Six jeunes penseurs

Rencontre avec une nouvelle génération de jeunes intellectuels nationalistes et indépendantistes

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La jeunesse conservatrice et nationaliste


On a tendance à croire, sans trop se tromper, que les milieux intellectuels sont globalement hostiles aujourd’hui à l’indépendantiste et au nationalisme québécois. On ne fait pas carrière à l’université aujourd’hui ou dans les différentes institutions qui gravitent autour d’elle si on n’envoie pas des signaux d’adhésion explicites et ostentatoires à la nouvelle idéologie dominante. Malgré tout, on a vu apparaître ces dernières années une nouvelle génération d’intellectuels nationalistes qui a placé la question nationale en particulier et la condition québécoise en général au cœur de sa réflexion. On sent chez ces intellectuels à la fois une conscience de l’adversité et un sentiment d’urgence. Leur vision du nationalisme est enracinée à la fois dans l’histoire et dans une lecture très perspicace des grands enjeux de notre temps. Ils incarnent une nouvelle dissidence intellectuelle. Il faut s’intéresser aux raisons qu’ils placent à l’origine de leur engagement pour l’indépendance du Québec. Ils n’ont pas honte d’assumer la dimension «identitaire» de ce projet. J’admire leur courage, et c’est avec joie que je leur donne la parole aujourd’hui pour qu’ils nous éclairent sur le sens de leur engagement.


***



Nom: Alexis Tétreault


Âge: 27 ans


Ville de naissance: Saint-Jean-sur-Richelieu


1. Pourquoi êtes-vous indépendantiste? Quels sont vos principaux arguments en faveur de l’indépendance?


Je répondrai à cette question à la manière de Marcel Chaput: je suis indépendantiste «parce que la dignité l’exige». Ce à quoi j’ajoute: la postérité l’exige mêmement. Tout le reste est circonstanciel et m’apparaît comme la fuite en avant d’un peuple qui ne sait plus trop pourquoi il existe. Notre nation fragile et hésitante se rendrait coupable d’une intolérable indolence si elle se résignait une fois pour toutes à la vie provinciale. Résumons succinctement les étapes de notre histoire: s’enraciner dans un territoire hostile, guerroyer, perdre, se relever péniblement, résister à l’assimilation et, enfin, se redresser. Tout ce parcours pour finalement accepter et intérioriser la défaite et s’accommoder du statut de «communauté ethnique» canadienne? Décidément, la dignité nationale exige l’indépendance. Sinon, la simple survie de la nation québécoise ne se trouve pas ailleurs que dans l’indépendance. Autrefois, on parlait avec hantise du déclin démographique des francophones à l’intérieur du Canada. En 2021, il est question du déclin des francophones à l’intérieur même de notre territoire national. Nous ne faisons ici que payer le prix de notre provincialisation dans un pays anglophone qui tend à assimiler au nazisme toute affirmation nationale. En des termes moins équivoques: sans l’indépendance, la disparition de la nation québécoise est inéluctable.  


2. La jeune génération entretient un rapport complexe avec le nationalisme québécois: comment l’expliquez-vous?


Je préfère regarder la forêt que cache l’arbre et me poser une question «groulxienne»: qui sont les maîtres de cette jeune génération? L’indifférence à l’endroit de la nation ne leur est pas innée, elle fut acquise à l’école québécoise. Celle-ci est prise en otage par des pédagogues qui entraînent les jeunes esprits dans une hubris autoréférentielle. Ces jeunes sont, pour user de la magnifique formule de Groulx, «si pauvres parce qu’ils se commencent à eux-mêmes». Plongez-les dans l’héritage national (histoire, littérature, arts) et ils cesseront de déambuler dans leur pays à la manière de touristes. Ils ne sont pas différents de l’adolescent que j’étais: un étranger au monde et à lui-même, en attente d’un éblouissement. J’avais une aversion pour les cours de français jusqu’à ce qu’on me fasse lire Le Comte de Monte-Cristo. Je connaissais mal notre histoire avant d’être émerveillé par la plume de Groulx. Notre cinéma m’était peu sympathique avant de découvrir l’œuvre de Pierre Perrault. Je me permets donc ce message aux didacticiens: vous n’êtes pas à la hauteur! Remballez vos gadgets pédagogiques, effacez-vous et faites découvrir à la jeunesse les grands esprits qui ont bâti le Québec.  


3. Est-ce qu’être indépendantiste et nationaliste est difficile à l’université?


Vous m’avez déjà fait l’honneur d’en parler sur ce même blogue. Au risque de me répéter, je réaffirme que l’étudiant indépendantiste et nationaliste fréquente l’université à la manière d’un corps étranger. Il se trouve dans une situation orwellienne. Il peut, d’une part, pratiquer la «double pensée» et user de la novlangue foucaldienne en vogue. Ainsi, il bêlera avec le reste du troupeau que la nation a comme pierre d’angle la «race», même s’il sait pertinemment que la nation est l'une des seules communautés politiques capables de transcender les appartenances ethniques. Peut-être arrivera-t-il à tromper son esprit. Peu importe, il se perdra rapidement dans les dédales de la vertu officielle. D’autre part, il peut profiter de l’adversité idéologique afin de buriner sa pensée à coup de confrontations certes épuisantes à la longue, mais ô combien formatrices. Avec un peu de chance, il trouvera refuge dans le bureau d’un de ces rares professeurs qui ne communient pas au wokisme ambiant. Je crois par ailleurs qu’un intellectuel de cette sorte doit impérativement trouver des appuis à l’extérieur de l’université. Son salut se trouve dans l’amitié et la complicité intellectuelle qu’il nouera avec d’autres «corps étrangers».  


4. Dans l’histoire du combat pour l’indépendance, quelles figures vous inspirent, à la fois chez les intellectuels et chez les politiques?


Je considère l’historien Maurice Séguin comme l'un des intellectuels les plus importants du Québec. Lorsque l’on s’intéresse à son enseignement et à sa (trop) mince œuvre, la condition politique québécoise devient, pour ainsi dire, transparente. La lecture «séguiniste» de notre histoire en est une dite «réaliste» — que d’aucuns qualifient de «pessimiste» — qui se fonde sur le rapport de force dont notre nation fait l’objet. Relire Séguin nous permet de comprendre que si le Québec doit un jour devenir indépendant, ce ne sera pas en raison d’un projet écologiste d’avant-garde, d’un modèle social généreux ou de nobles intentions sur la scène internationale. Le Québec se libérera de la tutelle fédérale lorsque, sûr de lui-même et bien ancré dans une position de force, il contestera la légitimité politique du régime canadien. L’homme qui a le mieux incarné cette doctrine et qui, accessoirement, s’est le plus approché de l’indépendance n’est nul autre que Jacques Parizeau. Parizeau est le grand homme de notre histoire. Il n’était pas écrasé par un sentiment d’infériorité ni par une mauvaise conscience paralysante. Il était, autrement dit, à la mesure de sa tâche. Peut-être est-ce nous qui ne l’avons pas été. 


5. Le combat pour le français peut-il interpeller votre génération? Est-elle consciente de la possible assimilation du peuple québécois?


La jeunesse, je le disais plus haut, est à l’image de l’éducation qu’elle a reçue: dénationalisée. Mais ne leur jetons pas la pierre trop vite; leur silence quant au sort du français n’est pas aussi affligeant que celui des artistes. Je le demande avec une réelle inquiétude: où sont les artistes dans ce débat qui les concerne au premier chef? La fonction de l’artiste québécois est-elle de se pavaner sur les plateaux de télé bon chic bon genre, ou bien de porter sur lui la culture de ce peuple fragile? Que les artistes en soient conscients: le déclin du français n’aura d’égal que leur folklorisation. Ce sont leurs œuvres et leur propre humanité créatrice qui est ici en jeu. En sont-ils seulement conscients? Prendre position politiquement est certes risqué pour leur «image publique». Mais rester muet devant l’anglicisation et l’américanisation du Québec leur sera proprement fatal. Ils ont une responsabilité historique à l’endroit de la nation québécoise et de sa culture. Jusqu’à présent, ils en sont indignes et ne méritent pas l’épithète d’artiste dont ils se prévalent à peu de frais et avec tant de désinvolture.





Nom: Frédéric Morneau-Guérin


Âge: 32 ans


Ville de naissance: Chicoutimi


1. Pourquoi êtes-vous indépendantiste? Quels sont vos principaux arguments en faveur de l’indépendance?


Je suis héritier d’une culture, d’une langue, d’une tradition en constante évolution et d’un mode d’existence que je chéris et que j’espère voir se perpétuer. C’est dans nos récits fondateurs et dans notre histoire collective ponctuée de mille et une petites victoires (contre la neige et le froid, contre l’indigence, contre la honte du vaincu, contre l’assimilation, etc.) que mes convictions indépendantistes prennent source. C’est dans l’histoire de mes ancêtres, pleine de drames et de magnificence, qu’elle se renforce. Si je suis indépendantiste, c’est qu’il m’est impossible de concevoir comment ne pas l’être. Voilà plus de 400 ans que nous animons d’une façon qui nous est propre cette parcelle d’Amérique. Je ne peux pas me réconcilier avec l’idée que cette longue et belle histoire qui est la nôtre puisse un jour prendre fin.


J’en arrive à ce qui me semble être le principal argument en faveur de l’indépendance: le peuple québécois fait face à une menace existentielle. S’il a survécu à la conquête ainsi qu’à 250 ans de soumission à des politiques assimilationnistes plus ou moins sournoises selon les époques, il ne pourra pas toujours ne pas disparaître. Le Québec est de ces petites nations dont la survie sera toujours précaire. C’est pour qu’il ne soit plus privé des moyens d’assurer sa préservation que le peuple québécois doit urgemment faire aboutir le processus d’éclosion politique. Et même si le Canada devait, subitement, à la suite de je ne sais quelle épiphanie, consentir à veiller à l’intérêt supérieur du peuple québécois (ce qui n’est pas près d’arriver), ça ne diminuerait en rien l’impératif de réaliser l’indépendance. Car malgré toute l’estime que l’on peut avoir pour son voisin, malgré toute la confiance que l’on peut placer en lui, il n’est jamais avisé de se mettre à sa merci.


2. La jeune génération entretient un rapport complexe avec le nationalisme québécois: comment l’expliquez-vous?


La jeune génération entretient, à mon sens, un rapport fleur bleue au monde. J’entends par là qu’elle a adopté une vision romantique et idéaliste qui l’amène à faire preuve d’une sentimentalité superlative. Elle tarde à prendre la juste mesure de la complexité du monde. Elle tarde à faire l’apprentissage du réalisme et du pragmatisme. Elle tarde, enfin, à développer cette vertu que les Romains appelaient gravitas (une forme de sérieux, de solennité, d’élévation).


La jeune génération, à mon sens, voit le nationalisme comme un concept incompatible avec les sacro-saintes ouverture sur le monde et ouverture à l’autre (des formules si vagues qu’elles m’apparaissent être porteuses d’une charge affective, mais absolument dénuées de toute charge sémantique spécifique).


3. Est-ce qu’être indépendantiste et nationaliste est difficile à l’université?


Je ne saurais dire avec certitude si c’est en raison du fait que j’ai principalement évolué au sein d’un département appartenant à la Faculté des sciences et de génie au cours de mes études, ou s’il faut plutôt y voir un signe des temps, mais force est d’admettre que l’indépendantisme a été tout au long de mes études un non-sujet. Excepté quelques conversations sans prétention au sujet de la politique avec mon superviseur de thèse, je n’ai souvenir d’aucune discussion portant sur la question nationale. Pendant mes années d’études, j’ai porté mes convictions indépendantistes comme on porte un scapulaire: près du cœur et loin des regards.


Mon expérience au sein du corps professoral m’a quant à elle permis de constater que celui qui exprime des sentiments nationalistes n’est pas d’emblée frappé d’ostracisme ou condamné à une forme d’exil intérieur professionnel. Il peut toutefois s’avérer plus périlleux d’attirer l’attention de l’avant-garde militante woke en s’inscrivant en faux contre ses thèses.


4. Dans l’histoire du combat pour l’indépendance, quelles figures vous inspirent, à la fois chez les intellectuels et chez les politiques?


J’ai une admiration sans bornes pour René Lévesque et Jacques Parizeau qui nous ont menés aux portes de l’indépendance. J’ai également une profonde estime et une affection particulière pour Jean Garon, lequel était l’incarnation même du politicien fougueux viscéralement attaché à sa patrie. Chez les intellectuels, je voue un grand respect au chercheur indépendant Frédéric Lacroix, qui accomplit un travail admirable pour nous éclairer sur la question linguistique. 


5. Le combat pour le français peut-il interpeller votre génération? Est-elle consciente de la possible assimilation du peuple québécois?


Ma génération a connu plus de 20 ans de relative «paix linguistique». Au cours de cette période, l’anglicisation a semblé connaître une période de latence. Nous semblions avoir atteint un équilibre dynamique. Vingt ans, à l’échelle de l’Histoire, c’est un intervalle de temps infinitésimal. À l’échelle d’une vie, en revanche, c’est une période suffisamment prolongée pour susciter une impression de permanence, de perpétuité. Or, comme l’a démontré Frédéric Lacroix, nous avons atteint un point de bifurcation. En raison de l’actuelle anglicisation galopante, il existe désormais un réel risque d’assimilation du peuple québécois, et je doute que ma génération en ait pris conscience.


Quant à la jeune génération, elle m’apparaît être encore plus subjuguée par l’anglais que ma génération peut l’être. J’espère qu’elle réalisera plus tôt que tard que le français, pour le dire avec les mots d’Yves Duteil, c'est une langue belle avec des mots superbes qui porte son histoire à travers ses accents. J’espère qu’elle réalisera que notre langue est le ciment qui nous lie comme peuple. J’aimerais entrevoir l’avenir avec optimisme à cet égard, mais j’en suis présentement incapable.



Nom: Pierre Norris


Âge: 29 ans


Ville de naissance: Boisbriand


1. Pourquoi êtes-vous indépendantiste? Quels sont vos principaux arguments en faveur de l'indépendance?


De nombreux indépendantistes de gauche diront que l'indépendance permet de rêver à un monde meilleur, à un Québec égalitaire, écologiste et social-démocrate. De la même manière, des indépendantistes de droite peuvent tout autant imaginer un Québec moins étatiste, plus responsable, plus conservateur. Si je ne crois pas qu'il faille refuser de pencher d'un côté ou d'un autre, il importe cependant de rappeler que l'indépendance n'est pas le véhicule pour réaliser un projet de société, mais bien la condition même de l'existence durable d'une société: la liberté, c'est le pouvoir de se gouverner, d'être responsable de soi-même. Le Québec est le foyer national de l'Amérique française. Notre Parlement provincial vieux de plus de deux siècles, notre territoire exploré, dessouché et cultivé, nos clochers à l'horizon, nos universités, nos barrages hydroélectriques, nos efforts et nos travaux sont les gages de notre légitimité: nous n'avons rien à prouver à personne, sinon à nous-mêmes. Mais un tel peuple peut bien construire comme il veut, sans la liberté, sans un État souverain, il n'est que l'appendice d'un autre et toutes ses constructions sont perpétuellement menacées de disparition. C'est pour cela que je suis indépendantiste.


2. La jeune génération entretient un rapport complexe avec le nationalisme québécois: comment l'expliquez-vous?


De manière générale, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et encore davantage depuis la fin de la Guerre froide, nous assistons en Occident au procès de l'État-nation, à la déconstruction des cultures nationales, à la ringardisation du passé et au recul de la souveraineté étatique et des pouvoirs régaliens. C'est l'univers dans lequel évoluent les adolescents et les jeunes adultes depuis leur naissance, et cela touche le Québec comme tout le reste de l'Occident. Mais, plus particulièrement, je crois aussi qu'une bonne partie de la jeune génération a de la difficulté à adhérer au Québec parce qu'elle n'a rien connu d'autre qu'un Québec défait au référendum de 1995, un Québec en repli face à Ottawa, un Québec où le camp national se divise sans cesse, un Québec libéral dans lequel les allégations de corruption et de collusion font les manchettes semaine après semaine. En somme, non seulement la jeune génération s'est toujours fait dire que la nation était dangereuse et qu'il fallait nécessairement célébrer toute forme de diversité, mais elle a également toujours fait face à un Québec, il faut bien le dire, perdant. C'est le double défi auquel nous faisons face.


3. Est-ce qu'être indépendantiste et nationaliste est difficile à l'université?


Je crois que oui, malheureusement. À la limite, il est encore possible de s'y afficher comme indépendantiste, à condition de montrer aussitôt patte blanche et de faire la démonstration que notre indépendantisme est nécessairement associé à des convictions écologistes et multiculturelles. Quiconque ne s'émeut pas devant ce progressisme sera aussitôt suspect. Le nationalisme tout court, lui, est clairement perçu comme une menace, un objet dangereux, un ennemi à abattre. Évidemment, ce n'est pas unanime. Un étudiant indépendantiste et nationaliste qui se fait subtil a toujours la possibilité, s'il tombe sur les bonnes personnes et les bons professeurs ici et là, de se faufiler et de parvenir à la fin de son programme sans avoir été trop injurié (et encore). Ces difficultés résultent en partie du déclin du combat national depuis plus de 25 ans, et de la dynamique générale et occidentale dont je parlais plus tôt. Mais la réponse indépendantiste ne doit pas être plaintive. Ce serait une erreur que de pleurer sur notre sort, il faut affronter la situation. Les indépendantistes et les nationalistes ont le devoir de s'assumer et de s'organiser entre eux en conséquence.


4. Dans l'histoire du combat pour l'indépendance, quelles figures vous inspirent, à la fois chez les intellectuels et chez les politiques?


Chez les intellectuels, je pense tout naturellement à Lionel Groulx. Il avait compris que les Canadiens français ne parviendraient à rien s'ils se contentaient de la survivance et qu'ils devaient en conséquence se doter d'un État national. Il a réorienté le nationalisme canadien-français vers le Québec plutôt que vers le Canada binational rêvé par Henri Bourassa. Il était totalement conscient de l'aboutissement logique d'une telle entreprise à moyen ou à long terme. Tout en critiquant la révolution des mœurs qui accompagnait la Révolution tranquille, Groulx appuyait la création de la Caisse de dépôt et placement ou de la nationalisation de l'hydroélectricité, projets qu'il portait depuis les années 1920 et 1930. Il a inspiré à la fois les penseurs nationalistes conservateurs d'avant 1960 (Minville, Angers, Arès, etc.) et les néonationalistes de l'École historique de Montréal (Séguin, Frégault, Brunet, etc.). Je crois que la pensée indépendantiste et la conscience nationale québécoise lui doivent beaucoup. Enfin, pour les politiques, je pense bien sûr à Jacques Parizeau et à Camille Laurin, de grands hommes d'État qui incarnaient une certaine grandeur. Ils avaient compris que l'indépendance du Québec n'était pas qu'une affaire de mots et de déclarations, qu'elle devait s'incarner concrètement dans les faits, dans des actes. Beaucoup d'indépendantistes semblent l'oublier.


5. Le combat pour le français peut-il interpeller votre génération? Est-elle consciente de la possible assimilation du peuple québécois?


Plusieurs jeunes en sont conscients et leur nombre n’est pas négligeable, ils sont souvent sous-estimés. Mais je pense néanmoins (et malheureusement) qu’ils sont minoritaires. Plusieurs n’ont aucun attachement envers le Québec, tandis que d’autres ne rejettent ni le français ni le Québec, mais croient que les identités peuvent s’accumuler et se multiplier. L’idée même que le peuple québécois puisse cesser d’exister leur semble loufoque et dangereusement alarmiste, tandis qu’ils ne voient plus la suprématie de l’anglais comme une menace existentielle. Encore une fois, il faut éviter de s’en plaindre. Il importe de rappeler et de montrer que le français est une langue de puissance, une langue d’enrichissement, une langue internationale, une langue de l’avenir. Mais surtout, il faut incarner et concrétiser ces affirmations. Certes, cela doit se faire par des actions individuelles et civiles, mais aussi, et surtout, par l’action de l’État du Québec, qui doit user de ses pouvoirs tous azimuts pour s’assurer que le français demeure la langue commune et incontournable au Québec. C’est notamment dans les écoles et les institutions d’enseignement postsecondaire que le sort du français au Québec va se jouer.



Nom: Philippe Lorange


Âge: 21 ans


Ville de naissance: Saint-Hyacinthe


1. Pourquoi êtes-vous indépendantiste? Quels sont vos principaux arguments en faveur de l’indépendance?


Disons que je pars de loin. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la politique, vers 13 ans, j’avais une aversion complète pour le mouvement souverainiste et j’étais très fier d’être canadien. Je voyais l’indépendance non pas comme un accomplissement de notre québécité, mais comme l’arrachement d’une partie de nous-mêmes. Après plusieurs mois à penser ainsi, je suis tombé au printemps 2013 sur un article du Journal de Montréal d’un certain Mathieu Bock-Côté. À la lecture de ce texte, j’ai pris par la suite un bon mois pour réfléchir intensément et enfin tomber dans le camp du Oui. 


Nous devons faire l’indépendance puisque c’est d'abord une question de survie. La question démographique est essentielle, car notre maintien dans la fédération canadienne nous condamne à la disparition tranquille. Comme l’ont démontré plusieurs études, les seuils d’immigration astronomiques imposés par le régime canadien nous mènent tout droit à l’assimilation dans un avenir pas si lointain.


Ensuite, retenons toujours que le colonisé n’est pas un homme heureux. Le peuple québécois ne pourra se délivrer de ses complexes psychologiques que par une émancipation totale de la tutelle politique maintenue par Ottawa. Enfin, il me semble tout à fait insensé que nous demeurions sous la gouverne d’une Cour suprême multiculturaliste qui nous empêche d’établir nos propres choix collectifs, notamment en matière de la langue française et de laïcité de l’État. 


2. La jeune génération entretient un rapport complexe avec le nationalisme québécois: comment l’expliquez-vous?


À ce sujet, il suffit d’interroger les jeunes Québécois sur les connaissances qu'ils détiennent sur leur propre culture. Vous constaterez très rapidement la déculturation extrêmement avancée de la jeune génération, pour qui les Gilles Vigneault, Paul Piché et Pauline Julien ne disent plus grand-chose. Comment vouloir la souveraineté d’un peuple qu’on ne connaît même pas?


Cela dit, je refuse d’affirmer que la jeunesse est antinationaliste, car cela est faux. Elle est simplement dépourvue de repères en raison d’une absence presque totale de transmission culturelle. Mais elle est toujours habitée par un instinct vital, qui sommeille au fond d’elle-même. Je le constate chaque semaine en côtoyant des jeunes de divers horizons, bien souvent apolitiques. Malgré cela, pratiquement rien ne vient réveiller la fibre nationaliste en eux: ils ont devant eux un Parti québécois moribond qui revendique un émoji fleurdelisé, une CAQ timorée qui donne constamment des gages au régime canadien, des chanteurs qui se concurrencent dans l’absurdité de leurs paroles (Jésus nous a dit, Coton ouaté, J’aime ta grand-mère...). D’un autre côté, tout ce qui incarne la grandeur se fait sous le signe de l’unifolié (les athlètes, les astronautes, le G7, l’armée) et, à l’inverse, tout ce qui relève du «ticounisme» est marqué par le sceau de la fleur de lys. Dans ce contexte, il est difficile, pour un jeune, de s’identifier à sa patrie et de vouloir se battre pour elle. 


3. Est-ce qu’être indépendantiste et nationaliste est difficile à l’université?


Un jeune étudiant indépendantiste, nationaliste de surcroît, doit se préparer à vivre un isolement quasi extrême. Il rencontrera peu de compagnons de route, mais ils seront précieux et seront à ses côtés toute sa vie. En même temps, je ne veux pas trop faire peur aux futurs étudiants: s’ils vont à l’université en français, ils seront fort probablement tolérés par la plupart et réussiront à se faire des amis, peu importe la tendance idéologique. Pour ce qui est de l’université anglophone, je ne peux rien assurer: la pensée woke y est bien plus inquisitrice. S’il est un véritable passionné de la cause qui cherche à engager des thèmes du nationalisme québécois dans ses recherches aux cycles supérieurs, il aura de la difficulté à se trouver un bon directeur de recherche. Les seuls professeurs enthousiastes aux sujets de recherche concernant la nation québécoise se comptent sur les doigts d’une main et approchent de la retraite. Ils n’auront malheureusement pas de relève, puisque depuis plusieurs années, un nouveau dogme universitaire ultraprogressiste bloque l’embauche de tout candidat moindrement nationaliste. Il suffit de passer une semaine à l’université pour saisir mon propos. 


4. Dans l’histoire du combat pour l’indépendance, quelles figures vous inspirent, à la fois chez les intellectuels et chez les politiques?


Ce n’est pas ici que je ferai preuve d’originalité. J’avoue mon admiration pour René Lévesque, qui fut pour moi l’incarnation de la personnalité collective du peuple québécois. J’aime son regard inquiet, sa voix cassée à force de discourir et ses formules intemporelles et si justes. Jacques Parizeau fut aussi un grand homme brillant et dévoué qui savait imposer la verticalité du pouvoir. Et je dois admettre mon enthousiasme, depuis l’adolescence, pour la verve de Lucien Bouchard. Malgré des erreurs importantes qu’il a commises, j’ai toujours été captivé par ses discours et ses façons de galvaniser une foule. Après, on objectera que tous ces hommes sont «des perdants», et, malgré la cruauté de la formule, bien malin est celui qui pourrait nous convaincre du contraire. Cela dit, nous ne sommes pas en reste de personnages conquérants; pensons simplement à la figure de Pierre Le Moyne d'Iberville. Du côté des intellectuels, Lionel Groulx me donne l'envie de maintenir la lutte coûte que coûte, de croire par-dessus toute espérance. Robert Laplante, l’actuel directeur de la revue L’Action nationale, est aussi pour moi un homme combatif, doté d’une immense érudition et d’une profonde sagesse. 


5. Le combat pour le français peut-il interpeller votre génération? Est-elle consciente de la possible assimilation du peuple québécois?


Je n’ai aucun doute que le combat pour le français peut rejoindre notre génération. Oui, il y a beaucoup d’indifférence et de lassitude, ne nous le cachons pas. Plusieurs jeunes me confient leur questionnement quant à la pertinence d’une telle lutte. Il faut noter aussi l’immense travail de sape qui s’opère depuis plusieurs années par le régime canadien pour semer la confusion chez les jeunes esprits. 


À l’heure actuelle, je ne pense pas que les jeunes de ma génération sont conscients de la possibilité de l’assimilation. Quand on vit à Saint-Hyacinthe, où il y a 95% de francophones, il est difficile de constater l’érosion démographique dans la vie de tous les jours. En région, un snobisme assez présent de Montréal fait en sorte que beaucoup de jeunes ne sont pas trop au courant des mutations démographiques en cours, tout simplement en raison du fait qu’ils évitent la métropole. Cela dit, je pense qu’un mouvement indépendantiste qui saurait marteler le sujet d’une possible assimilation peut réussir à éveiller les jeunes à cette fatalité. Il faudra aussi qu’il sache réanimer des figures conquérantes de notre histoire pour faire contrepoids à la propagande canadienne. Dans un contexte de blocage politique, qui approche plus vite qu’on le pense, le jeu politique change souvent du tac au tac et la jeunesse peut surprendre, et ce, pour le mieux.




 


Nom: David Santarossa


Âge: 28 ans


Ville de naissance: Laval


1. Pourquoi êtes-vous indépendantiste? Quels sont vos principaux arguments en faveur de l’indépendance?


Il y aurait mille et un arguments à faire pour l’indépendance: gestion par le Québec des budgets et de l’immigration, autonomie du territoire, diminution de l’État en supprimant les ministères doublés à Ottawa, etc. Mais l’argument qui justifie tous les autres n’en est pas un rationnel, c’en est un qui relève du caractère charnel du projet. Cette culture québécoise, c’est la mienne, c’est la seule. Elle a besoin d’un État pour persévérer dans son être, car le Canada n’est jamais enclin à respecter les demandes identitaires du Québec en raison du fossé civilisationnel qui les sépare. D’un côté, c’est l’État postnational multiculturaliste et de l’autre, c’est une petite nation qui aspire à la continuité historique. Les projets identitaires québécois et canadien sont en parfaite contradiction, ça ne pourra plus tenir bien longtemps. 


Cela dit, il y a évidemment des arguments plus prosaïques qui justifient mon souverainisme. Dans une société qui se fragmente de plus en plus, le nationalisme québécois, avec sa culture de convergence, permet de créer du commun dans une société qui en manque beaucoup. Cette affiliation de tous les Québécois avec leur culture permet d’asseoir sur une base permanente la solidarité nécessaire à toute société. 


2. La jeune génération entretient un rapport complexe avec le nationalisme québécois: comment l’expliquez-vous?


J’enseigne au secondaire et je constate non pas un désintéressement pour le nationalisme, mais plutôt une indifférence qui s’explique davantage par un refus de la part des enseignants d’en parler que d’une surdité volontaire des élèves par rapport à ces questions. Un tel sujet est difficile à aborder, car la référence québécoise est toujours connotée, alors que ce n’est pas le cas pour la référence canadienne. Un enseignant qui se présente comme québécois et qui entretient un cadre de référence québécois reçoit son lot de regards suspicieux. Tout en respectant ma neutralité enseignante, neutralité à laquelle je tiens énormément, j’ai abordé le nationalisme avec mes élèves et j’observais chez eux un intérêt naturel. Ils ont le sentiment d’être québécois et de faire partie d’une collectivité qui ne se réduit pas qu’à un agrégat d’individus. Il y a dans leurs propos une forme de nostalgie pour des temps plus politisés, pour des moments qui ont «compté» dans l’histoire. Je pense que ces sentiments sont partagés par les Québécois qui n’ont pas connu 1995. Les sentiments nationaux sont en dormance chez la jeune génération, et il suffit parfois que d’une figure inspirante pour les ranimer.


3. Est-ce qu’être indépendantiste et nationaliste est difficile à l’université?


Être indépendantiste pour les «bonnes raisons» reconnues par la doxa universitaire ne vous apportera aucune difficulté. En revanche, il y a un prix qui est attaché au fait d’être indépendantiste pour des raisons culturelles ou identitaires. L’un des plus importants est celui du fardeau de la preuve. Chacune de nos interventions demande des justifications, qui en demandent d’autres à leur tour et ainsi de suite. Pour un étudiant de premier cycle qui a ses intuitions, mais qui ne les a pas encore complètement intellectualisées, ces procès sont difficiles à subir. Fatigués de défendre leurs idées ou simplement désireux de se faire des amis, plusieurs préfèrent se taire. Les cours aussi ne font pas de cadeaux aux nationalistes. L’avantage est qu’en matière d’esprit critique, les nationalistes deviennent des surdoués, car leurs cours montrent tout l’éventail d’arguments avancés pour délégitimer leur position. Toutefois, les auteurs qui partagent leur sensibilité ne sont généralement pas lus. Les universitaires nationalistes sont donc laissés pour compte et doivent se rabattre sur des voies alternatives comme des clubs de lecture clandestins.


4. Dans l’histoire du combat pour l’indépendance, quelles figures vous inspirent, à la fois chez les intellectuels et chez les politiques?


Chez les politiques, Camille Laurin sort du lot. La loi 101 est aujourd’hui un «meuble» de la politique québécoise, tous les partis désirent même la renforcer. Pourtant, en 1976, cette loi était loin de faire l’unanimité. Même le Conseil des ministres du PQ se voyait divisé, même Lévesque trouvait la loi trop dure. Entouré de grandes pointures intellectuelles comme Guy Rocher et Fernand Dumont, et s’inscrivant dans l’histoire de la lutte nationale, Laurin a usé de pédagogie et de stratégie pour faire le nécessaire en fonction du bien commun. Sans cette loi, on peine à s’imaginer à quoi ressemblerait le paysage linguistique québécois, qui n’est déjà pas très enviable. Le travail de Camille Laurin nous rappelle l’importance de l’effort individuel qui s’inscrit dans un grand contexte afin de justifier des lois structurantes.


L’autre figure, qui est issue du monde des artistes, est Bernard Émond. Ce dernier nous rappelle que notre monde n’a pas commencé hier, que notre liberté n’en est pas une individuelle, qu’elle ne sert pas qu’à aller au centre commercial, mais plutôt qu’elle est consubstantielle à notre culture, que notre liberté appelle des sentiments supérieurs comme celui de continuer notre parcours français en Amérique.


5. Le combat pour le français peut-il interpeller votre génération? Est-elle consciente de la possible assimilation du peuple québécois?


Pour une certaine élite «éclairée», l’assimilation du peuple québécois est une lubie des conservateurs. Une culture, pour autant qu’elle soit composée de «Blancs», serait en perpétuel changement, et le risque de l’assimilation servirait donc d’excuse à la population pour justifier ses sentiments réactionnaires d’attachement à l’ancien monde qui porte nécessairement tous les travers. Ces idées plutôt naïves qui identifient à tort la majorité historique francophone à une majorité opprimante blanche pénètrent de plus en plus l’esprit des jeunes Québécois. Pour renverser la vapeur, il faut que les nationalistes s’approprient le vocabulaire de l’époque tout en continuant de défendre leurs idées. La défense du français est sans doute le plus grand enjeu de défense de la diversité en Amérique, mais elle n’est à peu près jamais mentionnée en ce sens. En multipliant les études sur la situation du français au Québec et en entrant en conflit civilisationnel avec le fédéral, comme on le fait avec la loi 21 et le projet de loi 96, les Québécois de tous les âges se rendront compte du caractère antinomique de ces deux États.




Nom: Étienne-Alexandre Beauregard


Âge: 20 ans


Ville de naissance: Montréal (j’ai grandi à Québec)


1. Pourquoi êtes-vous indépendantiste? Quels sont vos principaux arguments en faveur de l’indépendance?


L’idée d’indépendance constitue la meilleure manière d’assurer la pérennité d’une nation unique et francophone en Amérique du Nord, de même qu’un modèle de société proprement québécois qui ne soit pas qu’un émule du multiculturalisme canadien. La montée de la question identitaire, depuis quelques années déjà, a révélé des différences fondamentales qui parlent d’elles-mêmes. D’un côté, un Canada anglais carburant au rejet radical du passé et à la mauvaise conscience, ce qui a poussé les élites canadiennes à adhérer largement à la mouvance woke, et de l’autre, un Québec soucieux de préserver sa différence et l’héritage national dont il est dépositaire. À travers la question constitutionnelle aujourd’hui, c’est un véritable choix de modèle de société qui s’offre à nous: adhérerons-nous au Canada woke et multiculturaliste, ou bâtirons-nous un État québécois souverain, fondé sur quatre siècles d’histoire et sur un modèle républicain de convergence culturelle? Posée de cette manière, la question nationale a le potentiel de rejoindre une majorité de Québécois qui ne se reconnaissent plus dans ce que le Canada est devenu, comme en atteste la popularité retrouvée du nationalisme depuis 2018.


2. La jeune génération entretient un rapport complexe avec le nationalisme québécois: comment l’expliquez-vous?


Il existe certainement une minorité audible qui rejette le nationalisme québécois chez les jeunes, produit du discours médiatique hégémonique depuis le début du XXIe siècle. On connaît la chanson: le nationalisme serait foncièrement «intolérant», tandis que le sens du progrès imposerait de s’ouvrir toujours davantage sur le monde, ledit monde étant pratiquement toujours anglophone et américain. Ainsi, l’Oncle Sam donne le ton pour beaucoup de luttes menées aujourd’hui par les jeunes très militants, et ceux qui auraient participé à l’Opération McGill français en 1969 sont trop souvent réduits à calquer ici des combats d’ailleurs. Cependant, il ne faut pas occulter l’existence de ce que j’aime appeler la «majorité milléniale silencieuse», toujours connectée au sens commun québécois, et qui en a assez de voir la nation qui lui a donné naissance au banc des accusés pour un oui ou pour un non. Bien sûr, ces jeunes qui ne se reconnaissent pas dans le discours dominant sont conscients du prix à payer pour le transgresser, ce qui explique le silence de plusieurs. Pourtant, dans les urnes, le verdict est sans appel: la CAQ n’était-elle pas le premier parti chez les jeunes en 2018? 


3. Est-ce qu’être indépendantiste et nationaliste est difficile à l’université?


Tout nationaliste ou indépendantiste qui atteint aujourd’hui l’enseignement supérieur se rend vite compte que ses convictions entrent en conflit avec l’idéologie dominante de l’établissement. Alors que les grandes figures intellectuelles du libéralisme et de la gauche font l’objet de moult cours de philosophie politique, le nationalisme et le conservatisme ne peuvent généralement pas compter sur le même traitement, comme s’ils étaient des pathologies dépourvues de tradition intellectuelle. De l’autre côté, l’environnement, la justice sociale et les théories critiques sont présents partout en sciences sociales, de telle sorte que l’université ne peut prétendre à une quelconque neutralité aujourd’hui. Parmi les professeurs, les gens sympathiques au nationalisme québécois sont l’exception plutôt que la règle, ce qui crée un cercle vicieux pour les étudiants qui souhaiteraient poursuivre jusqu'aux cycles supérieurs et pour les futures embauches. Ce n’est pas pour rien que les intellectuels nationalistes aujourd’hui travaillent en bonne partie dans les médias privés et non dans le monde académique. 


4. Dans l’histoire du combat pour l’indépendantiste, quelles figures vous inspirent, à la fois chez les intellectuels et chez les politiques?


J’ai une grande admiration pour Marcel Chaput, président du RIN à ses débuts et auteur de Pourquoi je suis séparatiste, sans doute le premier essai indépendantiste à avoir touché un large public au Québec. Chaput ne faisait pas dans les fioritures, il a toujours été franc sur le but réel du projet. C’est une affaire de dignité, disait-il, être maîtres chez nous, tout simplement! Chez les intellectuels, Lionel Groulx est incontournable, puisque son œuvre irrigue le nationalisme québécois encore à ce jour. En appelant à un «État français», soit un État-nation porteur de l’expérience francophone en Amérique, il esquissait déjà le programme du nationalisme de la Révolution tranquille et ses suites, autant chez les indépendantistes que chez les autonomistes. Il employait d’ailleurs déjà le slogan «maîtres chez nous», qui incarne cette idée maîtresse, avant que Lesage ne s’en saisisse. Ainsi, même s’ils sont nombreux aujourd’hui à cracher sur Groulx par mauvaise conscience, son héritage est omniprésent. 


5. Le combat pour le français peut-il interpeller votre génération? Est-elle consciente de la possible assimilation du peuple québécois?


J’ai l’impression que l’emprise grandissante de l’empire américain sur la culture transforme le rapport qu’entretiennent beaucoup de jeunes avec le français, devenu plus utilitaire qu’identitaire. Ajoutez à cela le discours selon lequel hors de l’anglais, point de salut, massivement adopté par la génération de nos parents, et la table est mise pour l’indifférence face au déclin du français. Particulièrement à Québec, loin de Montréal, la menace perpétuelle pesant sur le français ne préoccupait pas beaucoup de jeunes avant que le débat linguistique ne reprenne dans les derniers mois. Pourtant, j’ai l’impression que le vent est en train de tourner, ou qu’il y a du moins une certaine fenêtre historique qui s’ouvre présentement. Depuis l’élection de la CAQ, le nationalisme est sur toutes les lèvres, et il n’y a pas d’aspiration plus naturelle pour l’Homme que de transmettre à ses enfants la culture dont il a hérité. Je crois que les jeunes tiennent au français plus qu’ils ne le pensent actuellement et que le fait de parler à nouveau publiquement de son déclin avéré, et du risque réel que cela implique pour notre avenir collectif, permettra certaines prises de conscience.











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