Trois conditions pour sortir de la crise étudiante

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012


«Grotesque », l’analyse qui voit dans la hausse des droits de scolarité un plan pour aller aux urnes ? « Ignoble », l’accusation du PQ qui y voit aussi une manoeuvre électorale ? Rien ne prouve que le premier ministre ait ourdi pareille machination, encore que les libéraux ont déjà tenté de surprendre leurs adversaires (1962, 1973, 1976) et que Jean Charest a gagné de cette façon sa réélection en 2008 ! Mais, cette fois, si son Plan nord menait droit à un proche scrutin, la révolte étudiante, elle, l’aura plutôt pris au dépourvu.
Certes, avant que cette crise appréhendée n’aboutisse à une impasse, quel parti aura résisté à la tentation de l’exploiter ? À vrai dire, aucun n’a fait montre de modération dans le discours, ni de créativité dans la recherche d’un règlement. Or, dans tout conflit, un règlement n’est possible que si les circonstances s’y prêtent, que les protagonistes s’y emploient et, surtout, qu’une solution acceptable soit trouvée. Dans le cas présent, deux de ces trois conditions ne sont pas encore réunies.
Si une majorité d’étudiants est restée en classe, un tiers aura préféré mettre en péril son année scolaire plutôt que de s’accommoder de la hausse décrétée par Québec. L’intervention policière n’a pas découragé les manifestants ; les injonctions n’ont pas permis non plus de rétablir les cours. Quelques actes de violence, notamment dans le métro de Montréal, tenaient du terrorisme. Bref, la situation ne pourra durer sans graves dommages aux gens et aux institutions. Ces circonstances appellent à un déblocage devenu urgent.
Toutefois, les protagonistes ne sont pas tous engagés dans la recherche d’un compromis. Le gouvernement propose des allégements aux coûts personnels de l’éducation supérieure, mais sans plus. Les recteurs semblent disposés à revoir le financement acquis pour leurs universités, voire à soumettre leur fonctionnement à un examen indépendant. Mais les associations étudiantes restent liées à un mode de consultation lent et complexe et surtout à une « solidarité » entre elles qui risque de les paralyser.
D’abord, ces fédérations ont fait de la gratuité de l’enseignement l’objectif fondamental de leur opposition aux droits. Un retour au « gel » ne les satisferait guère, ni même une « suspension » de la hausse. Car elles ont investi des efforts considérables dans leur campagne et obtenu, depuis, un succès non négligeable, notamment au sein du corps professoral. Leur base voudra-t-elle reprendre les cours sans plus de concession de la part du gouvernement ?
Mais, surtout, plus grand obstacle, une des composantes du mouvement étudiant, la CLASSE, ne saurait se contenter d’un compromis, ni même d’une victoire de la gratuité. Tel n’est pas son but fondamental. Elle vise un renversement de la société capitaliste. Toute solution du conflit risquerait de ralentir, sinon de démobiliser, sa lutte contre les « élites dominantes ». Ces militants-là ne sont pas des « casseurs », mais des idéalistes d’une impossible révolution. Auront-ils un droit de veto sur le choix des étudiants ?
Enfin, il faut une solution acceptable. Ce ne sont pas les formules qui manquent, mais plutôt la volonté d’en choisir une qui soit réaliste, juste et applicable. La gratuité était jugée nécessaire lors de la grande réforme de l’éducation au Québec, mais elle n’a pas prévalu au Canada ; quelques pays l’ont néanmoins établie, notamment en Scandinavie. Elle serait peu coûteuse, estiment des économistes, mais dans un État endetté comme au Québec est-elle un choix impérieux ?
Sous le régime actuel, la « juste part » attendue de l’étudiant est devenue un dogme. Mais quelle contribution serait équitable ? Une revue du dossier montre qu’un taux égal pour tous ne l’est pas nécessairement. Pourquoi l’étudiant pauvre devrait-il payer autant que l’étudiant fortuné ? Pourquoi celui dont la formation coûte peu serait-il taxé autant que celui dont elle coûte beaucoup ? Ces questions ne sont pas démagogiques.
La Commission d’étude sur la formation des adultes recommandait déjà, il y a 30 ans, que les droits soient haussés, mais « établis de façon différenciée selon les programmes ».
En 2004, la Conférence des recteurs (CREPUQ) notait que les étudiants en administration ou en sciences humaines, par exemple, assumaient plus de 19 % du coût de leur formation, alors que les étudiants en médecine vétérinaire et en chirurgie dentaire ne payaient, eux, que 5,9 %. Ailleurs au pays, des étudiants paient différemment selon la discipline à laquelle ils sont inscrits.
En 2007, à l’Université de Montréal, Robert Lacroix signe avec Michel Trahan une étude sur Le Québec et les droits de scolarité universitaire. Le propos est clair et net : « La mesure la plus injuste dans le financement actuel des universités n’est peut-être pas le gel, mais l’uniformité des droits de scolarité. Un étudiant en lettres paie actuellement 42 % des coûts de sa formation, tandis qu’un étudiant en médecine dentaire n’en paie que 7 %. »
En 2010, Le Devoir citait une juriste de l’Université de Toronto, Catherine Valcke : « L’accessibilité aux études ne requiert pas que tous les étudiants, y compris les mieux nantis, n’aient à payer qu’une fraction de ce qu’il en coûte pour les former. […] Subventionner les études de tous les étudiants, peu importe leurs moyens financiers, revient à exiger que des moins nantis paient pour les études de mieux nantis qu’eux-mêmes. […] C’est le monde à l’envers. »
Bref, le Québec forme, bien sûr, une société distincte, mais pourquoi faudrait-il qu’il tombe sous la loi de l’émeute pour sortir des sentiers battus ?
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.


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