Plusieurs s’étonnent, parfois avec condescendance, que la Wallonie — simple entité fédérée belge — puisse bloquer l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE). Comment une si petite région peut-elle tenir en otages l’UE et le Canada ? Au-delà des questions de fond soulevées par la Wallonie, il convient de clarifier le contexte juridique dans lequel est intervenu le blocage.
Le processus de conclusion d’un traité international peut être assez lourd. Les parties doivent négocier en vue d’en arriver à un accord, lequel doit se matérialiser dans un texte traduisant la volonté des parties. Ce n’est qu’une fois ce texte adopté par celles-ci que la négociation est terminée, adoption qui se fait habituellement par sa signature. Les traités importants prévoient souvent que les parties doivent en outre confirmer leur consentement à être lié par un moyen additionnel. Cette technique leur permet de remplir les formalités internes qui peuvent être requises par leur constitution, comme la ratification parlementaire du traité. L’AECG prévoit une telle séquence. Tant qu’il n’est pas signé, son texte n’est pas arrêté et c’est à cette étape que l’on se trouve.
La distinction entre ces étapes n’est pas qu’académique. Les rapports de force politiques se déploient différemment et leur encadrement juridique est distinct d’une étape à l’autre. Aucune obligation juridique ne pèse sur l’État qui n’a pas signé le traité ; au contraire, le droit international interdit que son consentement soit arraché par la contrainte. En revanche, l’État qui a signé un traité doit s’abstenir d’actes qui priveraient le traité de son objet et de son but.
Le résultat de la négociation de l’AECG a été rendu public bien avant sa signature : résumé technique (octobre 2013) ; texte de l’accord des négociateurs (septembre 2014) ; version authentique anglaise du texte (février 2016) ; 22 autres versions authentiques, dont la version française (juillet 2016). Illustrant bien le fait que la négociation n’est pas terminée tant que le texte n’est pas signé, l’UE a obtenu du Canada un amendement important à l’accord des négociateurs avec l’ajout d’un tribunal permanent d’arbitrage investisseur/État. Il faut aussi rappeler que, même après la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1992, les États-Unis avaient réussi à obtenir la signature d’accords parallèles (protection de l’environnement et des droits des travailleurs).
Deux niveaux de difficulté
La signature de l’AECG comporte deux niveaux de difficulté particuliers. Premièrement, il est pour le moment considéré comme un traité « mixte », au sens du droit de l’UE, catégorie qui vise les traités touchant à des matières de compétence de l’UE et de ses 28 États membres et qui requiert leur signature à tous. Une controverse subsiste à ce sujet, mais sa qualité de traité mixte a été présumée. Un jugement de la Cour de justice de l’UE est justement attendu sur la qualification d’un autre accord que l’UE souhaite signer avec Singapour. La décision de l’UE de signer un tel accord doit normalement être prise à la majorité qualifiée des États membres, mais puisque l’AECG est considéré comme un traité mixte, l’UE a choisi de prendre sa décision à l’unanimité, ce qui donne à tout État membre le pouvoir de bloquer sa signature. Si d’aventure l’AECG devait être requalifié de traité non mixte, la question de savoir si cette décision doit être prise à l’unanimité ou à la majorité qualifiée se poserait et divise les experts.
Deuxièmement, au regard du droit constitutionnel belge, l’AECG est aussi considéré comme un traité « mixte », relevant à la fois des compétences du fédéral et des entités fédérées. Pour que la Belgique puisse signer un tel accord, le consentement du gouvernement fédéral et de toutes les entités fédérées est nécessaire. C’est ici que réside le pouvoir de la Wallonie : son appui est indispensable pour que la Belgique puisse signer l’AECG et autoriser l’UE à le faire.
Bien que le blocage de la Wallonie ait retenu l’attention, la Communauté francophone, la Communauté germanophone et la Région de Bruxelles-Capitale s’opposent aussi à l’AECG. Au final, c’est bien la Belgique qui refuse pour le moment de signer le traité. On peut certes s’interroger sur les raisons d’un tel refus tardif. La situation ne manque pas d’étonner vue du Canada, puisque la participation des provinces aux négociations de l’AECG a été remarquable. Il demeure que le Canada ne pouvait pas ignorer l’existence de ces difficultés juridiques dans l’UE et la Belgique.
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