Un désaveu du système public

Commission Castonguay



Au terme du mandat du Groupe de travail sur le financement du système de santé, je me sens l'obligation d'exprimer mon désaccord avec trois points précis du rapport, tous liés au rôle du secteur privé. Après plusieurs mois de recherche, de débats et de réflexions au sein du groupe de travail, j'en suis en effet arrivé à la conclusion qu'il est inopportun de permettre, en ce moment, de plus larges ouvertures au secteur privé que celles déjà prévues dans les services de santé au Québec. J'exprime ainsi ma dissidence à l'endroit d'une recommandation et de deux propositions.
- Je m'oppose à la levée de l'interdiction qui est faite aux médecins de pratiquer à la fois dans le système public et dans le système privé, ce qu'on appelle le décloisonnement de la pratique médicale.
- Je suis également en désaccord avec une plus grande ouverture sur l'assurance privée.
- Enfin, je me prononce contre l'idée de confier l'administration d'hôpitaux à des sociétés privées spécialisées en gestion. Les raisons qui motivent cette opinion sont sérieuses et bien réfléchies.
Note discordante
Les trois points sur lesquels j'exprime ma dissidence constituent, à mes yeux, des accrocs à la logique d'ensemble du rapport. Ils créent une diversion et suscitent des interprétations contradictoires.
L'interdiction faite aux médecins de pratiquer à la fois dans le système public et dans le système privé ainsi que la prohibition de l'assurance duplicative sont deux moyens importants mis à la disposition du ministre de la Santé et des Services sociaux pour contrôler le rapport entre le système public et les fournisseurs privés. Ce serait une erreur de lui en enlever l'usage.
Enfin, la résolution des problèmes de notre système de santé passe par la mobilisation des acteurs du système. Pour que cette mobilisation soit réussie, le gouvernement doit établir sans équivoque et sans arrière-pensée qu'il donne la priorité au système public. Ces trois mesures risquent d'être perçues comme un désaveu par un grand nombre d'intervenants du système public et de nuire à la mise en oeuvre des solutions désignées par le groupe de travail pour améliorer et assurer sa pérennité.
Un rapport pro-public
[...] Le rapport qui découle de nos travaux mise clairement sur la capacité du système public de poursuivre ses réformes et de satisfaire les besoins de la population. Il s'agit d'un rapport pro-public. Le rapport du groupe de travail contient les éléments qui permettraient au système public d'avoir les moyens de ses ambitions tout en lui imposant une discipline essentielle pour éviter une escalade des coûts.
Les recommandations du groupe de travail misent sur la mobilisation et sur le sens des responsabilités de tous les acteurs du système de santé, du patient jusqu'au ministre. Le groupe de travail propose un nouveau contrat social. Dans le cadre de ce nouveau contrat social, le groupe de travail croit toutefois nécessaire de reconnaître et d'inclure les acteurs actuels du secteur privé dans l'offre de soins. [...]
Conserver deux instruments de contrôle
Le ministre de la Santé et des Services sociaux dispose de deux moyens importants qui lui permettent d'exercer un contrôle sur l'équilibre entre le système public et la pratique privée. Ces deux moyens sont l'interdiction faite à un médecin de pratiquer en même temps dans les deux systèmes et la prohibition de l'assurance privée pour des soins déjà assurés par le régime public.
Le décloisonnement de la pratique médicale et le recours à une assurance privée duplicative sont des pratiques permises ailleurs dans le monde. En théorie, rien ne justifie qu'elles demeurent interdites au Québec. Mais nous ne vivons pas dans la théorie. Dans la pratique, ce serait une erreur de lever ces interdictions aujourd'hui. [...]
Mobiliser les acteurs du système public
Il existe une autre raison pour laquelle j'exprime mon désaccord avec ces deux mesures. [...] Le rapport du groupe de travail est un appel à la mobilisation de tous les acteurs du système. Le groupe de travail leur demande de faire des efforts importants, au cours des cinq à sept prochaines années, pour rendre ce système plus productif et plus efficace. Le groupe de travail leur demande de mettre de côté les conflits qui les ont opposés et de travailler ensemble afin d'instaurer un meilleur climat de travail. Le groupe de travail les invite à un changement de culture.
Pour donner toutes les chances de succès à cette entreprise de rénovation et de mobilisation, les acteurs du système doivent sentir qu'ils ont l'appui et la confiance de leurs dirigeants. Pour créer ce climat favorable, il faut éviter de lancer des messages contradictoires. On ne peut pas en même temps mobiliser les acteurs du système public dans une opération de grande envergure et susciter leur adhésion à un nouveau contrat social si, en même temps, on leur donne l'impression de préparer le terrain pour le secteur privé. [...]
J'invite donc le gouvernement à prendre en considération les éléments évoqués dans cette position dissidente. Mon souhait est que, très rapidement et sans équivoque, le ministre de la Santé et des Services sociaux annonce le rejet des trois propositions qui auraient pour effet d'élargir, au-delà de ce qui est déjà prévu, le rôle du secteur privé dans les services de santé. [...]
***
Michel Venne, Vice-président du Groupe de travail sur le financement du système de santé
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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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