Vous savez probablement que le président des États-Unis, Barack Obama, a décidé de mettre à profit la crise financière actuelle pour aiguiller son pays vers de nouvelles voies d'avenir en augmentant significativement le financement de la recherche scientifique et de l'éducation, ceci afin de relancer l'innovation dans un contexte économique nouveau. Sa vision, très large, comprend une augmentation de plus de 15 milliards de dollars pour la recherche scientifique, ainsi qu'une promesse de doubler le budget consacré à l'éducation au cours des dix prochaines années. [...]
De son côté, notre gouvernement a concocté son propre plan pour tenter de stimuler la recherche et l'ensemble du secteur universitaire au Canada. Le coeur de ce plan est un fonds de 2 milliards pour des projets de rénovation dans les établissements d'enseignement. Ce fonds avait été réclamé par les recteurs d'universités. La Fondation canadienne pour l'innovation (FCI) reçoit pour sa part 750 millions. De plus, 87,5 millions répartis sur trois ans sont alloués à un programme de bourses doctorales.
Même si ces annonces de financement sont bienvenues, nous demeurons préoccupés des répercussions futures de certaines de ces décisions, en particulier à la lumière de l'approche audacieuse et éclairée qu'a choisie l'administration Obama aux États-Unis.
Inquiétantes compressions
Alors que le gouvernement américain augmente le budget de la National Science Foundation (NSF) de 40 % (3 milliards s'ajoutent à son budget courant de 6,9 milliards), nous constatons que le «budget de stimulation économique» du Canada ampute de 5 % le budget du CRSNG. Alors que le gouvernement américain augmente le financement du National Institute of Health (NIH) de 30 % (8,5 milliards s'ajoutent à son budget courant de 29 milliards), le «budget de stimulation économique» canadien ampute de 5 % le budget de l'Institut de recherche en santé du Canada et ignore les besoins de Génôme Canada.
Alors qu'on invite les chercheurs américains à viser haut et loin dans leurs propositions d'utilisation de ces nouveaux fonds, notamment pour recruter et retenir dans leurs équipes de recherche des chercheurs de calibre international, leurs collègues canadiens doivent s'atteler à la pénible tâche de gérer les réductions de budget dans leurs laboratoires et se préoccuper de l'avenir de leurs étudiants des cycles supérieurs.
Les résultats récents (c'est-à-dire après l'annonce du budget de stimulation) des concours de subventions des trois grands conseils de recherche au Canada font déjà état de taux de succès plus faibles (par plus de 20 % dans certaines disciplines), de fonds de démarrage réduits pour les jeunes chercheurs et d'un financement négligeable pour les plus petites institutions et petites provinces. Ces compressions représentent un pas en arrière pour la science au Canada.
Nous demandons au gouvernement de développer immédiatement un plan pour augmenter de façon significative sur plusieurs années l'investissement en recherche et développement des trois grands conseils.
Risque de détournement
Le nouveau programme d'entretien des infrastructures dans les établissements d'enseignement postsecondaire canadiens est certainement une très bonne nouvelle vu le manque criant de fonds à cet effet. Cependant, pour s'en prévaloir, une contrepartie financière de 50 % est exigée, ce dont personne ne dispose en ce moment. Afin de pouvoir profiter de cette manne fédérale, les universités et les gouvernements provinciaux pourraient être tentés de détourner des fonds normalement destinés à l'enseignement et à la recherche.
Nous demandons donc au gouvernement de retirer la clause de contrepartie financière.
Insidieuse contrepartie
Ces dix dernières années, la FCI a joué un rôle extraordinaire dans certains aspects du développement de l'infrastructure de recherche au Canada. Cependant, les contraintes du programme ont empêché plusieurs disciplines d'en bénéficier. De plus, des règles de contrepartie financière, similaires à celles mentionnées ci-dessus, continuent de s'appliquer aux projets FCI. Étant donné la rareté actuelle de fonds en provenance du secteur privé et des gouvernements provinciaux, certains projets déjà approuvés sont même reportés, ou carrément annulés.
Vu le contexte économique actuel, nous recommandons, dans l'intérêt du Canada et de son infrastructure de recherche, la suppression des clauses de contrepartie financière pour tous les projets FCI présents et futurs.
Recrues contre seniors
Le financement de 500 nouvelles bourses de doctorat est une excellente nouvelle pour un pays qui s'est engagé à disposer de «la main-d'oeuvre la mieux éduquée, la plus compétente et la plus flexible au monde». Cependant, il semble que l'argent pour ces bourses ait été obtenu en coupant dans les fonds de recherche de nos chercheurs seniors.
Pour augmenter et améliorer la formation de personnel hautement qualifié, nous croyons qu'il est plus fructueux de donner à nos meilleurs chercheurs la flexibilité de gérer la sélection, le recrutement et le soutien financier de leurs étudiants aux cycles supérieurs, en utilisant à ces fins leurs fonds de recherche obtenus des trois grands organismes subventionnaires.
Nous rappelons que ceux-ci sont attribués selon des procédures bien établies, comprenant à l'occasion une contrepartie financière des universités et du secteur privé, et à la suite de concours rigoureux fonctionnant avec un arbitrage par les pairs. Nous regrettons également que les 17,5 millions que le SSHRC réserve aux bourses d'études supérieures aient été ciblés uniquement pour les étudiants en affaires et en finance. [...]
Le Canada à la traîne
Le président Obama propose de doubler le financement fédéral en éducation pour les dix prochaines années. Avec de nouveaux investissements de plusieurs milliards, il s'est engagé à redonner à la science la place qui lui revient. Il a nommé membres de son cabinet ou conseillers de son gouvernement des chercheurs de tout premier calibre (dont le lauréat d'un prix Nobel au poste de secrétaire à l'Énergie). L'administration Obama a également impliqué les directeurs de la NIH et de la NSF dans les travaux préparatoires du budget fédéral, pour y inclure une dimension de planification du futur de la recherche.
Une approche similaire est nécessaire au Canada, avec l'implication des meilleurs scientifiques et humanistes dans la formulation des nouvelles orientations du financement de la recherche. Nous demandons au gouvernement canadien de ne pas laisser le Canada à la traîne.
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Collectif de chercheurs universitaires,
Ont signé ce texte 2038 chercheurs universitaires canadiens, dont les noms défilent sur le site [dontleavecanadabehind.wordpress.com->dontleavecanadabehind.wordpress.com].
Lettre au premier ministre, Stephen Harper, et au chef de l'opposition, Michael Ignatieff
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