Nous avons pris connaissance du travail réalisé par le groupe d'action piloté par Jacques Ménard pour la qualité de l'analyse et des solutions proposées dans son rapport sur la persévérance et la réussite scolaire au Québec et pour son approche intergénérationnelle du problème. Les constats présentés dans ce rapport, que ce soit l'éducation comme levier pour lutter contre la pauvreté, l'enrichissement personnel et collectif découlant d'une éducation de base réussie, la valorisation de l'éducation en général et de l'enseignement professionnel et technique en particulier -- insuffisante au Québec --, le vieillissement de la population qui imposera des contraintes démesurées à la main-d'oeuvre active dans quelques années, sont des réalités que le Pont fait siennes sans hésiter. Dans un souci d'équité intergénérationnelle, le Québec se doit de donner un grand coup de barre, maintenant, pour contrer le décrochage scolaire afin de permettre à chaque jeune Québécois de développer son plein potentiel social, culturel, économique et démocratique au sein de la société.
Pour ce faire, il est impératif de sensibiliser tous les acteurs politiques et sociaux à la nécessité d'investir massivement en éducation. Le Pont entre les générations demande à l'État -- duquel relève l'éducation au Québec -- de modifier ses stratégies dès cette année pour parvenir à des résultats rapidement.
Retards à combler
Malgré les investissements importants consentis depuis les années 1960 pour rattraper les moyennes canadiennes ou nord-américaines en éducation, le Québec accuse toujours un retard significatif dans la scolarisation de ses jeunes: à peine 60 % des élèves obtiennent leur diplôme d'études secondaires en cinq ans. (À la commission scolaire de Montréal, les jeunes sont plus nombreux à décrocher qu'à terminer leurs études secondaires en cinq ans.) Et 30 % des jeunes n'ont toujours pas obtenu leur diplôme à l'âge de 20 ans.
Un jeune qui ne termine pas ses études secondaires en cinq ans, à 17 ans, a très peu de chances de se retrouver sur les bancs de l'université au cours de sa vie active; et même s'il y réussit tardivement, il aura perdu des années précieuses dans des emplois précaires et mal rémunérés, sinon à vivoter sur l'aide sociale. Il n'a pas davantage accès au cégep, où de bons emplois bien rémunérés et très demandés au Québec l'attendent dès l'obtention du DEC technique. Or, la société du savoir dans laquelle est engagé le Québec exige non seulement des diplômés universitaires, mais des travailleurs qualifiés pour des emplois de plus en plus spécialisés. Un 1er cycle universitaire, ou souvent, un 2e, c'est de cinq à sept années d'études à plein temps au-delà de la 5e secondaire.
De l'importance d'étudier jeune
Tous ceux qui ont terminé des études après 25 ans savent combien il est difficile de conjuguer études (le plus souvent à temps partiel), travail et famille. Souvent, cela s'avère impossible. Les taux d'abandon des études le confirment, étant beaucoup plus importants, à tous les niveaux d'étude, pour ceux qui étudient à temps partiel plutôt qu'à temps plein.
Si l'on souhaite valoriser l'éducation au Québec, il faut privilégier l'éducation première, soit celle qui s'acquiert avant 25 ans. Pourquoi le Québec ne réussit-il pas aussi bien que les autres? Les sociologues de l'éducation avancent toutes sortes d'explications, mais la plus persistante semble être que les Québécois, collectivement, ne croient pas à la valeur de l'éducation; sinon, comment expliquer qu'un jeune Asiatique qui émigre au Québec parvient non seulement à maîtriser la langue française (l'anglaise aussi, très souvent), mais à se hisser aux premiers rangs de sa classe en quelques mois ou années? En Asie, on valorise énormément l'éducation (qui ouvre les portes à des emplois lucratifs et valorisants, personnellement et socialement) et «toute» la famille soutient le jeune qui veut étudier le plus loin possible et qui consent les efforts nécessaires pour réussir.
Le mythe du «self-made man» nord-américain -- très tenace au Québec -- qui réussit à force de talent et de détermination, même s'il n'est pas allé très loin à l'école, a engendré quelques exceptions notoires. La réalité pour la majorité est plutôt que la population québécoise est parmi les moins bien préparées des provinces canadiennes pour affronter les défis du XXIe siècle.
Changer de stratégie
Le Pont entre les générations invite le gouvernement du Québec à revoir ses priorités et ses stratégies. Si le gouvernement exige planifications stratégiques, plans d'action et indicateurs de performance des secteurs publics et parapublics, nous pensons qu'il pourrait commencer par donner l'exemple et:
- Énoncer des objectifs clairs et des priorités d'action en matière de scolarisation des jeunes Québécois, avec des indicateurs de performance pour en vérifier l'atteinte; par exemple, que d'ici cinq ans, nous voulons que 80 % de nos jeunes obtiennent leur diplôme d'études secondaires avant l'âge de 20 ans et voici les moyens et les ressources que nous comptons mettre en oeuvre pour y arriver.
- Lancer une campagne de valorisation nationale permanente de l'éducation et de l'école en incitant les familles et les communautés à s'impliquer dans la scolarisation de leurs jeunes -- par exemple: «L'école, ça commence à la maison». La campagne devrait aussi valoriser l'effort, la rigueur, le sérieux, le sport et le culturel intégrés au curriculum d'études, etc.
- Aider concrètement les milieux et les écoles qui se prennent en main et qui mettent sur pied des programmes de persévérance scolaire avec la participation des parents, des aînés, des entreprises, des chambres de commerce, des centres de jeunes, etc. Amener le milieu des affaires à s'impliquer concrètement en limitant le nombre d'heures travaillées par les jeunes, par exemple: «Tu continues à travailler ici à condition de poursuivre tes études. Tu décroches, tu perds ta job!»
- Donner des bourses pour valoriser les élèves qui ont consenti des efforts notables pour améliorer leurs notes -- même s'ils ne sont pas des premiers de classe -- afin de les tenir éloignés le plus longtemps possible d'un travail rémunéré. Donner des crédits d'impôt remboursables importants aux parents qui maintiennent leurs enfants à l'école au-delà de la 3e secondaire. Encourager avec des bourses les meilleurs élèves de niveau collégial à faire carrière en éducation, car pour garder les enfants intéressés à l'école, il faut aussi des profs compétents, engagés et passionnés.
- Soutenir les programmes destinés à la petite enfance dans les milieux défavorisés qui visent une mise à niveau dès la première année. Impliquer les aînés dans «l'heure du conte» et autres activités avec les tout-petits et l'aide aux devoirs au primaire. Les retards cumulés et l'échec scolaire (particulièrement en français), la faible estime de soi, l'absence de soutien parental, l'absentéisme -- signes avant-coureurs du décrochage? -- sont décelables dès le primaire.
L'épaule à la roue
Ce programme pourrait prendre l'allure d'un véritable «chantier» où tous pourraient mettre l'épaule à la roue. Les écoles et les parents doivent se retrouver au coeur de ce vaste chantier, mais les grands-parents ne devraient pas être en reste. Pourquoi, en effet, ne pas y associer les aînés qui veulent participer? Ils ont du temps, de l'énergie et l'expérience nécessaire pour se rendre utiles à de nombreuses tâches. Il suffit que l'impulsion soit donnée et que les résistances soient aplanies dans le milieu scolaire pour leur venue.
Le Québec est en manque de savoir. Ne gaspillons pas celui qu'ont acquis nombre de citoyens qui ne demandent qu'à contribuer à l'essor de leur communauté et à l'avenir de ses jeunes.
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Membres du Pont entre les générations,
Ont signé ce texte: Rock Beaudet, Claude Béland, Cécile Béliveau, Karine Blondin, Alexandre Bujold, Solange Chalvin, Lynda Champagne, Claude Charette, Jean-Félix Chénier, Serge Courville, Robert Demers, Angèle Dufresne Dagenais, Catherine Duprey, Serge Gagnon, Jacques Grand'Maison, Sonia Keroack, Frédéric Lapointe, Romain Lortille-Bruel, Jean-François Marçal, Jonathan Plamondon, Caroline Sauriol
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