Le dernier budget du Québec propose des modifications majeures aux principes de financement du système de santé. Or, le mode de financement est probablement l'aspect de notre système de santé qui fonctionne le mieux. C'est un mode de financement performant, qui redistribue la richesse des gens en bonne santé vers les gens malades et des plus riches vers les moins nantis. Il est important de comprendre que le montant que nous sommes prêts, collectivement, à investir dans la santé est une décision qui n'a pas de lien avec le mode de financement. On peut très bien décider d'accroître les montants sans changer la façon dont l'argent est prélevé.
Par contre, ce que le gouvernement Charest propose de mettre en place va à l'encontre des principes fondateurs redistributifs de notre système de santé. Deux mesures sont avancées à court terme: un montant annuel prélevé à même les impôts indépendamment du revenu et un montant forfaitaire par visite médicale, directement fonction de l'utilisation de chaque individu. Concrètement, les moins nantis payeront le même montant que les plus riches ce qui signifie que, proportionnellement, l'effort qui est demandé aux premiers sera nettement plus important. De plus, les plus malades, qui utilisent souvent le système de soins, devront assumer un effort supplémentaire, une taxe à la maladie en quelque sorte.
Ces mesures découlent, d'une part, de l'affinité idéologique du gouvernement avec le principe d'une imposition régressive et, d'autre part, de l'idée selon laquelle les services de santé sont des biens marchands et qu'il faut responsabiliser les consommateurs afin de réduire l'utilisation non optimale du système de soins. Les problèmes avec ces positions sont de plusieurs ordres.
Coûts indirects
Premièrement, les pénalités financières pour les personnes à faible revenu risquent d'avoir des effets importants sur l'ensemble de ces ménages. Le gouvernement mentionne que la contribution santé ne concernera pas les personnes à faible revenu, par exemple un individu seul ayant un revenu d'environ 14 300 $. Or, le seuil de pauvreté est de 21 200 $ pour une personne seule vivant à Montréal.
Ainsi, une personne vivant sous le seuil de la pauvreté devra payer autant que quelqu'un qui a un revenu dans les six chiffres. Deuxièmement, c'est justement quand on est malade que l'on n'a pas envie d'avoir de soucis financiers, et c'est la magie de notre système de financement actuel que d'offrir une garantie d'accès aux soins selon les besoins, sans autre critère. La maladie engendre déjà des coûts indirects importants pour les individus, et ceci est encore plus vrai avec la multiplication récente de divers frais dans le système de soins (tests, attestations, stationnement, etc.).
Surutilisation du système
Au-delà des questions d'équité et d'accessibilité, ces mesures ne s'attaquent pas aux causes réelles de mauvaise utilisation du système de soins. Faire payer les malades ne réglera en rien la «surutilisation» des services de santé ou la mauvaise orientation des patients. Ces problèmes ne sont pas liés aux décisions individuelles des patients, mais au contraire, à des facteurs systémiques sur lesquels les malades n'ont aucune prise.
Par exemple, l'absence de dossier informatisé centralisé multiplie les examens diagnostiques; les difficultés d'accès à des services de première ligne 7 jours sur 7 pour l'ensemble de la population fait en sorte que l'urgence est souvent le seul point de consultation; les mécanismes de référence lourds entre établissements sont tels que même les médecins dirigent leurs patients vers l'urgence pour obtenir des tests diagnostiques ou des consultations avec des spécialistes plus rapidement. Ces problèmes ne se régleront pas par les mesures financières proposées. Les mesures préconisées dans le budget ciblent les mauvais leviers pour régler la question de l'utilisation inadéquate des services.
Risques importants
Enfin, l'aspect qui est probablement le plus grave, c'est le risque que des gens malades retardent la première consultation chez le médecin pour ne pas avoir à payer les frais associés à cette consultation. Pour plusieurs maladies, ces retards peuvent être critiques et l'on sait combien le fait de détecter un cancer de façon précoce, par exemple, peut être déterminant pour la survie du patient. Imposer un frein à la première visite médicale est potentiellement dangereux pour les patients à faible revenu et, ironiquement, risque d'entraîner des coûts plus importants pour le système de santé.
Les mesures mises de l'avant dans le budget sont non seulement inéquitables, mais elles risquent aussi d'avoir des répercussions négatives majeures à long terme sur la santé de la population québécoise et sur les coûts du système de santé. Ce n'est pas dans la restriction de l'accès aux services de première ligne que réside la solution aux maux du système de santé. Au contraire, il faut s'assurer que tous continueront d'y avoir accès, en fonction de leurs besoins et indépendamment de leur revenu.
Si l'on veut améliorer notre système de santé, il faut agir sur son fonctionnement et non sur les principes de financement. Si les incitatifs financiers sont des leviers importants, ce n'est pas en jouant avec ces incitatifs au niveau des patients que l'on ira vers des solutions viables. En adoptant ce budget, nous faisons collectivement fausse route. Enfin, ces mesures constituent une première brèche dans le modèle de financement de notre système de santé et il ne serait pas étonnant qu'elles servent de test pour donner une plus grande ampleur, dans les années à venir à un financement plus individualiste et moins redistributif. Quel sabotage!
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Astrid Brousselle, Christine Loignon
Professeures à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke
Damien Contandriopoulos
Professeur à la Faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal et chercheur à l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal
Financement de la santé
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