Régions et villes en temps de crise

Sommes-nous encore capables de solidarité?

La solidarité est plus grande là où la vie des gens est moins privée

Chronique de Louis Lapointe

Moi qui ai passé la moitié de ma vie en région, je sais d’expérience que le mot solidarité n’a pas la même signification à Montréal et sa banlieue, qu’à Rouyn-Noranda ou à Vald’or. En temps difficile, même si les régions sont généralement plus durement frappées parce que l’économie y est moins diversifiée, l’aide des autres vient plus rapidement et facilement parce que le tissu social y est plus serré. Même si la crise y est souvent plus sévère, parce que les solidarités entre les personnes et les familles y sont plus grandes, les effets se font moins durement sentir au quotidien.
À Montréal, une fois qu’un patron a mis fin à l’emploi d’un travailleur, les chances de le croiser, lui, sa famille ou ses amis sont très minces. Cette personne retourne anonymement chez elle, dans son quartier ou sa banlieue et, outre quelques amis, rares sont ceux qui connaissent vraiment le drame que vit cet individu et sa famille. En région, le patron qui congédie un travailleur doit vivre tous les jours avec l’opprobre de ses concitoyens s’il a agi injustement. Remarquez bien, il en est de même pour l’employé qui mériterait son sort, car en région, tout se sait!
Si les patrons ont parfois la vie plus difficile en région, c’est parce qu’ils ne peuvent pas toujours abuser de leur pouvoir autant qu’ils le voudraient, étant condamnés à vivre avec le regard des autres à l’épicerie, au cinéma, au hockey, au golf et à la chasse. C’est aussi parce que la solidarité est normalement plus grande là où la vie des gens est moins privée. Ceux qui n’acceptent pas cette convention sociale peuvent difficilement vivre en région, sauf s’ils sont en marge, alors que dans les banlieues de Montréal, c’est tout à fait l’inverse qui se passe, les personnes souhaitent surtout que les autres en sachent le moins possible à leur sujet, l’isolement étant la norme et la solidarité l’exception. Si le citadin se fond dans la foule, en région, il n’y a pas d’anonymat possible lorsque la tribu se rassemble.
Si il y a de plus en plus de citadins qui vivent en périphérie des villes, c’est essentiellement pour pouvoir mieux y dépenser les fruits de leur labeur. Ainsi, le banlieusard se démarque moins par son individualité que par les biens qu’ils consomment, ses habits, sa voiture, sa maison. Un constat de plus en plus vrai pour de nombreuses familles qui habitent le 450, là où les plus beaux sapins de Noël brillent de tous leurs feux le soir du 25 décembre. Là où vivent ceux qui espèrent payer moins d’impôts et de taxes afin de pouvoir s’acheter plus de biens de consommation dont ils seront les seuls à profiter, un comportement inverse de ce qu’est la solidarité, estimant que leur travail et leur consommation créent la richesse. Justement ceux qui ont été si nombreux à voter ADQ en 2007, parce qu’ils croyaient que Mario Dumont leur en donnerait encore plus pour leur argent grâce à une plus grande privatisation du réseau de la santé et du système d’éducation. Les mêmes qui ne seraient pas allés voter aux dernières élections, déçus par la performance de Mario Dumont, ayant finalement réalisé qu’il ne pourrait jamais leur livrer la marchandise attendue en raison de l’incompétence de son équipe.
C’est surtout à cet échec à attirer ces électeurs que nous avons assisté lors de l’élection du 8 décembre 2008, à l’incapacité des autres partis de combler le vide laissé par Mario Dumont afin de répondre aux espérances d’une clientèle qui estimait être injustement traitée par les vieux partis. Ceux à qui Jean Charest s’adressait et qu’il n’a pu totalement rejoindre parce qu’il ne leur a pas promis cette privatisation tous azimuts qu’ils espéraient tant. Toutefois, nous aurons tous compris que ce n’est que partie remise!
Cette droite qui n’en a que pour l’argent et que plusieurs estiment, dans les rangs souverainistes, que le PQ devrait courtiser s’il veut gagner les prochaines élections, est-elle capable de solidarité ? Que peut gagner la démocratie face à tant de cynisme et d’égoïsme?
Si nous étions en période de prospérité, je ne gagerais certainement pas ma chemise sur la lucidité de ces consommateurs, sur l’éventualité que ces citoyens délaissent la proie pour l’ombre en devenant plus solidaires de leurs congénères. Toutefois, la tempête économique qui s’annonce risque certainement de les toucher davantage que tout autre groupe de la société tant ils sont endettés. Si la crise les frappe, peut-être réaliseront-ils enfin à quoi servaient les impôts qu’ils payaient depuis des années, à quoi servaient les filets sociaux qu’a tant dénoncés Mario Dumont. Peut-être réaliseront-ils aussi que les plus humbles, même s’ils sont moins riches, sont souvent plus débrouillards et, qu’en cette période de vaches maigres, ils pourraient bien leur apporter au quotidien une aide beaucoup plus précieuse que celle de bien des grattes papier, faisant ainsi naître d’improbables nouvelles solidarités, tout comme celles qu’on a vu affleurer lors de la tempête du verglas.
Si la crise qui s’annonce risque d’être pénible pour plusieurs d’entre nous, peut-être aura-t-elle le mérite de nous faire enfin réaliser la vraie signification du mot solidarité. Plus la crise sera profonde et plus les solidarités qui en résulteront risqueront d’être solides, nous y aurons alors au moins gagné quelque chose. Je nous le souhaite tous !
Louis Lapointe

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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