Inévitablement, les politiciens seront de plus en plus tentés d'intervenir dans les affaires de la Caisse du Régime de pensions du Canada (RPC). Cela risque de compromettre les rendements de l'institution, et donc d'amocher les régimes de retraite de millions de futurs retraités.
L'avertissement ne vient pas de n'importe qui. Dans une lettre publiée la semaine dernière dans le Globe & Mail de Toronto, William Robson, président de l'Institut C.D. Howe et économiste respecté, émet une sérieuse mise en garde en ce sens.
Jusqu'à ce que la Caisse du RPC entre dans la lutte pour le contrôle de BCE, peu de Canadiens avaient entendu parler de cette institution dont l'actif net dépasse les 116 milliards.
Dans les années 60, le Canada a décidé de lancer un régime public, universel et obligatoire de pensions. Pour gérer et faire fructifier l'argent du régime, il a mis sur pied une caisse qui, pendant près de 40 ans, s'est contentée d'acheter des obligations gouvernementales.
Parallèlement, le Québec a mis sur pied son propre Régime des rentes (RRQ), étroitement calqué sur le régime fédéral: mêmes cotisations, mêmes prestations, transférabilité interprovinciale (c'est-à-dire qu'un Québécois travaillant en Ontario paiera ses cotisations au RPC, mais que celles-ci compteront dans le calcul de ses prestations du RRQ). L'argent du RRQ est confié à la Caisse de dépôt et placement. Dans les autres provinces, l'argent du RPC est versé à la Caisse fédérale dont nous venons de parler.
Aussi récemment qu'en 2000, l'actif de la Caisse, 45 milliards, était composé à plus de 80% de titres obligataires, contre seulement 5% d'actions. Aujourd'hui, l'actif comprend 65% d'actions (dont une bonne majorité d'actions étrangères) et seulement 25% d'obligations.
Comment expliquer une telle progression et un tel revirement en une aussi courte période?
Deux développements importants sont survenus.
À la fin des années 90, on s'est aperçu que le régime courait vers la faillite. Toutes les études actuarielles montraient que les cotisations, à leur niveau de l'époque, seraient largement insuffisantes pour faire face au vieillissement de la population. On a donc décidé de hausser radicalement les cotisations, ce qui explique la progression fulgurante de l'actif, et ce n'est pas fini. Selon les projections, il pourrait franchir la barre des 200 milliards dans six ans.
D'autre part, on s'est aussi aperçu qu'il ne suffisait pas d'augmenter les cotisations; il fallait aussi obtenir un meilleur rendement et pour cela, laisser le marché des obligations au profit du marché boursier. La Caisse fédérale suivait dans cette voie la Caisse de dépôt du Québec, qui avait réussi cette conversion avec succès au début des années 80 sous la gouverne de Jean Campeau.
Pendant ce temps, à Ottawa, la Caisse du RPC pataugeait dans des rendements minables: entre 2000 et 2003, elle affichait un rendement annuel moyen de 3,2%. C'est en 2004 que le Caisse décide de porter un grand coup. En un an, la valeur de son portefeuille d'actions passe de 17 à 32 milliards. Les rendements grimpent en flèche: en moyenne 13,6% par année entre 2004 et 2007.
L'intervention de la Caisse du RPC dans l'"affaire Bell", selon M. Robson, aura donné à la société d'État une couverture médiatique sans précédent. Cette visibilité a mis en évidence une réalité jusque-là largement ignorée de la majorité des Canadiens: la Caisse n'est plus un petit portefeuille d'obligations pépère. C'est un fonds énorme de 117 milliards, devenu un acteur majeur dans le monde du placement et de la finance.
Dans ces conditions, ajoute l'auteur, il faut maintenant s'attendre à ce que les premiers ministres provinciaux et les députés de toutes les régions se mettent à tirer chacun leur bord sur la couverture. Des pressions vont être exercées sur les gestionnaires de la Caisse pour qu'ils investissent dans toutes sortes de projets régionaux, ou pour qu'ils retirent leurs investissements de pays comme la Chine, le Brésil ou les États-Unis pour toutes sortes de bonnes causes. Tout cela peut effectivement compromettre le rendement de la Caisse, comme le craint M. Robson.
Peut-être, en tant que Québécois, pouvons-nous trouver ce problème bien loin de nous. Après tout, nous avons notre propre Caisse de dépôt, beaucoup plus importante que la Caisse du RPC.
La Caisse de dépôt ne fait pas que gérer l'argent du RRQ. Elle compte une vingtaine d'autres déposants, dont le plus important est le RREGOP, le Régime de retraite des employés du gouvernement, mais aussi, entre autres, la Société d'assurance automobile, la CSST, la Commission de la construction, tous des déposants multimilliardaires. L'actif total de la Caisse de dépôt atteint 237 milliards, deux fois plus que celui de la Caisse du RPC.
Ce n'est pas une raison pour ne pas s'inquiéter. Le Québec administre son propre régime de rentes, mais il est interchangeable avec le RPC. Si le rendement de la Caisse du RPC faiblit, la société devra soit augmenter ses cotisations ou diminuer ses prestations, et le Québec devra s'ajuster en conséquence.
Au cours de sa longue histoire, la Caisse de dépôt a subi son lot d'ingérences politiques, et il est loin d'être certain que cela ait toujours été à l'avantage des Québécois.
De son côté, la Caisse du RPC a été relativement exempte de pressions politiques jusqu'à présent, parce que relativement à l'écart de l'actualité. Depuis l'affaire BCE, ce n'est plus possible.
En mettant en garde les gestionnaires de la Caisse du RPC contre les interventions politiques (et la même remarque peut s'appliquer à la Caisse de dépôt), M. Robson rappelle cette vérité fondamentale: "On n'insistera jamais assez pour dire que cet argent doit servir d'abord et avant tout à financer les rentes des futurs retraités". Que ces sages paroles soient entendues!
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