Étudiants face au gouvernement: le bras-de-fer

Printemps 2015: la rhétorique anti-contestation analysée

Tribune libre

Alors que la fronde gronde au Québec, le gouvernement Couillard est confronté à une contestation de plus en plus importante de ses politiques publiques. La province fut le théâtre de nombreuses manifestations lundi, voire d’occupation de bureau, ce que confirmait le Devoir en indiquant mardi que les actions citoyennes se multipliaient dans toutes les régions du Québec. Un bras de fer s’instaure déjà entre le gouvernement libéral, les syndicats et les associations étudiantes, le premier prétextant que les mesures d’austérité sont obligatoires pour équilibrer le budget et les seconds arguant que la voie de la relance économique est celle à privilégier pour arriver à cette fin.

Dans cette lutte politique, les médias de masse ainsi que les réseaux sociaux constituent le principal aréna où les protagonistes essaieront d’obtenir la sympathie de l’opinion publique (si elle existe bel et bien). Le gouvernement, pour calmer la dissidence et maintenir sa légitimité démocratique, dédoublera d’efforts pour faire passer son argumentaire dans ces canaux de communication. À l’orée d’un printemps que certains annoncent « chaud », il semblerait judicieux de décortiquer les arguments visant à faire taire ceux et celles qui se lèvent. La rhétorique libérale et anti-contestataire (déjà propulsée par certains chroniqueurs de journaux québécois) s’analyse de trois façons : minorisation, délégitimation et amalgame.

La première des techniques utilisée pour discréditer un mouvement social est de minoriser les tentatives de subversion. Combien de fois a-t-on entendu, lors de la grève étudiante de 2012, le gouvernement faire référence à la « minorité d’étudiant en grève », « l’infime partie » ou la « petite frange d’étudiants en grève» .
Un autre principe est de personnaliser les conflits sociaux. Par exemple, Lise Ravary dans son article « des étudiants occupent le bureau d’Yves Bolduc en attendant la révolution » paru lundi sur son blog au journal de Montréal met l’accent sur « Jonathan Bédard et sa gang » plutôt que sur les nombreux groupes contestataires aux politiques néolibérales de M. Couillard. Cela permet de réduire la contestation sociale à ce qu’elle appelle un groupe « de petits révolutionnaires de pacotille » et non de saisir l’entièreté du mouvement contestataire.

Dans la plupart des cas, la minorité (que l’on qualifie souvent de dérangeante, bruyante ou radicale) sera opposée à la majorité (elle, souvent désignée comme étant pragmatique, raisonnable et bien sûr silencieuse. Encore, Mme Ravary nous donne un exemple concret : « Jonathan Bédard et sa gang » est opposé aux gens dits « ordinaires » (Mais que cela peut-il bien dire ?), qui eux, « ne rêvent pas du grand soir de révolution ». La minorisation est donc liée à une tentative de division qui cherche à tuer le mouvement social dans l’œuf. Diviser pour mieux régner, encore ce vieil adage.
Si le mouvement étudiant venait à grossir, on s’évertuera à opposer les étudiants dits de « science molle » vis-à-vis de ceux en « science forte ». L’effet premier d’une telle dichotomie est de cloisonner le mouvement, de rendre étanche la subversion sociale et d’éliminer les possibles effets domino. Les étudiants de ces sciences dites « fortes », qui, à force, développent un sentiment de supériorité, ne veulent plus être associés à de « futurs BS ».

Si la contestation continue, les Spins doctors au service du gouvernement ou les groupes en faveur des mesures d’austérité ouvriront les vannes de la délégitimation. Selon ceux-ci, le gouvernement de M. Couillard, fort de sa victoire électorale en avril dernier, est le seul à détenir la légitimité politique. Le groupe d’étudiant ayant occupé le bureau de M. Bolduc est qualifié par Mme Ravary de « pas sérieux » ou n’ayant « aucune crédibilité » face à un « gouvernement élu selon les règles ». Ainsi, seul le vote lors d’une élection constitue une action politique. Toute autre action politique, que ce soit une manifestation ou une grève, sera toujours considérée comme une « prise d’otage » de la population, autre façon d’opposer le groupe revendicateur au reste de la société.

L’infantilisation est une autre technique fallacieuse qui vise à enlever toute crédibilité à un groupe contestataire. Par exemple, au lieu de réfuter les revendications estudiantines par des arguments logiques et rationnels, on émet une fin de non-recevoir en prétextant que ce sont des « enfants-roi », des « bébés-gâtés », ce qui justifie l’apathie et le refus d’écouter du gouvernement en place. Éric Duhaime a utilisé cet argument hier sur sa page Facebook, suivi par de nombreux commentateurs qui poussaient l’audace jusqu’à qualifier les étudiants « d’enfants-dictateurs ».

La dernière des techniques, et non la moindre, est celle de l’amalgame. Il s’agit d’apposer une étiquette négative à un groupe afin de le marginaliser. Une des façons de faire est d’utiliser des termes péjoratifs, tels que « violent » ou « radical », pour qualifier les actions d’individus ou de groupes réfractaires aux politiques gouvernementales. M. Charest en 2012 a utilisé cette technique abondamment en associant le gouvernement à la paix et les manifestations (et la rue en générale) à la violence. Les associations étudiantes et les syndicats sont perfidement associés à des « groupes extrémistes », voire « communistes ». Dans ces cas-là, l’attention n’est plus portée aux revendications des groupes dissidents, mais sur leur potentielle dangerosité.

Il est essentiel de se rappeler que le discours réactionnaire anti-contestation analysé ici est avant tout négatif et dépourvu d’arguments de fond. Il critique, cherche à maintenir le statu quo, tout en mélangeant les sophismes et les raccourcis idéologiques. L’opinion publique est déjà très polarisée au Québec : l’important est de ne pas tomber dans la facilité et de favoriser les débats de fond et les arguments factuels.


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3 commentaires

  • Jean Gilles Répondre

    26 février 2015

    UQAM : université ou champ de bataille?
    http://www.journaldemontreal.com/2015/02/25/uqam--universite-ou-champ-de-bataille
    " (..)de tristes commandos. Ces derniers sont formés de jeunes écervelés, endoctrinés selon les méthodes les plus primaires par des professeurs atteints eux-mêmes de simplisme intellectuel. (...)Des étudiants, masqués parfois, qui surgissent dans les salles de cours pour expulser enseignants et étudiants, qui abîment et détruisent le mobilier, qui espionnent des professeurs, les dénoncent publiquement sur les réseaux sociaux, qui lancent de prétendues fatwas contre des professeurs qui ne sont pas leurs amis, c’est-à-dire qui ne partagent ni leur rage ni leur haine du système qu’ils veulent détruire. “
    L’extrême gauche haineuse
    http://www.journaldemontreal.com/2015/02/25/lextreme-gauche-haineuse
    “Disons les choses clairement: l’extrême gauche a l’habitude de tenir des propos haineux en toute impunité. Elle bénéficie même d’une complaisance généralisée. C’est une bonne chose qu’une partie du corps professoral en appelle à la fin du délire. L’UQAM mérite beaucoup mieux que la réputation de poudrière idéologique que lui font quelques agités du bocal qui tolèrent mal les idées comme d’autres tolèrent mal la boisson.”

  • Archives de Vigile Répondre

    26 février 2015

    Belle analyse en profondeur. Il faudrait que chacun puisse prendre conscience de cette manipulation gouvernementale de L' "opinion publique". On peut tellement faire croire n'importe quoi à qui ne se donne pas la peine d'aller aux sources. Certains articles sur Vigile nous en fournissent la preuve dont toute l'histoire d'Hérouxville heureusement mise au rancart qu'on réactualise pour d'obscures raisons. Bravo pour cette analyse.

  • Jean Gilles Répondre

    25 février 2015

    Une chose me paraît évidente: il y a des gens, notamment, à l'UQAM qui ne cherchent que le grabuge.
    S'il y a trop de brasse-camarade, cela va jouer en faveur du statu quo.
    Il y a des gens à gauche de la gauche qui ne cherchent que cela: GRABUGE!