1922 et c’est une de mes filles qui s’apprête à prendre la relève. Mais ces gens-là ont de la misère à comprendre ça. »

Des centaines d’agriculteurs

Le cas de la Fromagerie des Grondines est loin d’être un cas isolé. Selon les données de l’Union des producteurs agricoles (UPA), pas moins de 75 % des 650 kilomètres du pipeline au Québec seront construits en zone agricole. Cela signifie que parmi les quelque 1800 propriétaires privés qui sont directement touchés par le tracé, une majorité sont des producteurs agricoles, mais aussi forestiers.

C’est le cas de Lucie Mainguy, cofondatrice d’Aliksir, une entreprise qui produit des huiles essentielles biologiques à partir de plantes aromatiques cultivées sur sa terre de la rive nord du Saint-Laurent. Farouchement opposée au passage du pipeline, elle n’en est pas moins découragée de voir que le projet pourrait bien se concrétiser. « Je ne comprends pas que les décideurs soient ouverts à ce projet. Pour moi, c’est impensable. Mais tout nous donne l’impression que c’est hors de notre contrôle. On a l’impression que les jeux sont faits et que le citoyen ne peut rien y changer. »

Pour Mme Mainguy, le pipeline de TransCanada pourrait signer l’arrêt de mort d’une entreprise à laquelle elle consacre sa vie. « Ce qui est très inquiétant, c’est qu’en cas de problème, on se retrouverait contaminés, et pour de bon. Au moindre défaut de leur système, on perd notre certification. Et notre principal marché, c’est l’exportation, parce que le Canada a la réputation d’avoir de bonnes terres et un milieu vierge et pur. Vous voyez l’image de marque que nous avons à préserver pour conserver notre réputation. »

Propriétaire d’une ferme laitière à L’Épiphanie, dans Lanaudière, Stéphane Sansfaçon a lui aussi reçu la visite de représentants de TransCanada. « Ils nous ont simplement dit que le pipeline passerait et qu’ils doivent faire des tests de sols. C’est comme si c’était déjà fait et que la construction allait commencer en 2018. » Mais pour lui, il est clair que le jeu n’en vaut pas la chandelle. « S’il y a un déversement, c’est clair que ça va scraper mon champ. Et même s’ils disent qu’ils vont tout nettoyer, je ne vais pas aller semer là pour nourrir mes animaux. Une fois que la terre est contaminée, je ne peux plus rien faire avec. »

Qui plus est, le pétrole pourrait couler dans les drains du champ de M. Sansfaçon, et ainsi contaminer rapidement une vaste étendue de sa terre. « On sait qu’il existe des fuites indétectables. Donc, le pétrole peut faire bien des dommages avant qu’on puisse remarquer ce qui se passe. Si je sème du maïs, je ne vais pas là tous les jours pour voir s’il y a du pétrole qui coule. »


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