Un Plan Nord à géométrie variable

Jean Charest s’est fait commis-voyageur pour vendre le Plan Nord sur la scène internationale.

"Ils mentent comme ils respirent" - Marc Bellemare


Robert Dutrisac - Quand Nathalie Normandeau était ministre des Ressources naturelles et de la Faune, elle parlait souvent du Plan Nord comme d'une «démarche». Et le propre d'une démarche — certains appellent ça un work-in-progress —, c'est son caractère évolutif. Encore cette semaine, on a vu évoluer le ministre des Finances, Raymond Bachand, et l'actuel ministre des Ressources naturelles, Clément Gignac, qui, aiguillés par Jacques Parizeau, ont apporté des précisions au fameux Plan Nord.
Jacques Parizeau avait eu l'amabilité de fournir au gouvernement Charest une copie de l'intervention qu'il devait faire mardi au colloque sur le développement minier organisé par l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et la Direction du développement durable de HEC. «Je l'ai lu, le texte de M. Parizeau. [...] Dernièrement, je lis pas mal de textes», a lancé à la blague Jean Charest à des journalistes jeudi.
Ce texte, Raymond Bachand et Clément Gignac l'avaient lu aussi. Ils avaient eu le temps de préparer leur réplique: Québec ne paiera pas pour les infrastructures destinées aux minières, sauf exception.
Première exception: le prolongement de la route 167 jusqu'aux monts Otish et à la mine de diamants de Stornoway. C'est pour le «bien commun», a invoqué Jean Charest. Le bien des 3000 habitants de la communauté crie de Mistassini, qui auront un accès plus facile à leurs territoires de trappe, le bien des touristes et de l'industrie touristique puisque la route donne accès au parc national Albanel-Témiscamie-Otish, le bien de Stornoway, aussi, et celui d'Investissement Québec, qui détient 37 % de la minière, et, enfin, le bien des minières, qui pourraient exploiter d'autres gisements dans la région. Cette addition de «bien» se transforme donc en bien commun et en un investissement public de 288 millions. Stornoway en paie une partie, soit 44 millions et des frais annuels d'entretien de 1,2 million.
Que les minières seront les seules à assumer le coût des routes, des chemins de fer, des aéroports ou des ports dont elles auront besoin, comme l'ont soutenu MM. Bachand et Gignac, c'est bien la première nouvelle qu'on en a. Si les minières l'avaient su, elles n'auraient pas dépensé les centaines de milliers de dollars qu'elles versent depuis deux ans à des lobbyistes pour obtenir qui une route, qui un port, qui un chemin de fer.
Dans le dernier budget Bachand, on peut d'ailleurs lire noir sur blanc que «le gouvernement annonce un ensemble d'investissements et de mesures visant à assurer un déploiement rapide du Plan Nord». Il s'agit notamment «d'investissements publics dans les infrastructures stratégiques de transport et dans les télécommunications».
Plus!
Outre le prolongement de la route 167 et la réfection de la route 389 qui relie Baie-Comeau et Fermont et se poursuit jusqu'à la frontière du Labrador, le gouvernement investira dans des projets beaucoup plus ambitieux. Au cours des cinq prochaines années, l'État dépensera 57 millions pour des études géomorphologiques et la cueillette de données techniques visant la construction d'une route ou d'un chemin de fer, ou les deux, qui relierait le Nunavik et le reste du Québec.
Quelque 33 millions seront dépensés pour des études pour un port en eaux profondes à Whapmagoostui-Kuujjuarapik, dans la baie d'Hudson, et une route de 250 kilomètres reliant ce port à Radisson. Toujours sans contribution d'une minière.
On le voit: le Plan Nord évolue. Les minières devront payer pour leurs infrastructures, sur le modèle de la mine Raglan au Nunavik, à moins que les infrastructures puissent servir à plusieurs usages qui en justifieraient le coût. Jean Charest, qui parle du Plan Nord avec l'enthousiasme du commis voyageur, a sans doute stimulé l'appétit des minières, qui aimeraient bien que l'État leur ouvre le territoire nordique. Il a fallu l'intervention d'un Jacques Parizeau, dans un texte d'une grande limpidité, pour rappeler au gouvernement que c'est avant tout aux minières d'ouvrir le Nord, à moins que l'État puisse troquer ses investissements dans les infrastructures contre des participations dans leur capital.
Le boom minier a déjà de lourdes répercussions: des villes comme Port-Cartier, Havre-Saint-Pierre et Fermont peinent à accueillir les nouveaux travailleurs qui affluent. Le président de la Corporation du développement économique de Port-Cartier, Michel Gignac, le frère du ministre, estime que le gouvernement, quand il a lancé le Plan Nord, ne connaissait pas les besoins des villes. Une municipalité comme Port-Cartier, qui compte 7000 habitants, ne peut tout simplement pas absorber l'arrivée de 1000 travailleurs et de leur famille.
Au courant
Clément Gignac se dit bien au fait de ces problèmes. «Ça doit rassurer la population du Québec: même dans ma famille, on me parle du Plan Nord», a-t-il dit en riant lors d'un entretien accordé au Devoir.
Pour pallier ces problèmes, il faut créer la Société du Plan Nord, qui fait l'objet du projet de loi 27 présentement à l'étude. «La Société du Plan Nord, c'est l'outil qui va permettre de mettre de l'huile dans l'engrenage», souligne le ministre. Cette société d'État n'est pas financée par les redevances minières, mais par un fonds dans lequel le ministère des Finances versera une somme équivalente aux retombées directes et indirectes générées par le Plan Nord.
C'est à cette société que les minières soumettront leurs projets. «Au lieu que les minières avec les lobbyistes commencent à cogner à toutes les portes des ministères et d'Hydro-Québec et à se promener dans le gouvernement tout partout, quand la Société du Plan Nord va être faite, elles vont sonner à sa porte», soutient le ministre.
Clément Gignac plaide pour la nécessité «d'éviter un développement débridé» du Nord québécois, une drôle d'expression à employer pour un territoire convoité par des intérêts chinois et peuplé par 12 000 Inuits. La Société du Plan Nord va «ordonnancer» les projets. «Ce n'est pas vrai qu'on va se faire dicter notre "agenda" par des petites minières de Toronto ou de Vancouver ou par des grosses multinationales», affirme le ministre.
Entre-temps, Jean Charest entend miser sur le Plan Nord, qu'il considère comme une de ses cartes maîtresses en cette période pré-électorale. «Vous allez beaucoup entendre parler du Plan Nord», a-t-il dit aux journalistes jeudi. En effet: le premier ministre prononcera une allocution sur le Plan Nord devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain lundi puis une autre, vendredi, devant la Jeune Chambre de commerce et d'industrie de Québec.
Devant les membres de l'Association de l'exploration minière du Québec jeudi, Jean Charest a ressorti un argument qu'il avait évoqué en septembre 2008 alors qu'il lançait pour une première fois le Plan Nord. Un argument qui est celui d'un premier ministre... fédéral. La nouvelle route maritime qu'ouvrira le réchauffement climatique, le passage du Nord-Ouest, est un des principaux enjeux géopolitiques des prochaines années. Un passage dont la propriété est contestée tant par les Européens que par les Américains. «Nous, Québécois et Canadiens, on a intérêt à s'en occuper», a fait valoir Jean Charest.


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