Droits de scolarité

Comment prévenir le chaos appréhendé

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012




Dans cette société distincte qu’on croyait amorphe, la rébellion de toute une jeunesse étudiante en aura surpris plusieurs, non seulement au Québec, mais aussi à l’étranger. Ainsi, dans la presse de Belgique - pays qui s’y connaît en tension sociale et en vacuum politique - d’aucuns parlaient ces jours-ci d’une « crise » sinon d’une « fin de régime ». Ici et là, il est vrai, la police a donné dans l’intervention musclée, mais la controverse sur des droits de scolarité n’a rien d’une chienlit à la française. Du moins pas encore.
Le recteur de l’Université de Montréal crie, certes, au pandémonium. « On est en train de mettre à feu et à sac la province, a déclaré à La Presse le Dr Guy Breton, pour un dollar par jour d’augmentation. » Or, si quelques casseurs se sont agités dangereusement lors des récentes manifestations, il faut surtout attribuer à l’obstination du gouvernement le blocage qui a entraîné des institutions d’enseignement, des professeurs et jusqu’aux tribunaux dans le lamentable psychodrame des derniers jours.
Il est grand temps toutefois de prévenir le désordre, au lieu d’exploiter l’impasse actuelle, surtout à des fins étroitement partisanes. Bien que les médias donnent un spectacle agrandi de la « rébellion » estudiantine, les campus des collèges ne sont pas des champs de bataille, ni les cités universitaires, des lieux dévastés. Et si Montréal connaît quelques incidents sérieux, les forces armées ne se préparent pas à entrer dans la place - comme elles l’ont fait à l’occasion dans le passé.
Le gouvernement clame et répète qu’il ne cédera pas à l’intimidation. Pourtant, Québec pactise depuis longtemps avec l’illégalité, notamment lors de conflits de travail empreints souvent d’actes de violence. De même, à la moindre manchette alarmiste, par exemple sur la question de la langue, il se dépêche d’improviser un bout de loi. Un vrai gouvernement ne donne pas du « poing sur la table », il agit. Il règle les problèmes avant que les choses en viennent à perturber la paix sociale ou la marche des institutions.
Aucun « principe » n’est en jeu dans la question en litige. D’un pays à l’autre, le type de contribution financière des étudiants varie. Il serait étonnant que le Québec soit seul à détenir la solution au financement des universités ou que l’augmentation « graduelle » imposée par le gouvernement soit le meilleur moyen d’y contribuer. Plus invraisemblable encore est cette querelle de mots qui freine l’examen du problème. Et ce « serment du test » exigé d’une des associations étudiantes.
On reproche à ces associations de n’avoir pas condamné haut et fort les actes de vandalisme dont certains activistes - d’origine suspecte - ont ponctué des manifestations par ailleurs pacifiques, ordonnées et parfaitement légitimes. Sans doute les leaders étudiants auront-ils sous-estimé le risque que faisait courir à leur cause tout « dérapage » répercuté dans les médias. Réels ou orchestrés, ces incidents ont surtout donné un prétexte de plus aux faux-fuyants du gouvernement.
Il sera toujours temps de faire le partage des responsabilités dans le cafouillage collectif auquel un enjeu pareil a mené le Québec. On pourra aussi, le cas échéant, chercher un peu plus tard à qui profite le chaos appréhendé. Pour l’heure, il presse plutôt de ramener tous les étudiants en classe et de limiter les inconvénients qu’eux-mêmes, leurs professeurs et les institutions ont subis et subiront à cause d’un blocage prolongé que rien ne justifie.
Tout ne pourra, bien sûr, être réglé d’un seul coup. Mais un prompt retour à la normale n’est pas impossible, pour peu qu’on trouve sans plus tergiverser un cadre approprié de recherche de solutions. Des personnalités du monde de l’éducation ont proposé la tenue d’un sommet. En tout respect pour leur suggestion, un tel exercice risque de décevoir, surtout s’il met en présence les mêmes protagonistes. D’autant plus qu’on voudrait voir le gouvernement renoncer d’abord à l’augmentation des droits qu’il a décidée.
Un autre scénario de règlement, à la fois plus large et plus rapide, est possible. Il pourrait tenir en trois volets :
D’abord, Québec peut suspendre unilatéralement le « rattrapage » financier dont on débat, le temps de trouver d’autres formules qui soient plus appropriées ;
En même temps, l’Assemblée nationale peut explorer le mandat de cette « commission indépendante et permanente » évoquée par la ministre de l’Éducation « pour assurer une saine gestion des universités ».
Et surtout, un comité d’experts devrait recenser les régimes de droits de scolarité choisis ailleurs, ainsi que les suggestions de réforme déjà formulées ici même au Québec, et proposer un mode de participation plus ingénieux aux coûts de l’enseignement universitaire.
Dans le cas des droits proprement dits, on s’étonne que des travaux menés par des chercheurs de Québec sur un régime plus équitable aient été jusqu’ici laissés à l’écart par les protagonistes du présent conflit. Tous les cours de niveau universitaire ne coûtent pas aussi cher à organiser. Tous les diplômes n’ouvrent pas la porte à
Si au ministère de l’Éducation on peine souvent à écrire en français, au Conseil du trésor on devrait au moins savoir lire et compter. En tout cas, aucune politique n’est bonne quand elle divise autant une société et entraîne un mécontentement général. Avant d’ouvrir plus de chantiers au nord, est-ce trop attendre de Québec qu’il gouverne au sud ?
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.


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