PERSPECTIVES

Qui veut de l’euro?

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«Commission de la dernière chance». Éloquent !

Jean-Claude Juncker prend les rênes de la « Commission de la dernière chance ». L’expression est pertinente pour qui veut encore de l’euro.
Montée en nombre des eurosceptiques ; montée en force des europhobes ; montée en puissance des populismes et des nationalismes… La Commission européenne est aujourd’hui condamnée à démontrer qu’il existe encore un intérêt commun à défendre au sein de l’Union européenne. Avec ces menaces répétées de rupture des Britanniques d’avec l’UE, avec cette hégémonie allemande dans une zone euro politiquement déséquilibrée par les ratés français, il n’y a plus de certitude. Le vieux projet européen basé sur l’intégration souffre tout simplement d’un manque de coopération et de solidarité.

C’est dans les crises qu’une relation est véritablement testée sur ses fondements, dit-on. Avec celle qui perdure dans la zone euro, il s’en trouve plusieurs pour affirmer que l’UE devient un corps malade suspendu au sort de l’euro. Et pour ramener l’intégration monétaire à une seule profession de foi de banquiers centraux placés devant la menace d’une troisième récession depuis la crise, couplée au risque grandissant de déflation. Cet espace, composé de pays ayant en commun un secteur financier et une économie réelle intégrés, a tôt fait d’exhiber toute sa fragilité et ses limites dès la première grande crise venue.

Le prix d’un abandon

Pour la zone euro, l’union monétaire a donné des résultats probants dans une conjoncture favorable. Mais la crise de 2008 a fait ressortir tout le prix de l’abandon du levier monétaire sans contrepartie, aussi tout le poids des inégalités et des écarts de productivité et de compétitivité entre les participants. L’Allemagne le rappelle sans cesse depuis.

Le bilan de la première décennie de l’euro est favorable. Stabilité des prix, faible taux de financement, croissance par habitant comparable à celle des États-Unis, mais 14 millions d’emplois supplémentaires sont à mettre à l’actif de l’intégration économique et monétaire. Puis sont venus le choc financier de 2008 et ses lendemains douloureux. La crise de la dette souveraine et l’austérité budgétaire qui a suivi ont engendré près de 20 millions de chômeurs dans la zone euro, plus de 26 millions dans l’UE. En 2013, 120 millions d’Européens étaient menacés de pauvreté sur un continent qui se débat aujourd’hui pour éviter le mélange explosif récession-déflation.

Pourtant, beaucoup a été fait pour mener cette union monétaire sans autre intégration politique vers une union de type fédéral. Mécanisme de stabilité, union bancaire et droit de regard de la Commission sur le budget des États sont autant d’avancées dans ce modèle souffrant de vices de construction étant demeuré trop longtemps un chantier inachevé. Ce chemin parcouru depuis la crise ne prend finalement la forme que d’un système fédéral de supervision subordonnée à la souveraineté des États. Il découle d’une collaboration aussi conjoncturelle qu’inégale entre les 18 pays partageant l’euro.

Les trois principes de Delors

Jacques Delors, l’un des pères de l’euro, avait évoqué les trois principes qui sous-tendent la vision d’une Union européenne : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Les deux derniers ont été oubliés en cours de processus. Et à ce modèle devenu essentiellement économique s’ajoute l’absence d’intégration politique et de mobilisation sociale derrière un projet traduisant visiblement des craintes appartenant à une autre époque.

Dans un texte de l’Agence France-Presse, M. Juncker le reconnaît. « Cette Commission sera celle de la dernière chance… Soit nous réussissons à rapprocher les citoyens de l’Europe, à réduire de façon draconienne le niveau du chômage et à redonner une perspective européenne aux jeunes, soit nous échouons. »

Car conséquence de cette obsession pour l’austérité sans croissance, la zone euro croule aujourd’hui sous le poids d’une dette publique toujours grandissante. Elle doit conjuguer avec un chômage de masse frôlant les 12 %, les 24 % chez les jeunes. Avec des pointes à 55 % en Grèce et en Espagne, à 35 % au Portugal et en Italie. Voilà un autre déficit qu’il faudra également aussi éponger. Celui généré par la persistance d’un chômage structurel généralisé et par un cercle vicieux de pauvreté intergénérationnelle, de perte de qualification, voire d’exclusion sociale auquel s’expose cette génération perdue.

M. Juncker exhorte l’Europe à se doter d’un « triple A social ». Or Britanniques et Allemands n’ont d’yeux que pour les AAA des agences.


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