1968-2018: d’une convergence indépendantiste à l’autre

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« Il est loin d’être clair qu’un parti défendant à la fois l’indépendance et des positions fermement ancrées à gauche est en mesure de rallier une majorité d’électeurs »

Une fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés d’histoire le défi de décrypter un thème d’actualité à partir d’une comparaison avec un événement ou un personnage historique.


Les dernières élections ont été désastreuses pour le Parti québécois(PQ), tant pour ce qui est du pourcentage de voix exprimées en sa faveur (17,06 %) que du nombre de députés élus (10). À titre de comparaison, lors de ses premières élections générales en 1970, le parti récolte un peu plus de 23 % des suffrages et 7 sièges.


Photo: Gaétane DucharmeHarold Bérubé


Des voix, comme celle de l’ancien ministre péquiste Réjean Hébert, se sont rapidement fait entendre pour appeler de nouveau à une convergence du PQ et de Québec solidaire(QS). Selon Hébert, ces partis partagent essentiellement les mêmes valeurs et se distinguent surtout pour ce qui est des moyens et de l’empressement à les mettre en oeuvre. Ils devraient donc s’unir de manière à former un nouveau parti, une « union solidaire » souverainiste et sociale-démocrate.


Pour l’historien, cette proposition a un petit air de déjà-vu et soulève d’importantes questions quant à la faisabilité d’une telle coalition et à ses chances d’atteindre le pouvoir.


L’indépendance : de droite à gauche


L’indépendance du Québec a d’abord été pensée à droite. Il s’agissait de doter le Canada français, largement minoritaire en Amérique du Nord, d’un État français et catholique au sein duquel il serait maître chez lui. Promu par Edmondde Nevers dès la fin du XIXe siècle, repris par une poignée d’intellectuels dans les années 1920 et surtout 1930, cet indépendantisme est mû par le nationalisme canadien-français.


Après la Seconde Guerre mondiale, c’est l’Alliance laurentienne, mouvement politique fondé par Raymond Barbeau en 1957, qui en prend le relais. Néanmoins, cette idée est loin de faire l’unanimité à droite et alimente d’importants débats. C’est qu’il s’agit d’une proposition radicale en soi, mais qui circule également de plus en plus à l’autre extrémité du spectre idéologique.


La figure de Raoul Roy permet de comprendre comment cet indépendantisme s’enracine à gauche. Dans les années 1930, Roy flirte avec le fascisme et le communisme, à la recherche d’un moyen de libérer les Canadiens françaisde leur oppression. Il est le premier, à la fin des années 1950, à concilier un indépendantisme résolument nationaliste à un socialisme puisant dans les luttes de décolonisation qui prennent forme autour du globe.



Photo: Guillaume TurgeonMaxime Corriveau


Ce sont des idées qu’il exprime dans La Revue socialiste (1959-1965), qu’il fonde et anime. D’autres que lui reprennent et poursuivent sa réflexion, notamment les animateurs de la revue Parti pris. Ils feront coexister au sein de leur indépendantisme, et dans des proportions qui varient, nationalisme et socialisme. Pour le dire autrement, ils rêveront d’un État indépendant qui mènerait non seulement à la libération du Canada français, mais à celle de sa classe ouvrière.


L’indépendance : de la marge au centre


Ces deux indépendantismes donnent naissance à différents partis politiques. À gauche, on retrouve le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), créé comme mouvement politique en 1960 et devenant un parti en bonne et due forme en 1963. À droite, on assiste en 1966 à la création du Ralliement national (RN), parti politique né de la fusion du Regroupement national, formé de membres du RIN qui ont rompu avec lui à cause de son virage prononcé à gauche, et du Ralliement des créditistes du Québec, formés d’adeptes des théories du crédit social qui ont connu un certain succès dans l’ordre gouvernemental fédéral. Le RIN est bien enraciné dans la région montréalaise, le RN l’est surtout dans l’est du Québec et dans la région de la Vieille Capitale.


Au-delà du récit événementiel complexe de la création de ces formations politiques, retenons qu’elles sont politiquement marginales. Aux élections générales de 1966, qui portent au pouvoir l’Union nationale de Daniel Johnson, le RIN récolte 5,55 % des voix, et le RN 3,21 %.


La rupture avec le Canada demeure une option radicale au milieu des années 1960. Cela change avec l’arrivée en scène de René Lévesque et du Mouvement souveraineté-association (MSA). Au cours de l’année 1967, Lévesque tente en vain d’amener le Parti libéral du Québec à embrasser un nationalisme plus revendicateur à travers sa proposition de souveraineté-association. Il quitte le parti avec quelques alliés en octobre et met sur pied son propre mouvement, le MSA, en novembre.


Ex-ministre et maître d’oeuvre d’importantes réformes, Lévesque a une expérience du pouvoir et de la politique. Ancien journaliste, il est également une figure connue et appréciée du grand public. Moins radicale que l’indépendance, la souveraineté-association apparaît comme une proposition modérée qui a le potentiel de rassembler une majorité de Québécois et de Québécoises.


Rallier la droite, rassembler la gauche


Y aura-t-il convergence de ces différents partis politiques ? Et, si oui, selon quelles modalités ? Lors du congrès d’avril 1968 qui marque officiellement la fondation du MSA, les délégués confient à l’exécutif du mouvement le mandat de négocier avec le RIN et le RN pour créer un seul parti indépendantiste.


Les négociations avec le RN aboutissent rapidement à un rapprochement entre les deux formations. Elles partagent toutes deux un certain pragmatisme politique, une vision assez similaire d’un néonationalisme québécois qui ne fait pas entièrement table rase du passé et l’idée d’un nouveau statut constitutionnel pour le Québec qui ne romprait pas entièrement avec le Canada.


À l’opposé, les négociations avec le RIN sont difficiles et mènent à une impasse. Au-delà d’un indépendantisme commun, le RIN embrasse une série de positions que rejettent les fondateurs du MSA : rupture complète avec le Canada, volonté révolutionnaire de revoir en profondeur les structures politiques, sociales et économiques du Québec, divergence sur la place de la langue anglaise dans un nouvel État québécois, recours à des méthodes et à une approche qui privilégient la confrontation et qui ouvrent la porte à une certaine violence. Ce dernier aspect est spectaculairement mis en scène lors des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste de juin 1968 — le fameux « lundi de la matraque » — qui compromettent les discussions entre le MSA et le RIN.


En octobre 1968, le MSA et le RN fusionnent pour donner naissance au Parti québécois. Dans les semaines qui suivent, le RIN se saborde, ses chefs invitant ses membres à investir le PQ afin d’y défendre leurs positions. Fruit de la convergence de différentes mouvances indépendantistes aux valeurs parfoisassez éloignées, le nouveau parti politique s’attire rapidement les critiques féroces de ses adversaires de gauche comme de droite. On verra par exemple l’Union nationale associer le PQ aux dangers du bolchevisme en marche, alors que dans les groupes et revues socialistes, on attaquera le caractère fondamentalement petit-bourgeois d’un parti dirigé par un ancien ministre libéral.


Vers une nouvelle convergence ?


Dans les décennies qui suivent, l’histoire du PQ est traversée de tensions qui résultent en bonne partie de son caractère de coalition. Qu’il s’agisse des débats relatifs aux modalités d’accession à l’indépendance, aux structures et au fonctionnement du parti, à ses positions sur une variété de questions sociales et économiques, ces différends mènent parfois à des divisions et à des départs spectaculaires, mais jamais à un éclatement de la coalition.


La défaite référendaire de 1995 a de toute évidence changé la donne. Au risque de simplifier les choses, disons que l’atténuation de la polarisation fédéralisme/souverainisme a ouvert la porte à d’autres configurations de l’échiquier politique québécois.


Dans ce contexte, cet électorat des régions plus nationaliste que socialiste dont avait hérité le PQ s’est déplacé graduellement du côté de l’Action démocratique du Québec d’abord, puis de la Coalition avenir Québec (CAQ), alors que ceux pour qui l’indépendance était d’abord et avant tout une voie vers une véritable révolution québécoise solidement ancrée à gauche se sont retrouvés de plus en plus au sein de QS. Entre-temps, le PQ mettait en veilleuse ce qui avait autrefois été sa force attractive : le projet de pays. L’élection du 1er octobre dernier semble marquer l’aboutissement du processus de décomposition de la coalition créée en 1968.


Dans ce contexte, que dire de cette convergence QS-PQ proposée par certains souverainistes ? D’une part, sa faisabilité est loin d’être évidente. Comme avec le MSA et le RIN en 1968, il n’est pas clair que les positions des deux partis sont compatibles. QS a été formé en bonne partie en réaction aux politiques adoptées sous Lucien Bouchard et, depuis, le parti n’a cessé de critiquer les positions d’un PQ qui sera toujours trop modéré à ses yeux.


D’autre part, en supposant qu’une telle fusion entre les deux partis ait lieu, elle ne recomposerait que très partiellement la coalition péquiste, laissant en plan cet électorat des régions du Québec qui a permis à la CAQ de prendre le pouvoir et qui, le temps le dira, se plaira peut-être dans ce nouveau nationalisme autonomiste, cette « troisième voie » qu’incarne désormais Legault.


> La suite sur Le Devoir.



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