(Photo Bernard Brault, La Presse)
Michel Corbeil - Le 1er novembre 1987, René Lévesque meurt, foudroyé par une crise cardiaque. Vingt ans plus tard, Le Soleil revient sur les dernières années de ce journaliste, homme politique et fondateur du Parti québécois, qu’il dirigera jusqu’à sa démission dans la tourmente, le 20 juin 1985. Adulé par plusieurs, abandonné par d’autres, René Lévesque inspire bien des souvenirs où se mêlent le destin d’un homme, celui du Parti québécois et, jamais très loin, celui du Québec au grand complet.
L’homme a été en butte à ses « purs et durs » de l’indépendance. Des députés ont tenté de le « putscher ». Des militants ont crié « bon débarras » lorsqu’il a démissionné, en 1985. Pourtant, au Parti québécois, c’est maintenant saint René Lévesque, fondateur adoré dont il ne faut remettre en question aucune parole.
À chaque conseil national du Parti québécois, c’est immanquable. Un délégué, un député ou même le chef du moment y va de sa profession de foi et se réclame du charismatique leader. Saint René.
« Je ne suis pas prêt à dire que c’était un saint », raconte avec un brin d’humour dans la voix Yves Duhaime, un ministre qui a suivi sans faillir le parcours de René Lévesque. « Avec le recul du temps, le personnage a pris sa véritable stature. C’est un géant de l’histoire du Québec. »
Tout est question de circonstances. En fin de règne, René Lévesque a vu une demi-douzaine de ses élus abandonner les banquettes péquistes de l’Assemblée nationale. C’était le contrecoup du « beau risque », le pari de Lévesque pour donner une dernière chance au fédéralisme du chef conservateur canadien Brian Mulroney, en 1984.
« L’histoire ne s’est pas embellie », nuance l’ex-chef de cabinet de M. Lévesque, Martine Tremblay, qui accueille avec cynisme certains hommages. Mme Tremblay rappelle qu’en 1985, le premier ministre et chef du PQ « avait perdu énormément de popularité. Sa dernière année a été horrible » pour sa santé comme pour le soutien populaire. « Mais ses mémoires (lancées quelques mois avant sa mort, en 1987) ont été l’occasion de faire renaître l’affection. »
Michel Lemieux avait 22 ans et sortait de l’université lorsqu’il est entré dans l’univers péquiste. Pour lui, la disgrâce momentanée qui a frappé René Lévesque découle directement du rapatriement unilatéral de la Constitution par l’ennemi juré Pierre Elliott Trudeau, au lendemain du référendum de 1980.
« M. Lévesque l’a très mal pris. Mais plusieurs ministres (péquistes) estimaient que c’était de sa faute (le rapatriement). Il a été le bouc émissaire » d’un geste qu’il désapprouvait.
En 1985, convient Jean-Herman Guay, politologue à l’Université de Sherbrooke, « il a été chassé (de sa formation politique). Mais comme tous les grands leaders, son héritage ne s’évalue pas en fonction des derniers mois » (de son règne).
« C’est René Lévesque le fondateur du Parti québécois. C’est lui qui l’a dirigé le plus longtemps (17 ans). C’est lui qui a donné au PQ tout le spectre des possibilités politiques.
« C’était un homme pragmatique, poursuit l’universitaire. S’il avait été un chef idéologue, il aurait été rejeté. Une faction ou l’autre a toujours pu trouver un bout de discours de Lévesque pour lui. »
L’homme du peuple
Guy Chevrette faisait partie de la première équipe de députés que René Lévesque a fait élire, en 1976. Pour lui, il ne faut surtout pas se surprendre des démêlés que son ex-chef a eus avec certains éléments du PQ. C’est le contraire qui aurait été étonnant, dit-il. « As-tu déjà vu le PQ sans problème avec son chef? Il y a toujours eu une minorité (de militants) qui sont des “mangeux” de chef. »
Les Lévesquistes ont toujours défendu leur meneur comme un grand démocrate. En 1981, il sera pourtant la cible de critiques affirmant le contraire. C’est l’époque du Renérendum. Il s’agit du référendum interne appelé par René Lévesque pour renverser un vote du conseil national du PQ de 1981. Les délégués avaient décidé de faire disparaître du projet de souveraineté la notion d’association avec le Canada. René Lévesque gagnera son plébiscite par une majorité trop forte pour ne pas être gênante.
« Pour lui, estime Jean-Herman Guay, la référence démocratique, ce n’était pas tellement le militant d’un parti. C’était la population. »
Même si, plus de 25 ans plus tard, le Renérendum conserve des airs d’ultimatum à sa formation politique, ses partisans le dépeignent en champion des démocrates. « Il a pu paraître autocrate avec le Parti. Son vrai réflexe démocratique était tourné vers le simple citoyen. »
René Lévesque a toujours eu une relation spéciale avec ce citoyen « ordinaire ». « Ce n’était pas un homme hyperaccessible, commente le politologue Guay. Mais dans l’imagerie populaire, il était accessible. Les gens se reconnaissaient en lui. Il dégageait cette sorte d’humilité », ne serait-ce qu’en répétant toujours « à mon humble avis », avance-t-il.
En politique, l’image, c’est fondamental. Avec ses allures de bum de bonne famille, ses costards notoirement froissés, sa cigarette au bec, le politicien dégageait quelque chose d’attachant.
« Il était très simple, laisse tomber Martine Tremblay. Mais sous des allures débraillées, c’était un personnage immense. »
Et l’incarnation du mot leader, complète Yves Duhaime. « Avec lui, c’était clair. S’il avait écouté tous les faiseux, la Loi sur le financement populaire et la loi 101 » n’auraient pas survécu « aux filibusters des libéraux. Si on avait attendu le consensus, ces lois n’auraient pas passé. Aujourd’hui, et ça remonte à Lucien Bouchard (chef du PQ et premier ministre de 1997 à 2001), c’est toujours le consensus. Je n’embarque pas là-dedans ».
Dans la tristesse et la solitude
Tristesse et solitude. Ce sont deux sentiments qui ont marqué la sortie de piste de René Lévesque.
Solitude. Le 19 juin 1985, le photographe André Pichette fait le guet depuis 5 h devant le 91 « bis » de la rue d’Auteuil, domicile de M. Lévesque pendant ses années au pouvoir.
La veille, à 23 h, pour éviter d’affronter la presse, celui-ci a remis sa démission comme premier ministre. En début d’avant-midi, André Pichette s’aperçoit que les gardes du corps sont là, signe que René Lévesque n’est pas sorti. Il voit le chef déchu, sirotant un café, lisant un journal.
Le photographe grimpe dans un arbre du parc situé non loin de là. Le cliché qu’il prend (ci-contre), sans que les gardes du corps ne s’en aperçoivent ou interviennent, illustre la solitude du personnage. Seul dans le jardin. Sur la tasse, une inscription, ironique pour un homme au centre de manœuvres de son propre parti pour le faire tomber : « Je suis infidèle. »
La photo atterrit sur le fil de presse. Aussitôt, photographes et caméramans de la capitale rappliquent et font le pied de grue devant l’appartement.
Tristesse. Le 4 octobre, au lendemain de l’assermentation de son successeur Pierre Marc Johnson, René Lévesque s’apprête à quitter le 91 « bis » d’Auteuil. Francine Saint-Jacques, la propriétaire du logis, appelle pour savoir comment ça se passe. Il est triste, se fait-elle dire.
Elle et son mari Jacques Joli-Coeur sont des amis du démissionnaire. Elle lui annonce qu’elle le reconduira elle-même au train, à la gare de Sainte-Foy. René Lévesque insiste pour aller prendre un dernier verre avec un de ses fidèles, le tonitruant ministre Jean Garon.
Le train est à 17 h 30. Mais le voyageur n’arrive dans le Vieux-Québec qu’à 17 h 10. Il faut traverser toute la ville. « Nous arrivons à 17 h 45, se rappelle la conductrice. Le train est toujours arrêté. Le chef attend dehors, les bras croisés. Tout le personnel est aussi dehors. Parce qu’il y a une réservation au nom de René Lévesque, ils l’ont attendu! »
Le citoyen Lévesque fouille dans ses poches. « Je l’avais pourtant, mon 20 $ », pour le billet. Son « accompagnatrice » le dépanne. Le train se met en marche. Lévesque en ressurgit. Le train s’immobilise. « Il hurle qu’il l’a trouvé, son maudit 20 $. Et le train repart. Un vrai film », se rappelle-t-elle. « Quand il est parti, il était triste et nerveux. »
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