Pour le Bloc, l'intérêt du Québec, c'est de disparaître!
24 octobre 2024
M. Nantel devrait lire cette opinion parue dans 'Le Devoir' :
Le Bloc québécois est non seulement utile, mais nécessaire Marc Tremblay
L’auteur habite dans Lanaudière.
Les adversaires du Bloc québécois aiment le dépeindre comme un parti inutile parce que n’aspirant pas au pouvoir et ne pouvant pas, selon eux, provoquer de véritable changement dans la vie des Canadiens. Ils aiment aussi répéter qu’à l’origine, le Bloc a été fondé par Lucien Bouchard et cinq députés des Communes pour faciliter l’indépendance du Québec, et que, comme l’a déclaré à l’époque son fondateur, le succès du Bloc serait inversement proportionnel à sa durée de vie, mettant l’accent sur le côté volontairement éphémère de ce parti doté d’un dispositif d’autodestruction : la fin de nos liens avec le Parlement d’Ottawa.
Si l’on résumait la légitimité d’un parti à sa capacité de gouverner, il y a longtemps que le Nouveau Parti démocratique, Québec solidaire, les partis verts et les autres partis encore plus marginaux auraient cessé d’exister. Aucun de ces partis n’a eu dans son histoire une chance véritable d’atteindre le pouvoir.
Et si l’on s’en tient à l’autre facette du pouvoir politique qu’implique l’existence d’un parti, soit transformer l’environnement de façon significative et agir sur les politiques publiques de manière efficace, aucun autre parti aux Communes n’en propose davantage que ce que le Bloc préconise : créer un nouveau pays. Que dire de plus…
Il serait néanmoins injuste de réduire l’utilité du Bloc à son rôle de phare de l’indépendance à Ottawa puisqu’il tire parfaitement son épingle du jeu en Chambre.
Outre le projet de loi sur les pensions de vieillesse des 65 à 74 ans et celui sur la gestion de l’offre en agriculture, le Bloc a déposé, cette année seulement, un nouveau projet de loi sur l’aide médicale à mourir, en plus de contribuer à l’adoption d’une loi visant à protéger les fonctionnaires lanceurs d’alerte. En fait, ce sont des dizaines et des dizaines de projets de loi que le Bloc a permis de faire adopter depuis sa fondation, en 1991, pour améliorer la vie des citoyens du Québec et du Canada.
Mais la vraie tasse de thé du Bloc demeure la défense des intérêts du Québec, et il n’est pas inintéressant de faire ici un petit exercice de politique-fiction pour s’en convaincre. Imaginons qu’un Bloc québécois soit à l’oeuvre à Ottawa au début des années 1980, au moment où Pierre Elliott Trudeau s’apprête à rapatrier la Constitution canadienne contre la volonté du Québec et sans consulter la population. Plutôt que de s’appuyer sur ses 74 députés québécois (sur une possibilité de 75) pour s’inventer une fausse légitimité, Trudeau doit composer avec quelques dizaines de députés souverainistes farouchement opposés à son projet qui le talonnent en Chambre. Le « coup d’État légalisé » qu’il s’apprête à faire au détriment du Québec aura certainement du plomb dans l’aile…
C’est du moins ce que laisse croire la résistance exercée par le Bloc québécois, celle-là bien réelle, 20 ans plus tard lorsqu’il fit éclater l’un des pires scandales de corruption de l’histoire du pays, le scandale des commandites. La formation, alors menée par Gilles Duceppe, posa non moins de 400 questions en Chambre sur ce scandale et força ultimement la mise sur pied de la commission Gomery, dont les juteuses révélations causèrent la perte du gouvernement libéral. Inutile, le Bloc ?
Quant à la longévité du parti souverainiste, que n’avaient certes pas prévue (et désirée) ses fondateurs, elle l’oblige à adopter la proverbiale patience du jardinier et à « recommencer en se retroussant les manches », comme l’avait proclamé Jacques Parizeau le soir du 30 octobre 1995. Pourquoi l’idée d’indépendance devrait-elle être soluble dans le temps, alors que les projets de partis qui nous font tourner en rond depuis des décennies perdurent bien au-delà de la décence ?
En réalité, la seule échéance qui aura raison du Bloc et du projet souverainiste est d’ordre démographique — et met en péril non seulement leur existence, mais celle d’un Québec culturellement distinct du reste de l’Amérique du Nord. C’est pourquoi le rôle du parti souverainiste n’a jamais été aussi important que maintenant.
S’il advenait, comme le laissent entrevoir les derniers sondages, que le Bloc québécois forme après les prochaines élections l’opposition officielle aux Communes pour la deuxième fois de son histoire, il aurait comme jamais l’occasion de démontrer son utilité. En défendant les intérêts du Québec, mais surtout en mettant la table pour la prise du pouvoir par le Parti québécois en 2026 et la tenue d’un référendum. La pire erreur que le Bloc pourrait alors commettre serait de le faire à la manière des oppositions officielles traditionnelles, celles que j’appelle les « oppositions de Sa Majesté ». Autrement dit, de jouer le jeu parlementaire pour lui-même et de se faire avaler par la machine fédérale.
Le Bloc québécois ne doit jamais perdre de vue sa raison d’être. Autrement, il disparaîtra de la pire manière : en devenant insignifiant.