Le texte de [M. Racine, publié dans Le Devoir du samedi 6 octobre 2007->9562], m'est allé droit au coeur. [...] Dans ce Québec réel que M. Racine a quitté, lui, dit-il, avait 29 ans. Dans ce Québec réel qui nous entoure aujourd'hui, moi, j'ai 25 ans. Lui n'avait «pas envie de passer les 30 prochaines années à parler de séparation, de fédéralisme et maintenant d'autonomisme». Moi, je n'ai ni la force ni le désir de me battre dans un monde où les débats portant sur l'outil de combat à privilégier sont devenus plus importants que la guerre à mener, où l'écho de guerres de tranchées stériles résonnent de vide et d'insignifiance. Je suis fatiguée. Je suis partie.
Dans mon Québec réel, paraît-il, mieux vaut passer aux États-Unis. Parce que les cerveaux et les ressources s'y trouvent plus facilement, m'ont-ils dit, pour poursuivre des études doctorales dans mon domaine. Parce que mon Québec réel n'a pas su évoluer en cadence avec mes attentes, je n'y suis plus. Parce qu'un American dream à poursuivre est devenu plus alléchant que mon rêve national à construire, je ne m'y trouve plus. Non, ce n'est pas normal, tout ça.
M. Racine parle de son Québec imaginaire. Oui, cette image m'habite également. Elle m'habite avec toute l'intensité de mon amour pour ma patrie, ce Québec chéri que j'ai pourtant quitté récemment. Sauf que depuis longtemps, déjà, mon Québec imaginaire à moi vivait en dehors du Québec réel. Deux sphères parallèles, deux mondes désespérément étanches. Dans mon cas, le détonateur se trouvait ailleurs. Épuisée par la poursuite de rêves que si peu de gens semblaient partager, j'ai changé mes priorités de place. Mon coeur va à mes amours nationales; ma tête et mes énergies, cependant, n'y sont plus. Y retourneront-ils jamais? Je ne me sens la force ni d'assumer cette énigme ni d'affronter cette troublante sensation de trahison.
Québec abandonné?
Et de ces deux Québec, que ferons-nous, nous tous, jeunes et moins jeunes Québécois qui partons? Nous qui nous en allons, emportant dans la foulée l'ensemble de nos quêtes et de nos revendications nationales? Sommes-nous les émigrés de la désillusion qui, las de combats infertiles, troquons nos causes et nos ambitions? Ou sommes-nous les émigrés de l'espoir et du renouveau, de ceux-là qui, portés par un souffle d'idéalisme, cherchent hors frontières les outils de leur salut national?
Ai-je abandonné le Québec? J'avais pourtant tant de choses à offrir. Je me sens parfois comme l'amoureuse éconduite qui avait tout à offrir et qui n'a rien pu donner. Je dramatise, j'exagère, diront sans doute plusieurs. Oui, peut-être n'aurez-vous pas tort de me le rappeler. Je suis jeune, toute une vie de fiers combats m'attend. Mais je voulais ajouter ma voix à celle de M. Racine pour que vous sachiez qu'en dehors du Québec, tout un autre Québec continue d'être vécu, rêvé et pleuré. Que plusieurs choix personnels alimentent la réflexion nationale vers d'autres horizons. Que je suis là, que d'autres dans ma situation sont là. Loin, cependant présents. Mais présents pour combien de temps encore?
Aidez-moi à revenir construire avec vous. Convainquez-moi, assurez-moi que la poursuite de la lutte en vaut encore la peine. Prouvez-moi vos intentions. Je vous en conjure. Ne laissez pas grandir mes désillusions au point de ne pas pouvoir en revenir. Tendez-moi la main. Je prendrai la vôtre.
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Geneviève Dorais, Madison, Wisconsin, États-Unis
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