Vigile, un site antisémite ?
Un lobby juif de Montréal vient de demander à ceux qu'il appelle "les ténors du Parti québécois" et, par voie de conséquence, à tous les Québécois de ne plus financer Vigile en raison de propos antisémites tenus par certains collaborateurs. J’ai déjà écrit que le texte du 6 janvier signé par Ivan Parent contenait une trame antisémite, nous avons eu lui et moi une diatribe là-dessus. D’ailleurs, M. Barberis-Gervais, lui aussi pointé du doigt par le lobby pour des propos antisémites, avait réagi encore plus vivement que moi contre le texte en question.
Je ne rappelle pas ces faits pour faire du pettage de bretelles, mais pour souligner que Vigile est un site ouvert aux discussions, avec les risques de débordements qui en résultent. Ce qui permet de remettre les pendules à l’heure quand des auteurs se laissent trop aller. Les lecteurs peuvent avoir accès à toutes les facettes d’un problème, suivre les raisonnements des auteurs et se faire une opinion. Parfois les commentaires sont plus intéressants et plus éclairants que le texte principal.
Nous sommes tous des citoyens majeurs et vaccinés, nous pouvons être exposés à des textes pas mal controversés sans craindre de nous voir verser dans l’antisémitisme ou la haine des autres. Si Vigile ne permettait pas la réponse et la critique parfois dure de ces auteurs, il serait un site haineux et mériterait la campagne menée contre lui par le Comité Canada-Israël. Je considère comme très exagérée, c’est le moins que l’on puisse dire, la campagne menée par ce lobby contre Vigile. Comme tout le monde, M. Marceau, tout autre membre du lobby qu’il représente ou n’importe qui peut intervenir dans Vigile. Je ne crois pas que le webmestre lui imposerait une censure qu’il n’impose pas à d’autres. Il a préféré une autre voie, pourquoi?
La campagne menée contre Vigile vise deux objectifs, priver le site de revenus et discréditer le Parti québécois. Le site n’est pas antisémite: il a laissé passer quelques textes qui prêtent à controverse sur des milliers, et il laisse passer la critique de ces textes. Mais le seul prétexte utilisé par M. Marceau pour demander au Parti québécois de cesser de financer Vigile, c’est uniquement ces quelques textes.
Il y a eu récemment une controverse autour d’un texte de Foglia dans La Presse. Si mon souvenir est bon, c’était à la suite de l’attaque des forces armées israéliennes contre un bateau désarmé, mené par des pacifistes désarmés, néanmoins assassinés par les forces armées israéliennes. Cela avait bien valu à Foglia des accusations d’antisémitisme, mais croyez-vous que le comité Canada-Israël va demander à ses commanditaires de retirer leur soutien au quotidien fédéraliste de la rue Saint-Jacques ? Pourtant Pierre Foglia a écrit dans La Presse du 4 juin 2010, dans un article remarquable intitulé: "nous ne sommes pas antisémites" ce qui suit:

"Je ne suis pas antisémite parce que je trouve honteux le blocus autour de Gaza -d’ailleurs appliqué aussi par l’Égypte-, qui prive un million et demi de personnes (dont la moitié sont des enfants) de bouffe, d’eau, de tout. Je ne suis pas antisémite parce que je trouve cynique le vrai motif de ce blocus, qui n’est pas d’empêcher les armes d’entrer à Gaza, mais de punir la population de Gaza d’avoir élu (démocratiquement) le Hamas, qui dérange tout le monde (l’Égypte presque autant qu’Israël). Je ne suis pas antisémite parce que je me souviens que le blocus de Gaza a été précédé d’une offensive de 22 jours qui a fait près de 1500 morts, dont 330 enfants. Opération assimilée à un crime de guerre par un rapport des Nations unies, le rapport Goldstone, qui relève l’utilisation d’armes interdites, comme des obus au phosphore blanc tirés sur des zones résidentielles et une école." (Pierre Foglia, La Presse, 4 juin 2010)

Suite à ces propos virulents, est-ce qu'on ne peut pas dire, selon les critères de Richard Marceau, que le journal La Presse est antisémite?
La charge menée par M. Marceau nous ramène au cœur du débat québécois et participe d’un débat politique au Québec. À mon tour de mettre mes lecteurs en garde, je vais rappeler des faits que certains préfèrent oublier et taire.
Au référendum de 95, à la demande des leaders de leur communauté, les électeurs juifs de plusieurs districts de Montréal ont voté unanimement Non. Ces leaders se sont même vantés d’avoir sauvé le Canada; et c’était parfaitement leur droit. Par contre, ce faisant, ils sont devenus des adversaires de l’indépendance et des indépendantistes, tout comme d’autres communautés anglophones. Si on peut le dire des Anglais, pourquoi ne pourrait-on pas le dire des Juifs! C’est cette analyse sociologique élémentaire qui a valu à Yves Michaud sa condamnation unanime par l’Assemblée nationale (je ne suis même pas sûr qu’il ait qualifié ces gens d’adversaires). C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’attaque de M. Marceau. Lui aussi vise des adversaires, et il va tenter de tirer profit de la moindre phrase prêtant à controverse. C’est pourquoi j’avais demandé aux auteurs de Vigile d’observer une réserve avec certaines affirmations, tournures de phrase ou comparaisons audacieuses mais exagérées comme celle entre le peuple québécois et le peuple palestinien. Il devient alors facile d’attaquer Vigile, les indépendantistes et le Parti québécois.
C’est précisément ce que fait M. Marceau. Il s’en tient à deux extraits de textes sur les centaines qu’ont produits à eux seuls MM. Parent (190 textes) et Barberis-Gervais (430 textes). Ce dernier ajoute sa voix à la mienne et à celle de M. Marceau pour dénoncer le caractère antisémite de la prose de M. Parent. C'est le plus ironique de l'affaire. Voir aujourd’hui M. Barberis-Gervais co-accusé d’antisémitisme avec Ivan Parent par le Comité Canada-Israël est presque surréaliste.
Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que Vigile est la victime de son succès, et qu’on devra redoubler de vigilance (sans jeu de mots) pour ne pas prêter flanc à des attaques de ce genre. La crédibilité de Vigile est à ce prix. Pour ma part, même si j’ai beaucoup de difficultés avec la censure, je serais bien prêt à donner à M. Frappier carte blanche pour ne pas publier des textes qu’il estime haineux.
La haine de l’autre ne devrait de toute façon jamais faire partie du jeu politique. Elle n’aboutit à rien. Combien de politiciens nous disent avoir des adversaires, mais pas d’ennemis. Attaquer des adversaires fait partie du jeu politique, s’en faire des ennemis est une tout autre histoire, et n’aboutit à rien de bien. Mais puisque jusqu'ici les membres de la communauté juive se sont opposés massivement au projet d'indépendance du Québec, ils n'ont pas à jouer les vierges offensées si nous les traitons comme des adversaires politiques.
Ils se comportent en adversaires politiques et doivent être considérés comme tel, ni plus ni moins: Richard Marceau et le Comité Canada-Israël viennent encore d'en faire la preuve.
Louis Champagne, ing.