Au début des années 1990, les ministres du gouvernement Bourassa semblaient engagés dans une véritable surenchère pour déterminer lequel saurait prendre le plus sereinement un éventuel virage souverainiste.
Dans le climat surréaliste qui régnait au PLQ entre l'échec de l'accord du lac Meech et celui de l'entente de Charlottetown, les libéraux avaient perdu tous leurs repères. Le rapport Allaire ayant indiqué la nouvelle voie à suivre, c'était à qui allait le mieux plumer Ottawa, sous l'oeil désapprobateur de Claude Ryan, qui refusait obstinément de se ruer à la curée.
Nommé ministre des Communications en octobre 1990, au moment où le Québec était plongé dans l'effervescence de la commission Bélanger-Campeau, Lawrence Cannon brûlait de monter au front.
À la fin de l'été 1991, M. Cannon publiait donc un Livre vert dont le titre ne laissant aucun doute sur ses intentions: Pour une politique des communications: d'abord récupérer les pouvoirs.
«Parce qu'il est en mesure d'assurer son développement culturel, économique et social, le Québec entend maîtriser les leviers politiques, juridiques, financiers et réglementaires pour favoriser le développement et le rayonnement des communications. En fait, le Québec ne peut, à l'heure actuelle, se donner une véritable politique des communications sans, au préalable, posséder la pleine juridiction en ce domaine», écrivait en préface le futur lieutenant de Stephen Harper.
Il n'y allait pas de main morte. Tous les pouvoirs sur les télécommunications, la radiodiffusion, la télédiffusion, les médias écrits, les technologies de l'information et la publicité véhiculée sur le territoire québécois devaient être rapatriés.
À la même époque, sa collègue des Affaires culturelles, Liza Frulla, accueillait avec enthousiasme la publication du rapport Arpin, qui recommandait que tous les pouvoirs en matière de culture relèvent exclusivement du Québec. On connaît la suite: le Canada tout entier a été saisi par une frénésie de commissions consultatives qui ont abouti au fiasco de Charlottetown, et tous ces beaux projets ont été abandonnés.
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À la page 189 du Livre vert de M. Cannon, on pouvait également lire: «Tout au long de l'histoire du fédéralisme canadien, le Québec a progressivement été dépouillé de ses pouvoirs. Le maintien du système actuel ne présage rien de positif: le Québec perdra ce qui lui reste de compétence.»
M. Cannon avait parfaitement raison. Peut-être pourrait-il profiter de la campagne électorale pour expliquer en quoi le «fédéralisme d'ouverture» du gouvernement conservateur a amélioré les choses en matière de communications. Cela nous a peut-être échappé.
Oui, je sais, la culture et les communications relèvent de la ministre du Patrimoine canadien, Josée Verner, mais il ne semble pas utile de lui demander d'expliquer quoi que ce soit. D'une déclaration à l'autre, sa capacité de multiplier les sottises ne cesse d'étonner. Mardi, elle laissait entendre que si le gouvernement Charest n'était pas content des coupes dans les subventions à la culture décrétées par Ottawa, il n'avait qu'à prendre la relève.
À en juger par les sondages, la population ne semble pas en tenir grief aux conservateurs, malgré les louables efforts du Bloc québécois pour stimuler son indignation. Dans l'esprit de certains, Céline Dion ou Garou semblent représentatifs de l'artiste moyen.
À Québec, la «souveraineté culturelle» n'en est pas moins considérée comme un filon prometteur en prévision de la reprise des travaux de l'Assemblée nationale, le mois prochain, alors que la campagne fédérale sera chose du passé.
Le premier ministre Charest a marqué le premier point vendredi dernier, en réclamant la signature d'une entente administrative sur la culture avec Ottawa, quelques heures avant que le PQ n'annonce son intention de présenter une motion demandant que la constitution canadienne soit amendée pour y enchâsser la reconnaissance de la compétence exclusive du Québec en matière de culture et de communications et lui assurer une juste compensation financière, s'il refuse de participer à une initiative fédérale.
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Même si l'ADQ se fait un peu tirer l'oreille, on voit mal comment elle pourrait s'y opposer sans perdre toute crédibilité, de sorte que le premier ministre Harper ne pourra plus continuer à prétendre qu'aucune assemblée législative n'a demandé l'ouverture de nouvelles négociations constitutionnelles.
Certes, dans son avis de 1998, la Cour suprême a statué qu'une telle demande ne pouvait pas être ignorée par Ottawa, mais qui pourrait négocier au nom du Québec, si le gouvernement Charest s'y refuse, sous prétexte que «le fruit n'est pas mûr»?
La comparaison avec l'amendement constitutionnel qui avait permis au gouvernement Bouchard de restructurer les commissions scolaires sur une base linguistique ne tient pas. Cette modification n'avait aucun impact financier, tandis que la reconnaissance de nouvelles compétences exclusives au Québec nécessiterait aussi d'encadrer le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, ce qui vouerait l'entreprise à un échec certain.
Au cours de la prochaine campagne électorale au Québec, M. Charest pourra plaider qu'«un tiens vaut mieux que deux tu l'auras». Un amendement constitutionnel offrirait de meilleures garanties pour l'avenir, mais une simple entente administrative serait plus facile à conclure, quitte à les enchâsser plus tard. D'ailleurs, même si les ententes sur l'immigration ou sur la formation professionnelle n'ont jamais été inscrites dans la constitution, elles ont été respectées par les gouvernements qui se sont succédés à Ottawa.
De toute manière, à moins d'un redressement quasi miraculeux de l'économie, il y a fort à parier que le principal enjeu de la prochaine élection québécoise ne sera pas la constitution. Comme durant la présente campagne fédérale, il s'agira plutôt de déterminer qui est le plus apte à tenir la barre dans la tourmente.
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