Hélène Buzzetti - Ottawa — Le porte-parole du premier ministre, Dimitri Soudas, est peut-être omniprésent dans les affaires de l'État canadien, portant le message de Stephen Harper sur les ondes ou aux sommets à l'étranger, mais il ne comparaîtra plus en comité parlementaire à la Chambre des communes. Le gouvernement conservateur a décidé que le personnel politique des ministres ne serait plus soumis aux questions des députés pour répondre de leurs décisions.
Après la saga des documents concernant les prisonniers afghans, un nouvel affrontement entre le gouvernement et les trois partis d'opposition à la Chambre des communes se profile ainsi à l'horizon. Encore une fois, le respect des institutions démocratiques et le droit du public de savoir sont au coeur du débat.
L'opposition accuse les conservateurs d'imposer une loi du silence à tout l'appareil fédéral en dictant qui pourra ou non être convoqué en comité parlementaire pour répondre de décisions gouvernementales. Elle tentera, une fois de plus, d'établir que les conservateurs sont coupables d'outrage au Parlement.
En février, la Presse canadienne a révélé qu'un adjoint politique du ministre Christian Paradis avait bloqué une demande d'accès à l'information d'un journaliste, demande qui avait pourtant été approuvée par les fonctionnaires. Le mois suivant, le Globe and Mail divulguait un cas similaire. Une demande pour connaître le coût des publicités fédérales vantant le programme économique conservateur fut bloquée pendant trois semaines par le directeur des communications de la ministre Diane Finley. Il n'en fallait pas plus pour que le Comité permanent de l'accès à l'information lance une étude sur l'ingérence politique dans la gestion de l'information.
Forts de leur majorité, les députés de l'opposition ont exigé la comparution des employés ministériels visés, Sébastien Togneri et Ryan Sparrow, de même que celle du chef de cabinet de Stephen Harper, le très discret Guy Giorno, et de son directeur des communications, Dimitri Soudas. Le jour de la comparution de M. Soudas, l'alarme d'incendie a été déclenchée et le témoignage n'a pas eu lieu. Il a été reporté à hier matin, mais le gouvernement a alors annoncé sa nouvelle politique.
«Puisque les comités parlementaires n'ont pas respecté les règles et n'ont pas fait preuve de fair-play, les ministres donneront la consigne à leurs employés de ne pas comparaître lorsqu'ils seront convoqués par des comités parlementaires. Le gouvernement enverra plutôt des ministres pour répondre de leurs actes», a déclaré le leader du gouvernement à la Chambre. Le gouvernement a par la suite indiqué qu'il en allait du concept de responsabilité ministérielle: seuls les ministres ont des comptes à rendre à la population.
Comités souverains
Pour les partis politiques, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une autre preuve du manque de respect par le gouvernement de Stephen Harper des institutions démocratiques. Car, rappellent-ils, les comités parlementaires sont souverains et décident des témoins qu'ils veulent entendre pour mener leurs études. Cette nouvelle politique ferait en sorte que le gouvernement déciderait à sa guise des personnes qui peuvent être entendues.
«Il ne s'agit pas de jeunots nécessitant d'être protégés», s'est indigné le leader en Chambre libéral, Ralph Goodale, en parlant du personnel politique des ministres. «Ces gens gagnent plus de 100 000 $ par année et gèrent les affaires les plus importantes du gouvernement. S'ils sont assez compétents pour occuper les postes qu'ils occupent et pour toucher les sommes qu'ils touchent, alors ils devraient avoir l'obligation de répondre aux comités de la Chambre des communes lorsqu'ils y sont appelés.»
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, entend lutter contre ce changement jusqu'au bout, même si cela devait se traduire par une élection, car il y voit un précédent dangereux. «Pourquoi tous les citoyens du Canada devraient-ils obéir à un ordre d'un comité de la Chambre sauf ceux qui travaillent pour le Parti conservateur? [...] Si vous êtes convoqués par un comité, vous recevez un subpoena, vous n'avez pas d'autre choix que de vous y présenter. Ce serait la loi pour tout le monde sauf pour les Dimitri Soudas de ce monde?»
Pour le chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, c'est la preuve que «les conservateurs n'ont rien appris». «Les députés ont le droit et le devoir de faire sortir la vérité. C'est notre devoir. C'est vrai pour la torture en Afghanistan, et le jugement concernant les documents était clair à ce sujet. C'est aussi vrai pour l'ingérence politique dans les demandes d'accès à l'information.»
Les partis d'opposition se demandent en outre quelle garantie ils ont que les ministres accepteront de comparaître, plusieurs ayant refusé récemment de se présenter en comité.
Baird à la place de Soudas
Ironie du sort, c'est Dimitri Soudas lui-même qui a annoncé la future politique conservatrice au cours du long week-end. En lieu et place de la comparution de M. Soudas hier, le ministre des Transports, John Baird, s'est présenté devant le Comité. La logique étant que M. Soudas relève du premier ministre, qui s'est fait remplacer par celui qui agit à titre de substitut pendant ses absences à la période de questions.
La table est donc mise pour un autre affrontement avec menace électorale à la clé. Les députés ont mandaté le président du Comité d'utiliser la manière forte pour forcer les témoins récalcitrants à comparaître. À défaut de quoi, un rapport sera soumis au président de la Chambre, qui devra déterminer s'il y a outrage.
Tout ceci n'est pas sans rappeler le précédent affrontement sur la question des prisonniers afghans. Les partis d'opposition exigeaient de voir les documents internes canadiens pour déterminer si le Canada savait qu'il envoyait des prisonniers à la torture. Le président de la Chambre des communes leur a donné raison, faisant valoir que le Parlement, et non l'exécutif, était souverain, sécurité nationale ou pas.
Notons par ailleurs que, lorsque la Presse canadienne a révélé l'ingérence de Sébastien Togneri, son ministre s'en était totalement dissocié. «Je ne défendrai pas ce geste. Je ne donnerais jamais une telle directive», avait déclaré le ministre Christian Paradis. M. Togneri a conservé son poste.
Un autre cas d'outrage se profile à Ottawa
L'opposition accuse les conservateurs d'imposer la loi du silence à tout l'appareil fédéral
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