Tout le monde sait que la démocratie a un coût, même si elle n'a pas de prix. La publicité itinérante du Parti conservateur, qui présente le Bloc québécois comme un investissement de 350 millions en pure perte, est tout simplement immorale. Il fallait vraiment être culotté pour confier le lancement de la «facture mobile» à un ministre-sénateur non élu.
Dans notre système politique, il est très rare qu'un parti d'opposition réussisse à faire adopter un projet de loi. À ce chapitre, le Bloc québécois n'a sans doute fait ni mieux ni pire que les autres partis qui n'ont jamais été au pouvoir à Ottawa, que ce soit le NPD, le Reform Party ou l'Alliance canadienne.
Il est tout à fait légitime de s'interroger sur la pertinence politique du Bloc, maintenant que la réalisation du projet souverainiste a été reportée sine die, mais personne ne peut sérieusement prétendre que le Bloc a mal fait son travail depuis 1990. Évaluer un parti d'opposition par son rapport coût-rendement législatif est tout simplement grossier. Cette falsification de la facture revient à faire l'apologie du parti unique.
Un proche du premier ministre Harper a voulu faire une distinction entre le Bloc et le défunt Reform Party, qui avait un caractère tout aussi régional, dans la mesure où la raison d'être du Bloc n'est pas de diriger le pays, mais de le détruire.
«Quand Gilles a fait son entrée à la Chambre des communes, le téléroman Les Filles de Caleb entrait en ondes. Guy Carbonneau était le capitaine du Canadien de Montréal... pas son entraîneur!», peut-on lire sur le site conservateur coutsdubloc.com.
Précisément, d'un point de vue fédéraliste, la présence du Bloc à Ottawa après 18 ans d'existence devrait être considérée comme une bonne nouvelle puisqu'elle témoigne de l'échec du mouvement souverainiste.
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En réalité, ce sont plutôt les souverainistes qui devraient se poser des questions. Ce parti qui devait faciliter la rupture entre le Québec et le Canada serait-il paradoxalement devenu une caution du fédéralisme?
Un des arguments invoqués le plus souvent pour justifier l'existence du Bloc est la nécessité d'offrir aux souverainistes la possibilité de voter aux élections fédérales, alors qu'ils devraient autrement s'abstenir.
Il est vrai qu'après l'échec de l'accord du lac Meech et de l'entente de Charlottetown, un nombre grandissant de Québécois, même fédéralistes, se détournaient du Canada. En servant d'exutoire à leur mécontentement, Bloc a contribué du même coup à maintenir un lien entre les deux solitudes. Par son intermédiaire, les Québécois ont continué à s'intéresser et à participer à la politique fédérale.
Quand le scandale des commandites est survenu, leur réaction n'a pas été l'indifférence, mais plutôt la colère. En décidant de châtier les libéraux, ils ont aussi manifesté leur souci de la démocratie canadienne. Par la suite, s'ils ont été séduits par le «fédéralisme d'ouverture» de Stephen Harper, c'est qu'ils étaient toujours à l'écoute.
Pour se donner bonne conscience et rassurer les souverainistes, Gilles Duceppe peut toujours dire que la reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise «au sein du Canada» serait un pas de plus vers la souveraineté, mais la motion adoptée par la Chambre des communes semble plutôt avoir eu pour effet de renforcer l'unité canadienne.
Finalement, au lieu de plaider l'inutilité du Bloc, Michael Fortier aurait dû vanter le sens démocratique d'un pays qui accepte de faire vivre aussi grassement un parti voué à sa dislocation.
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Déjà, les attaques personnelles contre Stéphane Dion étaient déplorables. Il est encore plus désolant de voir les conservateurs dénaturer le régime parlementaire dans l'espoir d'arracher quelques sièges supplémentaires.
Selon le mentor du premier ministre Harper, Tom Flanagan, une campagne électorale doit être considérée comme «une forme civilisée de guerre civile», qu'il faut gagner par tous les moyens légaux possibles.
«Nous ne pouvons pas gagner en nous comportant en boy-scouts», explique-t-il dans son livre Harper's Team. Behind the Scenes in the Conservative Rise to Power, où il donne la recette d'une victoire conservatrice.
La publicité négative fait partie de ses recommandations. En 2004, les conservateurs avaient hésité à y aller trop fort, pour éviter de donner des arguments aux libéraux, qui présentaient déjà M. Harper comme un épouvantail, et ils avaient perdu, rappelle M. Flanagan. Au contraire, en 2006, ils sont allés «pour la jugulaire» et ils ont gagné.
Il ne faut surtout pas se laisser impressionner par les lamentations de ceux que ces tactiques pourraient indisposer, prévient-il. Ce sont «des utopistes qui fantasment sur une société sans conflit». De toute manière, les gens s'attendent à ce que les conservateurs jouent dur.
Avec un tel maître à penser, le ton de la publicité conservatrice depuis le début de la campagne n'a rien d'étonnant. L'incident du macareux était certes choquant, mais il apparaît simplement comme un excès de zèle. Une guerre civile peut-elle réellement être civilisée?
Les méthodes inspirées par M. Flanagan sont peut-être détestables, mais il faut bien reconnaître leur efficacité. La publicité conservatrice a conforté une majorité de Canadiens dans leur impression que Stéphane Dion n'a pas l'étoffe d'un premier ministre, et Gilles Duceppe n'en finit plus de plaider que son parti mérite d'exister.
Même si M. Harper a dû intervenir pour appeler certains de ses collaborateurs à plus de mesure, les conservateurs volent présentement vers une réélection, peut-être même avec une majorité de sièges. C'est tout ce qui compte.
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mdavid@ledevoir.com
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