NOMINATION DU JUGE MAINVILLE

Une menace pour la culture juridique québécoise

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Tous les moyens sont bons pour diluer la spécificité du Québec

Vendredi 13 juin 2014, l’honorable Robert Mainville, alors juge de la Cour d’appel fédérale, a été nommé juge de la Cour d’appel du Québec. Un avocat torontois, Me Rocco Galati, a entamé des procédures judiciaires pour faire déclarer cette nomination inconstitutionnelle, puisque l’article 98 de la loi constitutionnelle de 1867 prévoit que « les juges des cours de Québec seront choisis parmi les membres du Barreau de cette province » et que, siégeant à la Cour d’appel fédérale, le juge Mainville n’est plus membre du Barreau du Québec.

Plusieurs rejettent l’hypothèse de l’inconstitutionnalité de cette nomination en y associant certaines conséquences graves qu’elle impliquerait. Nous ne sommes pas d’accord avec leurs conclusions et nous croyons que cette nomination est effectivement inconstitutionnelle.

Certains, par exemple, ont soutenu que, si l’article 98 exigeait que le juge nommé à la Cour d’appel ou à la Cour supérieure soit choisi parmi les membres actuels du Barreau du Québec, cela exclurait non seulement les juges des cours fédérales et des autres provinces et territoires (Yukon, N.-O., Nunavut), mais aussi ceux de la Cour du Québec, par exemple. Par conséquent, ce sont des dizaines de juges de la Cour supérieure et de la Cour d’appel qui auraient été inconstitutionnellement nommés si la contestation de Me Galati était fondée.

Cet argument nous paraît aussi peu fondé que celui selon lequel l’article 98 ne vise que la sélection des juges de la Cour supérieure au sens strict et non les juges de la Cour d’appel. Ce dernier argument oublie en effet que la Cour d’appel du Québec est, historiquement et constitutionnellement, une « cour de juridiction supérieure ». Les juges des cours d’appel sont donc des juges de cour supérieure au sens de la loi constitutionnelle de 1867.

Comment alors interpréter l’obligation imposée par l’article 98 de la loi constitutionnelle de 1867 ? Il faut savoir que cet article vise à protéger la tradition juridique québécoise. Il reprend un principe qui valait dans le droit du Canada-Uni et est l’une des victoires d’une longue lutte pour la préservation de cette culture juridique distincte qu’on a qualifiée de « française », de « canadienne », de « civiliste » et de « québécoise ». Dans le récent avis qu’elle a eu à rendre dans le cadre de l’affaire du juge Nadon, la Cour suprême s’est montrée bien au fait de cette dimension historique sous-jacente à nos lois constitutionnelles.

Promotions possibles

Ici, ni le texte ni le contexte de l’article 98 ne restreignent son champ d’application aux seuls juges des cours supérieures au sens large, c’est-à-dire des cours supérieures (au sens strict) et d’appel. Cette disposition prend tout son sens dès lors qu’on s’aperçoit qu’elle s’applique à l’ensemble de la magistrature québécoise : Cour d’appel, Cour supérieure, Cour du Québec, etc.

Ainsi, en vertu de l’article 98 de la loi constitutionnelle de 1867, il faut, pour accéder à la magistrature québécoise, être membre du Barreau du Québec. Par la suite, un juge d’une cour de justice québécoise peut très bien être nommé à une autre cour de justice québécoise. Il est donc possible d’être promu au sein du réseau judiciaire québécois sans enfreindre l’article 98. Mais il demeure impossible d’accéder à la magistrature québécoise par le truchement d’un autre barreau ou de la magistrature d’une autre province, d’un territoire ou de la magistrature fédérale.

Peut-être avons-nous tort dans notre interprétation. Il ne faudrait toutefois pas attendre la fin des procédures judiciaires entamées en Ontario pour le savoir. Le gouvernement fédéral a été échaudé par son dernier renvoi sur la nomination du juge Nadon et sera sans doute peu enclin à y retourner. Toutefois, le gouvernement du Québec devrait, quant à lui, saisir rapidement sa Cour d’appel pour faire trancher cette question. Il est crucial d’éviter que l’incertitude planant sur la validité de cette nomination prive à nouveau le Québec d’un de ses plus hauts magistrats.


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