Gabrielle Caron - Québec - Un dimanche matin, début décembre. Falardeau, ne te fais pas de fausses joies, si je t'écris, c'est pas parce que les nouvelles sont bonnes... Je viens de m'asseoir pour lire Le Devoir de la fin de semaine, édition qui laisse comme un arrière-goût tant l'actualité est triste. Des matins comme ça, je prends un malin plaisir à m'imaginer que tu es encore en vie. À me demander, quels mots tu choisirais, quel sacre serait de mise, pour commenter l'actualité.
Je fantasme sur un article de ton cru réagissant au fait que Stephen Harper change les oeuvres d'art pour des portraits de la reine dans les ambassades canadiennes, qu'il abandonne la communauté internationale et nous tous, «Canadiens», en démissionnant de Kyoto, qu'il investit 7,5 millions pour célébrer les 60 ans de règne d'Elizabeth II, qu'il coupe les petites subventions pour le Wapikoni mobile, entre autres, entre milliers d'autres.
Et si tu voyais de quoi a l'air le pays ces jours-ci, le nôtre, le bleu... Je n'ai pas besoin de te dire que Charest est toujours le médiocre que tu as connu et que Pauline fait dur. Certains jours, ils font pitié; d'autres, ils font franchement peur. Le PQ se meurt, les nouveaux partis ne sont pas trop convaincants. Ils sont gras dur, les politiciens, depuis que tu n'es plus là pour les traiter de «mangeux de marde». Ça commence à faire longtemps que tu ne nous as pas parlé de la connerie congénitale ambiante. Il me semble que depuis ta mort, l'intégrité a pâli d'un ton au Québec.
Sinon... Pour nous changer des niaiseries qu'on entend, il y a Jean-François Nadeau qui vient de faire publier tes correspondances à Léon Spierenburg chez Lux. Tu parles de création, de ce feu en dedans qui se doit de produire, de faire quelque chose, et de combien c'est dur, non seulement de se battre contre soi-même pour le faire, mais de se battre contre les gens au pouvoir et contre les industries.
Tu étais fort, Falardeau. De ne pas baisser les bras. J'aimerais ça pouvoir te demander où tu l'as pris, ton courage. Je sais que tu étais amoureux du peuple, du petit monde, de la nature, de la simplicité et de la liberté... Mais dis-moi que toi aussi, y'a des saisons où la bataille te donnait le vertige.
Tu sais qu'il se fait désormais des sacs en tissu pour faire les courses sur lesquels on a écrit: «Pour les lâches, la liberté est toujours extrémiste.» — Pierre Falardeau. Ça doit être pour ça que tu faisais chier autant de monde, on est tellement vertueux en Occident, on n'aime pas trop s'avouer qu'on est des lâches et des vendus.
En attendant, je te lis et je te relis. J'écoute Ariane Moffatt, Chloé Sainte-Marie et les autres chanter la Bolduc. Dans ces moments-là, on croirait qu'il reste quelque chose. J'essaie de ne pas me laisser convaincre que la liberté est extrémiste. J'aimerais ça pouvoir te dire que je ne fais pas partie des lâches, mais je suis loin d'en être sûre. Les temps sont durs, Pierre.
Où sont les poètes? Je ne peux pas croire que Vigneault tient encore debout mais que nous autres, tous les autres, on s'aplatit toujours un peu plus. Faudrait peut-être se retrousser les manches, avant que les derniers combattants, les Richard Desjardins, Hugo Latulippe et Fred Pellerin s'écroulent avant leur heure à force de porter un peuple entier sur leurs épaules, un peu comme toi. Faudrait peut-être qu'on se le demande, où est-ce qu'on s'en va, si on veut de la relève. Parce que si les poètes sont disparus... qui c'est qui l'écrit, le demain?
En attendant, je prends plaisir à monter vers le nord, vers l'Abitibi. Aller visiter nos amis anishnapes qui, eux autres, n'ont pas besoin de dictionnaire ou de vertu pour être poètes. Je ne sais pas si ça te fait le même effet, mais quand je les regarde aller, les autochtones, après toute la merde que la politique, ancienne comme actuelle, leur fait manger, je cherche indéfiniment le secret, la raison pour laquelle ils en ont développé les qualités les plus humaines qu'il puisse y avoir.
J'ai peut-être trop d'espoir, mais je ne peux m'empêcher devant tant de beauté de penser que, finalement, l'humilité, la générosité, la communauté, l'intégrité, c'est peut-être tout sauf de la vertu, c'est peut-être juste, une question de survivance.
Depuis ta mort, le Québec est peut-être un peu plus poli, mais il me semble qu'il est un peu moins brillant.
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Gabrielle Caron - Québec
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