Xénophobies

On est bien loin, ici, des discussions sublimes ou oiseuses sur les accommodements raisonnables.

Commission B-T et débats à l'étranger

La xénophobie, la vraie, qui déferle sur de nombreux pays en cette fin de printemps 2008, nous amène à relativiser les problèmes intercommunautaires sur lesquels, ici, ergotent à l'infini citoyens et spécialistes patentés.
En Afrique du Sud, pays qui a déjà donné en matière d'antiracisme, c'est aujourd'hui le Noir qui pourchasse le Noir pour le faire «rentrer chez lui». Réfugiés sans le nom, des Zambiens, Mozambicains et surtout Zimbabwéens, venus chercher asile dans le pays réputé le plus prospère d'Afrique subsaharienne, sont depuis un mois terrorisés, et parfois massacrés, par des gangs des townships.
Ils seraient trois millions, ces réfugiés que le gouvernement sud-africain a laissés entrer au cours des dernières années, mais sans prendre acte politiquement de ce que signifie vraiment cet afflux massif.
D'une part, le président sud-africain, Thabo Mbeki, a longtemps refusé de reconnaître l'existence d'une crise au Zimbabwe, pays où la gouverne du président Robert Mugabe est devenue folle depuis une décennie, au point de faire fuir les gens par millions.
L'ancien «grenier de l'Afrique», naguère exportateur net de nourriture, a été précipité dans les affres de l'hyperinflation, d'une misère à l'haïtienne et de la persécution systématique de l'opposition. Mais pour Mbeki, comme pour plusieurs leaders politiques de la région, Robert Mugabe est longtemps resté un «pote», auréolé de sa lutte passée contre le racisme colonisateur.
D'autre part, cette cécité sur la crise zimbabwéenne -- il y a encore un mois, Mbeki déclarait: «Quelle crise au Zimbabwe?» -- a empêché le gouvernement sud-africain de regarder en face le problème des réfugiés, restés souvent sans statut, mais tolérés sur le marché du travail où ils ont «volé les jobs» et fait baisser les salaires.
Il n'y a pas seulement l'insécurité culturelle pour provoquer les réactions négatives envers «le maudit étranger». L'incurie politicienne, doublée d'une bonne crise économique, peut faire basculer dans l'horreur ce qui n'était à l'origine que vexations et petits préjugés.
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C'est également dans les banlieues pauvres qu'à Rome et à Naples, on a récemment «cassé de l'étranger». Principale cible: les Roms, aussi appelés Tziganes, gitans, bohémiens... ou encore, plus poétiquement, «les gens du voyage».
Rien de poétique pourtant dans leur situation: en Italie, ils sont 160 000 environ à croupir dans des camps de fortune. Ce printemps, ils ont fait l'objet de «représailles populaires» -- véritables embryons de pogroms -- à la suite d'un assassinat commis par un des leurs, et d'une tentative d'enlèvement de bébé.
Il n'en a pas fallu davantage pour que la population, mais aussi les politiciens, y compris de gauche, ne se laissent aller à une surenchère globale contre les Tziganes. Il y a eu des attaques incendiaires contre des camps. L'élection, fin avril à Rome, d'un maire très à droite, qui a multiplié les déclarations sur la question, a suscité la crainte des antiracistes. Une fois élu, il a modéré son discours, mais le problème reste entier.
Les Italiens? Un peuple au passé immense, une grande culture sophistiquée... mais l'Italie, longtemps exportatrice d'émigrants, balbutie et tâtonne aujourd'hui devant ce problème nouveau pour elle. Sur ce registre, elle apparaît primaire et désemparée.
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Et pour finir, une histoire horrible de Bolivie. Ici, on ne peut pas parler de «xénophobie», puisqu'il n'y a pas plus bolivien que les Quechuas et Aymaras de l'Altiplano. Mais ce ne semble pas être l'avis de certains Blancs de la ville de Sucre, où le mélange ethnique du pays est très mal vécu, particulièrement depuis l'élection, fin 2005, de l'Indien Evo Morales à la présidence.
Presque totalement passés sous silence à l'étranger, mais relatés par la presse locale (et notamment le Correo del Sur), des événements d'une violence inouïe se sont produits il y a huit jours dans cette ville à mi-chemin entre La Paz, capitale politique à majorité indienne, et Santa Cruz, bastion des Blancs qui refusent le pouvoir indien et qui l'ont affirmé, début mai, dans un référendum «autonomiste».
À Sucre, le 24 mai, devant une foule approbatrice, des individus ont ligoté, lapidé et roué de coups des Indiens, y compris des femmes et des enfants, qui voulaient fêter, en compagnie du président Morales -- annoncé puis décommandé pour l'occasion -- l'anniversaire d'un soulèvement contre la domination espagnole, au début du XIXe siècle.
Trois anthropologues ont reconstitué la scène dans le journal Libération de vendredi: «Cinquante-cinq paysans pris en otage et obligés à se mettre torse nu et à marcher mains attachées. [...] On les humilie sans que le public proteste [...], on les force à se mettre à genoux, à embrasser le sol tandis que sont brûlés leurs drapeaux, insignes et vêtements traditionnels. [...]. On dénombre plus de cinquante blessés; la presque totalité sont des paysans indigènes dont plusieurs sont dans un état grave.»
On est bien loin, ici, des discussions sublimes ou oiseuses sur les accommodements raisonnables.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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