Aux lendemains du 11 septembre sourd

Une société démocratique… sourde

Mantra de l’Option Sourde

Tribune libre

« Pourquoi sommes-nous devenus aveugles, Je ne sais pas, on découvrira peut-être un jour la raison, Veux-tu que je te dise ce que je pense, Dis, Je pense que nous ne sommes pas devenus aveugles, je pense que nous étions aveugles, Des aveugles qui voient, Des aveugles qui, voyant, ne voient pas. »
Citation de Jose Saramago dans L’aveuglement
Tout comme un monde existait avant le 11 septembre, l’avènement d’une catastrophe humaine avec l’amplitude médiatique qu’on lui connaît, le 11 septembre 2001 a constitué à lui seul un renversement de nos perspectives. Nous aurions beau écrire Le choc des civilisations, visionner le triptyque des films de Denys ArcandDéclin de l’empire américain, Les invasions barbares et L’âge des ténèbres – et passer en revue les événements du passé, le sens premier de cet événement eut pour effet de braquer une lumière aveuglante sur la tragédie américaine qui n’en finissait plus.
A posteriori, les souffrances intolérables qui ont surgi au sein d’une certaine conscience planétaire ont ravivé certains souvenirs anciens et enfouis. Naturellement, la réaction immédiate en fut une de solidarité humaine face à la catastrophe ressentie. Le retentissement de l’événement fut tel que des commémorations eurent lieu à chaque année qui passa depuis lors. Tout comme l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy et les commémorations posthumes de l’Holocauste eurent une audience, le 11 septembre préfigure le pouvoir des médias au quotidien.
Depuis l’avènement de la télévision et la prolifération des diverses technologies répercutant le son, nous franchissons plusieurs seuils dans le domaine de la réalité émotionnelle. Tout autant nous avons pu être marqués par ce que nous avons vu, lu et/ou entendu, l’expérience de l’inconscient dans un univers surmédiatisé fait en sorte que l’éveil à des sensations auparavant inconnues permet un dénuement de plus en plus pernicieux. Nous rappelons ici l’importance d’une auto-défense intellectuelle et d’éduquer nos semblables face aux divers enjeux de la vie démocratique mondiale.
D’aucuns soulignent l’importance de se souvenir du coup d’État au Chili en 1973 pour témoigner d’une « autre » histoire, habituellement tue par les oligarques des multinationales et des empires en perdition. Pour ma part, je poursuis une double cause en tant que Sourd Québécois : en 2005, je procédais à la découverte d’un autre 11 septembre. Le 11 septembre Sourd, c’est la tenue du congrès de Milan du 6 au 12 septembre 1880. À l’occasion de ce congrès, nous abordions l’éventualité de forcer les enfants sourds à l’apprentissage de la parole seule, et au détriment des signes qui était déjà dispensés dans quelques écoles – en France notamment, où l’abbé de l’Épée avait rencontré deux jumelles sourdes en 1760.
Déjà, un vaste mouvement de la part d’une minorité agissante a voulu bannir les langues signées des écoles destinées aux enfants sourds. Le congrès de Milan, où la vaste majorité des membres votants étaient « entendants », a voulu cautionner une voie inacceptable et aujourd’hui déclarée nulle et non avenue par un Congrès international d’éducation qui est revenu sur ce symbole disgracieux dans l’histoire des Sourds de par le monde. Pourtant, nous vivons encore les ravages de telles initiatives professées à tort par une minorité qui croyait savoir ce qui était le mieux pour nous, Sourds.
Ici même au Québec, nous sommes doublement conquis. La date du 13 septembre commémore deux événements historiques d’importance : la Conquête de 1760 et la fondation de la Ville de Québec en 1608. Quand nous repassons en revue les célébrations de Québec en 2008, il n’a pas de quoi en tirer une grande fierté patriotique québécoise. Concernant l’histoire sourde de notre contrée, une première école sourde vit le jour à Québec en 1831 et fut contrainte à fermer ses portes en 1837 – à la même époque que la Rébellion des Patriotes. À ce jour, alors que l’air du temps est au mouvement de reconnaissance des langues signées de par le monde, Québec tarde à reconnaître la Langue des signes québécoise.
Tant et aussi longtemps que la question nationale québécoise restera en suspens, les fameuses répétitions de l’histoire se poursuivront de plus belle. Heureusement que les initiatives se multiplient, à l’instar du Moulin à Paroles tenu les 12 et 13 septembre 2009. Alors que la spirale médiatique s’est désespérément jetée à bras raccourcis sur la tenue de l’événement, cette initiative citoyenne fut saluée par les participants et une bonne partie de la population. Ce jour-là, nous avons contribué à bâtir le Québec de demain. Depuis lors, de crise en crise, nous progressons dans nos aspirations d’un Québec indépendant dans les faits.
Aujourd’hui, dix ans et des poussières après le 11 septembre 2001, nous sommes à même de constater l’importance qu’eut cet événement. Indubitablement, nous constatons l’agenda politique d’une classe dirigeante avide de poursuivre la guerre au terrorisme vaille que vaille. Dans l’espoir d’atteindre une paix durable, chacun à notre manière, nous nous devons d’inculquer le sens et les leçons historiques que nous avons retenues, et que nous avons toujours à apprendre. Les Invasions barbares nous permettent de restituer l’infime importance des pertes humaines lors de l’événement fatidique. Si une mort injuste n’est point acceptable, il ne faut point pour autant être aveuglés par une poutre malencontreusement placée dans l’œil de celui-celle qui regarde.


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