Un parfum de vache folle semble s'être propagé parmi les indépendantistes. Ça gambade dans toutes les directions: nouveau parti; coalition; faire de la politique autrement (mais comment on fait ça, au juste?); sauver le Parti québécois; changer de chef; nouvelle structure politique qui ne viserait pas à prendre le pouvoir, mais seulement à promouvoir l'indépendance (Pierre Pichette, «Pour l'union de toutes les forces indépendantistes», Le Devoir, 20 juillet 2011).
M. Pichette reconnaît tout de même que le PQ au gouvernement de la «province» a eu un certain succès. En cela, il a raison plus qu'il le croit: par exemple, sans le PQ au pouvoir, pas de loi 101 et sans loi 101, parlerions-nous même encore d'indépendance aujourd'hui? L'indépendance est un enjeu politique et c'est dans l'arène politique que ça se passe, pas ailleurs. Si on refuse d'affronter le taureau, on n'est plus dans la corrida. En quoi le fait de laisser toute la place à François Legault ou au Plan Nord néocolonialiste de Jean Charest va-t-il favoriser la marche vers l'indépendance?
Au Parti québécois même, Marois s'est enfargée dans le stade Labeaume. Vu de Québec, ce soutien pouvait peut-être se justifier. Mais vu du Québec, dans un contexte de corruption généralisée et du pénible lockout au Journal de Montréal, la population aurait apprécié que le PQ pose publiquement quelques questions à Péladeau. Si la garde rapprochée du chef lui cache la forêt, il faudra penser à élaguer.
Quant à la défaite du Bloc québécois, prenons-la pour ce qu'elle est: essentiellement une protestation contre une stagnation politique généralisée, que malgré lui le Bloc avait fini lui aussi par symboliser aux yeux de plusieurs. Nul rejet de l'indépendance dans cela, comme les sondages postélectoraux l'ont montré.
L'abécédaire à bâtir
Cette période est propice à la création de scénarios. En voici un: mettre sur pied au plus vite une initiative très simple mais incontournable visant à rédiger un «abécédaire» (ou un manuel, appelons cela comme on voudra) des raisons qui, aujourd'hui, justifient l'indépendance et que tous les indépendantistes pourraient appuyer. Si on ne peut même pas réussir cela, les scénarios vont continuer de proliférer, mais avec de moins en moins de prise sur la réalité. Le Bloc avait fait du bon travail en ce sens et le livre de Jacques Parizeau La Souveraineté: hier, aujourd'hui et demain constitue une référence majeure. Le programme du PQ en est une également.
Se recentrer sur les faits essentiels et les faire connaître à ceux qui les ignorent — ou qui les ont oubliés, ce qui est maintenant le cas de beaucoup de nos concitoyens. Il y a toute une différence entre «savoir» et «en avoir entendu parler». Rallier dans cette opération des péquistes, des québéco-solidaires et des gens comme Jean-Martin Aussant, qui se targuait, lorsqu'il est venu dans mon comté, de pouvoir démolir en trente secondes n'importe quel argument économique contre l'indépendance. Et alors, M. Aussant, cette démolition?
Prendre la route et l'inforoute, humblement, de bourgade en bourgade, blogue par blogue, cuisine par cuisine, regroupement par regroupement, réseau par réseau, directement en contact avec les gens.
Péquistes et non péquistes pourront le faire chacun de leur côté, chacun à leur façon. Le document servira de base commune. Non, il n'y sera pas question de référendum versus élection référendaire et autres modalités de circonstance! Il faut accoucher d'un quelque chose qui touche à la racine même de notre engagement.
Les gens vont écouter, critiquer, se moquer, acquiescer ou s'opposer férocement, mais ils ne seront probablement pas indifférents: une conviction ancrée dans du réel démontrable et clairement expliqué finit toujours par en rejoindre quelques-uns. Si on nous lance des tomates, nous nous souviendrons opportunément que les légumes sont excellents pour la santé.
Cyniques? Et après?
Certes, un argumentaire ne suffit pas à convaincre une population. Il y a tout le poids des événements eux-mêmes, des forces en présence et des personnalités. Mais sans argumentaire, sans ligne directrice, on convainc encore moins.
Les progressistes américains ont payé et payent encore cher d'avoir, pendant vingt ou trente ans, laissé aux conservateurs de tout acabit l'occupation du terrain idéologique à ras le gazon. Au Canada, il s'est passé un peu la même chose et on voit le résultat: Harper au pouvoir.
Les gens sont cyniques, dit-on. Où finit le constat et où commence l'excuse? Le pire cynisme serait de sous-estimer la soif d'idéal des jeunes et leur besoin d'une vision claire. Oui, nous vivons dans un monde d'individualistes consuméristes carriéristes médiatico-lessivés jusqu'au trognon. Et après? Nous n'avons peut-être pas choisi l'état du monde tel qu'il se présente, mais on peut choisir d'y agir.
Je refuse de voir le Québec se déliter jour après jour, s'enfoncer dans une insignifiance politique qui finit par nous rapetisser tous. Nous devons tâcher d'être à la hauteur de ce que nous pouvons être. C'est ce qui donne un sens à la vie collective et qui justifie le rôle auquel nous pouvons aspirer sur la scène du Monde.
Si nous avons jusqu'à ce jour survécu comme peuple, c'est que nous nous sommes toujours battus et que malgré moult erreurs et revers, nous avons souvent mis en échec les trop bien-pensants, les très bien-installés et les professionnels du scepticisme, cette race de toutes les époques contre qui inlassablement se dressent les forces vives des peuples.
Utopie? Bien sûr. L'Histoire est une succession d'utopies. C'est le carburant naturel des sociétés dynamiques et des cultures fortes.
***
Robert Sarrasin - La Tuque
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé