Le Québec n’a pas le pétrole, mais il a sa langue. C’est l’idée derrière cette nouvelle chronique que lance Le Devoir aujourd’hui.
Car le français, qui nous isole un peu sur le continent, nous branche sur un univers de 250 millions de francophones dans une cinquantaine de pays.
En 2008, j’avais été invité au Japon pour donner une série de conférences sur mon expérience de francophone. Car les Japonais, qui sont insulaires à la fois sur les plans géographique et linguistique, sont très sensibles à l’idée que l’on puisse appartenir à un espace géoculturel beaucoup plus vaste que son propre pays. À plus forte raison quand ce pays, ce n’est pas un pays, comme le dit la chanson.
Les Québécois habitent un des plus larges espaces linguistiques de la planète. Notre langue est française, mais notre univers est francophone. C’est énorme, surtout à l’heure de la mondialisation, alors que les langues sont les véritables frontières de notre monde.
Cette chronique traitera donc de la langue française dans sa dimension internationale. Il sera question de linguistique, certes, mais aussi de démographie, d’économie, de culture, de science et de politique.
(Sans tomber dans l’angélisme et le jovialisme, mais avec le souci d’exposer des faits rarement rapportés et pourtant cruciaux. Quitte à se comparer aux autres langues internationales ou à répondre aux francophobes de tout poil. Pourquoi se gêner ?)
L’économiste français Jacques Attali, ancien conseiller du président Mitterrand, m’a fait une fleur fin août en présentant au président Hollande un rapport qui appuie le propos de cette chronique.
Ce rapport de 246 pages très serrées, La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable, se résume en deux mots : réveillez-vous !
Cela fait dix ans que j’écris sur la langue française et la culture francophone — cinq livres au compteur et quelques centaines d’articles. Mais c’est la première fois que je tombe sur un rapport aussi fouillé sur le potentiel économique de la langue française.
Bien sûr, l’approche est résolument franco-française, mais bon nombre des constats de son auteur sont universels.
Qu’on songe seulement au fait que la langue pourrait voir le nombre de locuteurs tripler pour atteindre 770 millions de locuteurs d’ici 2050. Que l’économie et la démographie de l’Afrique explosent, alors la moitié des pays africains ont le français pour langue officielle ou d’usage. Que la demande pour un enseignement du français — ou en français — demeure forte dans les pays non francophones, à commencer par les États-Unis.
Le français est la sixième langue internationale, mais celle qui a le plus fort potentiel de croissance… après l’anglais, bien sûr, mais avant l’espagnol, l’arabe ou le portugais.
L’aspect économique et démographique de ce rapport est bien documenté. Autre rareté : les annexes sont intéressantes, notamment l’annexe III qui fait le portrait d’une soixantaine de personnalités pour qui le français a été un point d’appui majeur dans leur carrière, même si elles vivent dans des pays non francophones.
Pour qui suit de près ces questions, le rapport de Jacques Attali ne tombe pas du ciel. Il s’inscrit dans la logique de Forum mondial de la langue française Québec 2012, dont deux des quatre piliers étaient le numérique et l’économie. En septembre 2013, la banque d’affaires parisienne Natixis avait également publié une brève recherche — La Francophonie, une opportunité de marché majeure — largement commentée dans la presse anglo-américaine.
En outre, le rapport Attali fait écho à des travaux… espagnols peu connus des francophones ! Entre 2000 et 2012, la banque Santander et la multinationale Telefónica ont subventionné deux études visant à mesurer la valeur économique de la langue espagnole. En utilisant des méthodes très différentes, les économistes sont arrivés aux mêmes conclusions surprenantes : la langue espagnole représente 15 % du PIB espagnol.
Le rapport de Jacques Attali ne pèche pas par excès d’optimisme. Il prévient que, si rien n’est fait, le français plafonnera et déclinera comme langue internationale.
Si la France néglige le potentiel francophone, avance-t-il, cela lui coûtera 120 000 emplois d’ici 2020 et 500 000 emplois d’ici 2050. Par contre, si elle agit, en créant une Union économique francophone par exemple, le potentiel serait d’un million d’emplois nouveaux à la clé.
Mais si on lit bien entre les lignes, les conclusions de ce rapport s’appliquent également à la plupart des États francophones. Selon cette logique, la langue ne serait plus seulement ce qui distingue le Québec : elle deviendrait son principal atout. Peut-être LA carte à jouer à l’avenir.
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