« Un Russe nommé Poutine », d’Héléna Perroud : un chef d’État au service de son peuple

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« En réalité, Vladimir Poutine a conscience de représenter l’un des rares Etats véritablement souverains, et qui entend le rester. »

Par Michel Geoffroy, auteur de La Super-classe mondiale contre les peuples ♦ Au moment où la présidence russe entre dans une nouvelle étape, il faut lire le livre qu’Héléna Perroud à consacré à Vladimir Poutine[1]. Car le titre de cet essai – Un Russe nommé Poutine – donne sa tonalité. Héléna Perroud, russophone elle-même, ayant dirigé l’Institut culturel français de Saint Pétersbourg et ancienne du cabinet de Jacques Chirac à la présidence de la république, inscrit en effet la dynamique politique de Vladimir Poutine dans la continuité historique de la Russie. L’ouvrage, truffé de nombreuses références culturelles, historiques et personnelles, comprend d’ailleurs en annexe un résumé de l’histoire de la Russie, de plus en plus fourni à partir de 1952, l’année de naissance de Vladimir Poutine.




Une analyse sur la longue durée


A la différence des dirigeants occidentaux, caractérisés par une forte instabilité politique et une totale absence de perspective historique – sinon pour nous inviter à nous repentir en permanence d’être Européens ou Français -, la carrière politique de Vladimir Poutine s’inscrit au contraire, selon Héléna Perroud, dans la longue durée et dans une appropriation de toute l’histoire russe. Comme le dit souvent Vladimir Poutine, « celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur et celui qui souhaite sa restauration n’a pas de tête » !


Or la Russie, même après les amputations de la chute de l’URSS, reste un pays immense, peuplé de nombreuses ethnies (plus de 160) et riche de ressources énergétiques. Mais ce n’est aussi géographiquement qu’une vaste plaine, sans réelles frontières naturelles sinon des mers lointaines ou gelées, ouverte par conséquent à toutes les menaces. Comme l’écrit Héléna Perroud, « cette donnée de l’immensité est fondamentale pour appréhender la mentalité russe [2]».


Elle explique notamment que les Russes ne voient pas un Etat fort comme une anomalie, mais au contraire « la source et le garant de l’ordre, l’initiateur et la force motrice de tout changement ».


La formule est justement celle de Vladimir Poutine, dans son essai programmatique La Russie au tournant du Millénaire, daté du 30 décembre 1999, avant son accession à la présidence. Un essai qui montre aussi que l’homme se fonde sur une vision à moyen terme de l’identité russe dans le monde d’aujourd’hui. Rien à voir avec les piètres cogitations électoralistes que signent[3] à chaque élection les politiciens occidentaux pour faire croire qu’ils réfléchissent !


Ce sont les Tsars et les commissaires communistes qui ont créé la puissance russe, pas la main invisible du marché ou la thérapie de choc du néo-libéral Gaïdar, qui, comme disaient ironiquement les Russes dans les années 90, avait mieux réussi que les communistes pour faire haïr le capitalisme !


Un Russe comme les autres


La première partie de l’essai d’Héléna Perroud s’intitule significativement « Vladimir Vladimirovitch, un Russe comme les autres ».


Or, entre sa naissance en 1952 et son accession au pouvoir suprême en 1999, ce « Russe comme les autres » a justement subi les profonds bouleversements de la mère patrie : la déstalinisation, la disparition de l’URSS et du parti communiste, l’effondrement économique et diplomatique sous la présidence Eltsine, le « temps des troubles » des années 1990, l’ouverture de la Russie à l’économie de marché, la banqueroute en 1998, l’encerclement par l’OTAN, la sécession en Tchétchénie et dans le Nord Caucase, la séparation de l’Ukraine, frontière et cœur historique de la Russie, etc….


Aucun autre dirigeant ni aucun peuple occidental n’a vécu de tels bouleversements en si peu de temps !


En une génération, les Russes sont en effet passés du stade de surpuissance militaire et spatiale, vainqueur de la Seconde Guerre mondiale – ce que les oligarques occidentaux s’efforcent aujourd’hui de nous faire oublier – à celui de pays menacé et revenu à ses frontières du temps de Catherine II.


Comme l’écrit Vladimir Poutine dans son essai précité, « la Russie traverse l’une des périodes les plus difficiles de son histoire multiséculaire. Sans doute pour la première fois depuis 200-300 ans elle est confrontée au danger d’être reléguée au deuxième, voire au troisième rang parmi les Etats du monde » [4].


Dès lors, son but est clair : restaurer la grandeur de la Russie, relever le pays et rebâtir l’Etat.


Un homme de caractère


L’intérêt du livre d’Héléna Perroud tient aussi au fait qu’elle montre comment le parcours personnel de Vladimir Poutine, permet de comprendre son style et sa détermination politiques.


Vladimir Poutine est né à Léningrad, la « fenêtre sur l’Europe » créée à force de volonté et de sacrifices par Pierre Le Grand. Mais aussi la ville-héros de la Grande Guerre Patriotique, soumise à un blocus de 872 jours. Près d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants morts de faim, d’épuisement et de maladie[5] ! Parmi eux, le frère aîné de Vladimir Poutine.


Aujourd’hui, Léningrad est redevenu Saint Pétersbourg mais la mémoire de la résistance et des sacrifices passés demeure vivante, comme lorsque Vladimir Poutine défile avec le régiment immortel en portant le portrait de son père, héros de la guerre. Devenu responsable politique, Poutine s’entourera aussi de collaborateurs rencontrés à Saint Pétersbourg.


Vladimir Poutine est aussi passé par les services secrets russes, le KGB. Cela forge le caractère autrement que l’ENA ou la direction d’une banque d’affaires !


Car les « services » incarnent en réalité l’engagement patriotique et la loyauté les plus exigeants y compris dans des situations à risques. Comme lorsque Vladimir Poutine se retrouve seul avec quelques collègues à Dresde dans l’immeuble du KGB qui jouxte celui de la Stasi, le jour de la chute du mur , face à une foule hostile. Une foule qu’il parviendra, en allemand, à dissuader d’envahir l’immeuble. Une expérience aussi de la déliquescence du pouvoir, qui marquera Vladimir Poutine, selon Héléna Perroud.


L’aigle à deux têtes


Depuis le 15ème siècle, l’aigle russe, hérité de Byzance,possède deux têtes, l’une regardant à l’Ouest, l’autre à l’Est. Un blason symbolisant bien la double identité de la Russie : européenne et slave. Ouverte sur l’Europe, tout en poursuivant sa voie propre. Sur ce plan, Vladimir Poutine est sans doute le président russe le plus européen qui soit, à la fois par son origine et par sa connaissance de l’Allemagne.


Mais pour Héléna Perroud, c’est aussi une bonne image de l’ambition internationale du Président Poutine : « regarder partout, avoir des amis partout, ou du moins n’avoir d’ennemis définitifs nulle part pour que chaque option reste ouverte autant que possible et être avant tout une nation souveraine, maîtresse de ses décisions [6]». Un programme qui ne peut que mettre en fureur ceux qui rêvent d’un monde unipolaire, celui que Vladimir Poutine a explicitement récusé lors de son célèbre discours à Munich le 10 février 2007.


Le président d’un Etat indépendant


Héléna Perroud montre notamment comment cette stratégie se met en œuvre à la fois vis-à-vis de l’Asie, vis-à-vis du monde arabo-musulman et vis-à-vis des Brics. Car contrairement à ce que prétend la propagande occidentale, la Russie n’est nullement « isolée » : au contraire elle se rapproche des nations les plus peuplées et les plus dynamiques, à l’image de cette célèbre photo où l’on voyait le président russe « isolé » serrer les mains de ses homologues chinois, indien, brésilien et sud-africain, représentant… plus de la moitié de la population mondiale ! Et la Russie adhère à l’organisation mondiale des pays musulmans.


En réalité, Vladimir Poutine a conscience de représenter – comme il le dit lors d’un entretien avec Oliver Stone – l’un des rares Etats véritablement souverains, et qui entend le rester. Et c’est bien ce que le Système lui reproche.


Héléna Perroud remarque ironiquement à cet égard que lors de la rencontre à Versailles, le 29 mai 2017, entre les présidents français et russe, sur les pupitres de la conférence de presse finale, il y avait trois drapeaux : d’un côté le drapeau français superposé au drapeau de l’Union Européenne, de l’autre le drapeau russe. Mais quel pays était donc le plus souverain ?


Pour comprendre ce que gouverner veut dire


Héléna Perroud ne cache pas sa sympathie pour Vladimir Vladimirovitch, mais son ouvrage n’est pas apologétique pour autant.


L’auteur montre en effet que la démocratie russe a sans doute encore quelques progrès à faire, comme la lutte contre la corruption et la liberté de la presse. La troisième partie de l’essai traite d’ailleurs avec sérieux des « opposants à Vladimir Poutine », même si certains, par un heureux hasard, sont soutenus par la National Endowment for Democratie américaine !


Tout n’est pas parfait en Russie, mais sommes-nous les mieux placés pour lui donner des leçons, comme aime tant à le faire Emmanuel Macron ?


Héléna Perroud cite Alexandre Soljenitsyne qui déclarait au Spiegel en juillet 2007 que « Poutine a reçu en héritage un pays dévasté et à genoux, avec une majorité de la population démoralisée et tombée dans la misère. Et il a fait son possible pour le remettre debout petit à petit, lentement ».


Un Russe nommé Poutine est donc un ouvrage à lire pour comprendre comment un homme d’Etat peut se mettre au service de la nation et de son peuple.


A voir ce qui se passe dans notre pays, nous en avons bien besoin.


Michel Geoffroy

25/01/2020


[1] « Un Russe nommé Poutine » Héléna Perroud, éditions du rocher 2018


[2] « Un Russe nommé Poutine », op.cit. page 19


[3] Puisque la plupart du temps ils ne les ont pas rédigées eux -mêmes, mais par des communiquants…


[4] « Un Russe nommé Poutine », op.cit. page 33


[5] Soit plus que les victimes britanniques de la Seconde Guerre Mondiale…


[6] « Un Russe nommé Poutine », op.cit. page 177


Source : Correspondance Polémia