Un mot revient souvent dans "Indignez-vous !" (éd. Indigène, 32 p., 3 euros, tiré à 950 000 exemplaires) : "espérance". Est-ce la clé de son succès ?
Je le pense. Je me suis amusé à mettre en parallèle "exaspération" et "espérance". Il faut être exaspéré, donc s'indigner, mais il ne faut pas que cela empêche l'espérance. Le monde va mal, mais il peut aller beaucoup mieux et il a déjà fait d'énormes progrès. La seule vertu d'une longue vie, c'est d'avoir vu des choses insupportables, dont on croyait ne jamais pouvoir se débarrasser, le nazisme, le stalinisme, par exemple. Et on s'en est débarrassé.
Malheureusement, après la chute du mur de Berlin, s'est ouverte une période où il n'y avait plus qu'une idéologie dominante, contestée uniquement par des fous furieux comme Al-Qaida, et qui a foncé dans plus de compétition, plus de production, plus de profit. Sans qu'il y ait quelque chose de l'autre côté pour dire "stop !"
C'est ce qui me rend malheureux pour notre Europe, dont les valeurs fondamentales sont des valeurs de démocratie sociale, aujourd'hui menacées par une économie de profit. C'est contre cela que je crois nécessaire de réagir. Ce qui est aussi très préoccupant, c'est la Terre et cette exploitation sans retenue de ses ressources. Avec notre idée de l'homme maître de la nature, nous avons perdu l'autre idée de l'homme, obligé de respecter la nature, pour qu'elle continue à être le lieu où il se développe.
Que vous inspire le récent sondage sur le pessimisme des Français ?
Individuellement, les Français sont contents d'eux-mêmes. Quand cela ne va pas, ils sont choqués et pensent n'y être pour rien, tandis que les Allemands ou les Anglais se disent qu'ils y sont peut-être pour quelque chose. Mais ce qui est le plus grave actuellement, c'est que personne en France ne respecte plus les dirigeants. Penser qu'ils n'ont plus de vision, donc de légitimité, est une phase dangereuse.
Comment traduire l'espérance en actes ?
En France et ailleurs, des amorces existent pour mettre un terme au néolibéralisme et au manque de souci pour la Terre. Je citerai le livre de Susan George, Leur crise, nos solutions (Albin Michel). Mon ami Claude Alphandéry fait un gros travail pour l'économie sociale et solidaire, qui est une piste, même si elle ne représente que de 8 % à 10 % de l'économie française.
Qui est l'ennemi ? Pendant la seconde guerre mondiale, dites-vous, c'était clair. Aujourd'hui, incriminer "la mondialisation" demeure vague...
C'est malheureusement vague et c'est ce qui oblige l'individu citoyen à essayer de discerner l'ennemi. Ce qui s'est passé, en France, avec les Roms, est un motif d'indignation suffisant pour qu'on puisse s'engager et essayer d'agir pour une politique d'immigration plus réussie. L'économie financiarisée est le principal ennemi. Et il ne faut pas se borner à vouloir réformer la France, cela doit s'étendre à l'ensemble de l'Europe et à la planète tout entière.
Dans Indignez-vous !, j'insiste sur des valeurs constantes. Le sens de ce petit texte est de dire "indignez-vous" parce que les problèmes nouveaux et graves d'aujourd'hui, plus difficiles à détecter qu'au temps de la guerre, exigent le recours à des valeurs aussi fondamentales qu'à l'époque.
Est-ce le sens de votre engagement auprès d'Europe Ecologie, alors qu'on vous croyait au Parti socialiste ?
Il faut qu'il y ait en Europe suffisamment de parlementaires de gauche et Verts pour qu'il y ait une majorité qui puisse lutter contre la collusion entre le politique et l'économique, contre les Barroso de ce monde. Je n'ai pas abandonné le PS. J'ai une grande sympathie pour Martine Aubry. Je souhaite qu'elle soit la candidate à la présidentielle. Mais la gauche ne peut accéder au gouvernement que si elle s'élargit. Et la composante Verte est nécessaire.
La désobéissance civique a-t-elle un sens aujourd'hui ?
Oui. Il était légitime de vouloir faucher les OGM. Lorsque quelque chose de légal apparaît comme illégitime, on a toujours le droit de s'y opposer avec véhémence et efficacité. Mais il ne faut pas que ce soit un sentiment personnel, quelque chose qui déplaît, il faut que cela réponde à des valeurs.
Comment contraindre des Etats avec d'énormes déficits budgétaires à maintenir la protection sociale ?
C'est le problème le plus difficile à résoudre. Mais il est déjà important de le poser. Dans un monde devenu plus riche, il est scandaleux que ce qui est essentiel pour le bien public ne soit pas disponible. Je sais qu'il est un peu facile de dire "il faut prendre l'argent là où il est".
Mais ce qui a été conquis ne doit pas être abandonné : la première responsabilité des Etats est de veiller à ce que les plus défavorisés ne soient pas laissés dans la misère. Cela demande une politique fiscale forte, intelligente, et de mettre un terme à des revenus énormes, de veiller à ce qu'on ne puisse pas gaspiller l'argent comme on le fait.
Il m'a semblé juste, et c'est pourquoi j'ai publié Indignez-vous !, de faire réfléchir, notamment les jeunes, à ce qui les choque, à ce qu'ils peuvent faire, dans presque tous les domaines. Le livre, bien sûr, est un peu court sur les remèdes. Mais c'est une incitation à pousser la réflexion vers l'action.
Qu'en est-il de l'action collective, dans un pays qui a moins de 5 % de travailleurs syndiqués, où la pauvreté augmente et où le personnel politique déçoit et décourage les jeunes de militer ?
Ce qui nous manque le plus, c'est la mise en commun de nos indignations. Mais il existe pour cela tout le mouvement des organisations non gouvernementales. Est-ce suffisamment articulé ? Je suis assez sévère. C'est peu de chose par rapport à ce qu'il y aurait lieu de faire, pour le développement, par exemple. Mais désormais, il est plus facile de travailler en réseau.
Sur l'engagement politique, le risque est de dire "Tous pourris, gauche comme droite." Il existe une politique de gauche, portée par plusieurs formations.
Je souhaiterais que les lecteurs d'Indignez-vous ! aient envie de s'engager, et qu'il y ait dans les partis plus de démocratie participative.
Votre engagement pour la cause palestinienne est connu. Mais pourquoi vous êtes-vous associé à la campagne demandant le boycottage des produits israéliens ? Et n'êtes-vous pas indulgent à l'égard du Hamas ?
J'ai applaudi à la création de l'Etat d'Israël, qui reste un Etat démocratique. Mais le comportement d'un certain nombre de gouvernements israéliens à l'égard des Palestiniens et des Arabes israéliens est insupportable.
Quant au boycottage, il ne s'applique qu'aux produits des colonies, qui ne sont pas légales. Il est bon de mettre le gouvernement israélien face à ses responsabilités. Et à l'égard du Hamas et du terrorisme, je n'ai aucune indulgence. Mais la légitimité d'une révolte contre une oppression fait qu'on ne peut pas condamner sans comprendre.
Vous sentez-vous juif ?
Oui et non. Je n'ai pas eu d'éducation religieuse. Et je n'ai malheureusement pas baigné dans la culture juive, mon père étant nourri de mythologie grecque.
Mais dès que je vois le moindre soupçon d'antisémitisme, je me sens juif et je le revendique.
Le succès d'"Indignez-vous !" est-il un phénomène politique ?
C'est presque un phénomène de société. Nos sociétés sont en demande de valeurs et de libertés fondamentales, et d'un Etat de droit. C'est sans doute pour cela que ce petit livre est tant traduit, même si cela a quelque chose d'excessif.
Josyane Savigneau (Controverse)
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