Le passage de Mario Dumont en France a fait grand bruit dernièrement et il n'y a pas si longtemps, c'était la venue de Ségolène Royal au Québec qui faisait les manchettes. Bref, les relations entre le Québec et la France sont très visibles dans les médias et grandement prises en compte dans le monde politique. Au détriment, bien souvent, de la coopération entre le Québec et la Belgique francophone, beaucoup plus invisible mais très prolifique. Entrevue avec Pierre Ansay, délégué de Wallonie-Bruxelles au Québec.
«Les gens du Québec et de la Belgique francophone ont des caractères culturels très proches. Les deux ont une attitude un peu "sans façon" et ressentent chacun l'un pour l'autre une sympathie immédiate. Avec les Français, les Québécois entretiennent davantage une relation amour/haine. La France est un peu vue comme le grand oncle fortuné pour qui il faut mettre son beau costume et ses beaux souliers», croit M. Ansay, en poste depuis 2004 et installé au Québec depuis 2002.
Géographiquement, politiquement et linguistiquement, le Québec et la Belgique francophone ont aussi beaucoup de points communs, ce qui renforce leurs relations, aux yeux du délégué.
«Les deux sont des peuples frontières, voisins de grands empires. Longtemps, ces peuples ont eu une identité fragilisée et partagent toujours leur territoire avec une autre communauté linguistique. Enfin, ces deux peuples vivent une certaine instabilité due aux soubresauts du mouvement indépendantiste», remarque-t-il.
De grands axes de coopération
Le délégué croit que les deux collectivités francophones entretiennent généralement des relations excellentes, marquées de beaucoup de pragmatisme. Certains domaines d'activité sont particulièrement foisonnants et sont davantage exposés que d'autres. C'est le cas des relations commerciales.
«La Belgique est un partenaire commercial important du Québec en Europe. Elle se classe au cinquième rang, tout de suite après les grands pays européens», indique M. Ansay.
Les relations entre la jeunesse québécoise et wallonne sont aussi très dynamiques, tout comme le domaine universitaire. «L'Office Québec-Wallonie-Bruxelles pour la jeunesse fait en sorte que, chaque année, des centaines de jeunes Québécois vivent une expérience enrichissante en Belgique et vice-versa. De plus, il ne faut pas oublier que la Belgique est le troisième partenaire académique du Québec après la France et les États-Unis», remarque le délégué.
Enfin, la culture est aussi un secteur de grande coopération entre le Québec et la Wallonie, grâce aux Francofolies de Montréal et à celles de Spa, au Festival des films du monde de Montréal et au Festival du film francophone de Namur, au Salon du livre de Montréal et à la Foire du livre de Bruxelles, etc. «Il y a aussi le prix Rapsat-Lelièvre qui récompense chaque année un auteur-compositeur-interprète de Wallonie-Bruxelles ou du Québec, ainsi que le Prix de littérature jeunesse. Ces deux événements illustrent bien la grande coopération du Québec et de la Belgique en matière de culture», affirme M. Ansay.
Coopération invisible
Les rapports entre les deux régions sont aussi marqués par une grande coopération «invisible», selon le délégué.
«Le Québec et la Belgique francophone échangent de manière très importante sur des sujets aussi variés que la protection de la jeunesse, la réinsertion des détenus, la gestion des égouts, la forêt, les programmes scolaires ou l'intégration des immigrants. Cette proximité s'explique entre autres par le fait que les deux collectivités sont de taille très moyenne et vivent des problématiques assez semblables. Cette coopération est malheureusement très peu visible dans les médias», soutient Pierre Ansay.
Si le délégué dénonce cette sous-représentation, il remarque aussi, à l'opposé, que les médias de la province sont exagérément tournés vers la France. «Pourtant, la Belgique en fait beaucoup pour le Québec, davantage même, toutes proportions gardées, qu'en font les Français. Ce sont entre autres les Belges qui ont fondé les HEC, qui ont créé le tissu industriel de Shawinigan et développé l'enseignement du violon au Québec. Il y a même plusieurs de nos réalisations qui sont attribuées à tort aux Français dans les médias. Par exemple, il arrive souvent qu'on entende dans les médias qu'Amélie Nothomb est française, alors qu'elle est belge!»
Pierre Ansay déplore également les obstacles «kafkaïens» auxquels se butent souvent les nouveaux arrivants belges, notamment en matière de reconnaissance des diplômes. «Le Québec a désespérément besoin de médecins et lorsque des médecins belges arrivent, le Collège des médecins les empêche de pratiquer. Le Québec se tire une balle dans le pied en faisant ça. Pourtant, la moyenne des Québécois d'origine belge est plus qualifiée, gagne de plus importants revenus et a un taux de chômage plus bas que la moyenne québécoise. C'est une immigration de rêve, d'autant plus qu'elle s'intègre bien. Les Belges se fondent littéralement dans la masse, alors on en parle peu», affirme le délégué.
Des possibilités sous-estimées
Si les médias sous-estiment l'importance des relations entre le Québec et la Wallonie, le monde politique de part et d'autre de l'océan pourrait également faire mieux, d'après Pierre Ansay.
«Le Québec manifeste de l'intérêt pour développer des relations avec la Belgique francophone, mais je crois que le monde politique sous-estime le partenariat dont il pourrait bénéficier avec la Wallonie. Il ne faut pas oublier que la Belgique joue un rôle très important dans l'Union européenne en tant que membre fondateur, qui accueille également le siège de la Commission européenne. La province de Québec pourrait en profiter davantage, je crois, si elle démontrait une plus grande volonté politique de coopération.»
Toutefois, Pierre Ansay précise que ces critiques valent également pour son pays, qui pourrait aussi bénéficier davantage du potentiel de coopération avec le Québec, lequel demeure une porte ouverte sur les Amériques. «Nos autorités doivent également passer à la vitesse supérieure, indique-t-il. Je crois que, d'une part et de l'autre, il y a un effort de réflexion politique à faire. Toutefois, je ne crois pas que le premier ministre Jean Charest soit insensible à ça et mes autorités non plus. Mais ça prend beaucoup de temps avant de voir un véritable changement d'attitude.»
Letarte, Martine
Collaboratrice du Devoir
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